Pierre Niox-Chateau (JCDecaux) : « les compétences constituent la question décisive des DSI »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
DSI Groupe, Pierre Niox-Chateau explique sa stratégie, ses défis dont la pénurie de compétences et les solutions de co-dèvelopement mises en œuvre pour y répondre.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est aujourd’hui JCDecaux ?
Spécialiste mondial de la communication extérieure, l’OOH comme disent les anglo-saxons, nous proposons à nos clients un million d’emplacements publicitaires dans plus de 80 pays. Grace à cette couverture mondiale, grâce à la diversité des environnements dans lesquels nos emplacements sont installés (villes, aéroports, gares, métros, centres commerciaux…) nos clients disposent d’une grande variété de solutions média, analogiques ou digitales ; solutions leur garantissant une audience journalière de plus 850 millions de personnes.
En 2023 le chiffre d’affaires du groupe s’est établi à 3.6 milliards d’euros dans un contexte où notre activité, très impactée par les périodes de confinements liées à la COVID, a dépassé celle de 2019 dans la plupart de nos zones géographiques, à l’exception de la Chine où le retour à la normale est toujours en cours. A noter que nous continuons à développer fortement le revenu généré par les 35 000 écrans publicitaires digitaux que nous opérons (1,3 milliards en 2023, soit le 1/3 de notre activité).
Comment sont organisées les différentes fonctions IT, CIO, CDO et CISO ?
La DSI opère dans le cadre d’une gouvernance consistant à déployer une stratégie mondiale en associant des centres de compétences groupe, en France, (50 % des effectifs) et des équipes IT déployées dans les filiales (l’autre 50 %). Il s’agit ici d’articuler les opérations IT en tenant compte des spécificités de chaque pays, en s’appuyant sur des standards partagés et fédérateurs (agilité, co-développement, « cloud and security by design », …).
Dans ce contexte, la DSI du groupe définit pour tous les standards technologiques, établit la politique sécurité (le RSSI lui est rattaché), détermine les plans d’investissements, développe et opère les systèmes communs à toutes les filiales, accompagne les développements locaux requis par les spécificités des filiales et rend compte régulièrement de ses activités au Directoire du groupe. C’est une gouvernance complexe, « multi-culturelle », équilibrée qui permet, je crois, de tirer le meilleur parti des organisations « glo/cales » associant, dans le cadre d’une organisation intégrée, vision globale et exécution locale.
Quels sont vos grands choix technologiques ?
Le système d’information du groupe s’appuie sur quelques principes technologiques adoptés il y a plusieurs années afin d’accélérer nos développements et de sécuriser nos opérations. Les services cloud fournis par AWS et le partenariat engagé de longue date avec SAP illustrent cette stratégie.
Retrouvez Pierre Niox-Chateau à l’IT Night
Pierre Niox-Chateau est membre du jury des Trophées de l’IT Night. Il assistera donc aux présentations des candidats le 30 avril 2024 et à la cérémonie le 27 mai 2024.
Dans ce contexte, quels sont les enjeux IT de JCDecaux ?
Les 700 informaticiens du groupe sont engagés, aux côtés des équipes métiers, pour apporter dans les 80 pays où nous opérons les technologies nécessaires à notre croissance et à l’optimisation de nos processus. Nous avons à l’heure actuelle en portefeuille plus de 200 projets organisés autour de trois enjeux prioritaires.
Le premier enjeu concerne la digitalisation de notre média ; digitalisation engagée depuis plus de dix ans et que nous poursuivons partout où cela est nécessaire. 35 000 écrans opérés, je le disais plus tôt, écrans dont nous sélectionnons les emplacements de manière rigoureuse afin d’apporter à nos clients la garantie des audiences et de l’impact qu’ils attendent. En support à notre stratégie de digitalisation, nous continuons à enrichir régulièrement les outils IT de programmation et d’affichage des campagnes digitales qui nous sont confiées par nos clients (plus de 100 000 par an), outils associant algorithmique et pilotage temps réel de la qualité d’exécution.
Le deuxième enjeu consiste à accélérer la diversification de nos canaux de vente. Il s’agit de proposer à nos clients, en complément des méthodes d’achat traditionnelles, d’accéder à nos solutions médias via des plateformes technologiques. Ce canal de vente « programmatique », favorisé par la digitalisation de notre média et par les données d’audience, est développé dans de nombreux pays et offre à nos clients autonomie, flexibilité, avec par exemple possibilité d’achats aux enchères et diffusion en (quasi) temps-réel de leurs campagnes. Ce programme de diversification de nos canaux de vente a donné lieu ces derniers années (et continuera à donner lieu) à des investissements IT importants et, notamment, à des innovations algorithmiques associant un grand nombre d’expertises (service cloud, machine learning, données d’audience, IA Generative etc…).
L’optimisation et la sécurisation des processus internes constituent le troisième enjeu prioritaire qui mobilise les équipes IT du groupe. A ce titre, nous avons lancé en 2018 un programme mondial SAP S/4Hana visant à homogénéiser, via un « core-system » les activités finance et logistique des filiales du groupe. Nous avons choisi de développer cette plateforme par « versions et étapes » (deux versions et trois à dix pays par an). A ce jour, 44 pays ont été déployés, sur quatre continents. 80 % de nos activités seront déployés en 2027. Un programme d’envergure, de longue haleine, et qui permet de sécuriser durablement nos opérations.
Pour répondre à ces enjeux, nous exploitons depuis 2015 la puissance des services cloud et avons également généralisé depuis de longues années des méthodes de développement agiles partagées avec les équipes métiers. Autant de leviers qui accélèrent nos développements. Par contre, la rareté des compétences continue à être un problème majeur auquel nous sommes confrontés au quotidien et qui, dans certains cas, nous conduit même à devoir temporiser des projets.
Vous évoquez la question du manque de compétences. Quelle est la situation ?
Nous sommes, ici, face à problème essentiel. Un problème qui n’est pas nouveau, auquel les DSI font face depuis 15 ans, mais qui, je crois, deviendra critique dans les prochaines années. Il s’agit bien sûr de recruter (plus vite), de faire évoluer, de fidéliser les talents indispensables à l’efficacité des opérations IT.
Dans le groupe JCDecaux nous y apportons partout dans le monde un soin particulier. Mais, dans un marché structurellement pénurique (même si la pénurie s’est un peu atténuée en 2023), il faudra aussi apprendre à mieux combiner des expertises localisées dans différents des pays, à mieux articuler des partenariats avec des tiers (partenariats basés sur des principes de co-développements), à accélérer la mise en œuvre de l’IAG (intelligence artificielle générative) au service de nos équipes de développement (plus de deux cents développeurs) et de celles en charge de nos infrastructures. On le voit, il reste beaucoup de choses à inventer pour renforcer/sécuriser nos centres d’expertise.
Comment sont gérés les projets data ?
La DSI collabore au quotidien avec la direction Data, dirigée par Sylvain le Borgne. L’équipe de Sylvain intervient dans de nombreux domaines et développe notamment, depuis plusieurs années, des systèmes permettant d’agréger, de qualifier et de certifier les données d’audience qui servent de base aux solutions médias proposées à nos clients. Dans ce cadre, les équipes de la DSI et de la direction Data sont engagées dans les projets communs de modernisation de nos plateformes et de diversification de nos canaux de vente.
A noter qu’en 2023, le groupe a lancé un « AI LAB » afin de piloter les projets s’appuyant sur les technologies GenAI. Sylvain et moi co-dirigeons cet « AI LAB » au sein duquel des experts de nos deux équipes développent les prototypes puis les systèmes à exploiter dans les prochaines semaines / mois / années ! Là encore, nous avons choisi une gouvernance fédérée, agile et ancrée dans des réalisations concrètes rapidement exploitables.
JCDecaux a conclu des accords avec Pernod-Ricard sur un portail data, avec Renault pour la Software Republique… Quelle est votre stratégie ?
Là encore nous souhaitons nous inscrire dans des initiatives de « co-développement », de partage et de mutualisation d’expertises. Quelques mots sur ces accords dont la mise en œuvre sont placés sous la responsabilité de Sylvain Le Borgne et de son équipe Data.
Il s’agit, pour l’accord avec Pernod-Ricard, d’une alliance technologique visant à co-développer un portail d’accès à nos données respectives (les plateformes et les données correspondantes étant hébergées séparément).
Notre adhésion à Software République vise quant à elle à apporter notre savoir-faire dans le cadre du développement de nouvelles applications au service des collectivités et des citoyens ; on parle ici d’open innovation… et à nouveau de co-développement.
Article revu par l’entreprise.