Gianmaria Perancin (USF) : « SAP doit recentrer sa stratégie sur les vrais besoins de ses clients »
Par Bertrand Lemaire | Le | Achat it
Cet article est référencé dans notre dossier : Convention USF 2024 : deux jours à Lille pour les clients et l'écosystème SAP
SAP multiplie depuis plusieurs mois des annonces en faveur du cloud, de l’IAG, etc. mais les entreprises clientes sont moins enthousiastes. Gianmaria Perancin, président de l’USF (association des Utilisateurs de SAP Francophones) et du SUGEN (SAP User Group Executives Network), nous explique la dichotomie entre les visions de SAP et les besoins des clients.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’USF (association des Utilisateurs de SAP Francophones) ?
L’USF est une association totalement indépendante de l’éditeur SAP et rassemble les utilisateurs de toutes les solutions de celui-ci, pas seulement les ERP ECC 6 et S/4Hana, en France et en Suisse Romande essentiellement. Nous avons à ce jour 450 entreprises membres (dont 50 du secteur public) représentant 3850 individus participant à nos réunions. Parmi nos membres, on trouve 75 % du CAC 40 et 66 % du SBF 120.
Nous proposons aux adhérents des réunions physiques, hybrides ou virtuelles et nous organisons chaque année le plus grand événement de la communauté SAP en France, la Convention de l’USF. La prochaine édition aura lieu les 9 et 10 octobre 2024 à Lille sur le thème « Il était une fois le cloud… entre mythe et réalité ». Notre réseau social associatif comporte aujourd’hui 1500 profils actifs et cet outil est devenu un vrai lieu de partage entre membres.
Quelles sont les actualités de l’USF ?
Deux nouvelles communautés devraient bientôt voir le jour au sein de l’USF.
La première sera autour des automates dans SAP, notamment sur les problèmes techniques autour de la refonte des modules propres à l’éditeur en lien avec la migration cloud (SAP IRPA, construit sur le rachat de Contextor, qui devient SAP Build Automation). Cette communauté travaillera aussi sur les éditeurs partenaires (comme UIPath) ou les autres solutions tierces (développements en Python…).
La deuxième se consacrera à l’agilité et à des retours d’expérience sur la mise en œuvre de celle-ci dans les déploiements de produits SAP.
Nous allons également participer à un événement autour de Signavio chez SAP le 21 mars.
En 2024, nous avons trois axes de développement.
Tout d’abord, nous devons accroître notre ancrage international. En effet, SAP France a peu de marges de manœuvre. Chez SAP, les régions EMEA North et EMEA South viennent de fusionner, renforçant le poids de la région (la zone Allemagne-Suisse-Europe centrale et orientale reste à part).
En deuxième lieu, nous allons renforcer notre étude de RISE. Certes, cette offre de SAP pour accompagner la migration dans le cloud n’est pas neuve mais l’éditeur, aujourd’hui, la vend avec insistance. Il nous faut donc réellement étudier les avantages et les inconvénients de cette offre. Et, en l’état actuel des choses, c’est assez peu probant. Un constructeur automobile peut toujours dire qu’une voiture achetée que le client laisse au garage est une voiture vendue. Nous craignons que SAP fasse la même chose avec RISE dont les entreprises n’utiliseraient pas les éventuels avantages. Nous voyons chez les clients une forte résistance à cette offre car ses bénéfices comme ses risques sont mal identifiés. Les clients veulent un environnement SAP choisi plutôt que subi. De plus, RISE et plus généralement S/4Hana misent sur une approche « Core Clean » mais, du coup, il faut éliminer le spécifique, ce qui est techniquement compliqué et a des implications métier importantes. SAP doit mieux accompagner ses clients et mieux expliquer la valeur de ses offres. En ce moment, il y a une offre promotionnelle d’autant plus suspecte qu’elle est importante. Nous craignons que SAP se rapproche du modèle Salesforce, ce qui ne correspond pas à l’histoire des clients SAP.
Ceci dit, suite aux derniers échanges entre SAP France et l’USF Force le 5 février 2024, Orlando Appell, COO France, a eu des déclarations nettement plus rassurantes que les positions précédentes plus ambiguës, déclarations qui auraient pu être faites plus tôt. Il a ainsi confirmé que les clients on premise continueraient de bénéficier d’innovations mais avec un rythme moins élevé que les clients Cloud. L’USF se félicite grandement que SAP semble avoir finalement entendu le profond mécontentement de ses utilisateurs qui trouvait son origine dans une politique commerciale a priori trop axée sur un accès à l’innovation affiché comme uniquement possible aux clients RISE. L’USF se félicite surtout que SAP ait enfin des propos cherchant à rassurer les clients des solutions on premise qui n’ont pas encore identifié la valeur métier nécessaire à adopter le cloud via RISE. Le « No customer left behind » (Pas de client abandonné) du SAPPHIRE 2023 se voit confirmé même si nous attendons des précisions sur le rythme des innovations et la roadmap.
Enfin, notre troisième axe, c’est l’accroissement de notre capacité à écouter tous les clients SAP. Cela implique d’augmenter le nombre de nos membres en convaincant qu’adhérer est la meilleure manière d’être entendu par l’éditeur. Nous allons travailler sur de nouveaux formats d’échanges, notamment en vidéoconférences. Nous allons augmenter les remontées des clients auprès de SAP en veillant à toujours rester constructifs.
Puisque vous parlez de RISE et de S/4, où en est l’état du marché alors que la maintenance d’ECC va s’arrêter en 2027 (2030 pour la maintenance étendue) ?
2027, c’est non seulement l’arrêt de la maintenance d’ECC mais aussi celle de Netweaver (vendu pour être un outil utilisable en dehors de l’ERP et des autres produits SAP) et celle du module d’ITSM on premise.
SAP avance que 40 % de ses clients auraient mené la migration vers S/4 au niveau mondial. Même si ce chiffre est exact, cela reste peu alors que 2027 c’est très bientôt ! Lors de l’enquête de satisfaction en 2022, nous étions à 7 % ayant achevé la migration, 13 % en cours, soit un total de 20 % en France. Comme nous sommes une année paire, nous allons réaliser cette année une nouvelle enquête de satisfaction dont les résultats seront révélés lors de la Convention de Lille. On verra bien…
SAP a annoncé la suppression de 8000 postes, soit 7,5 % de ses effectifs. Avez-vous des craintes sur le niveau de service rendu aux clients, notamment ceux qui sont on premise ?
La question peut en effet se poser. SAP pousse à la migration S/4 et que ECC soit sacrifié est compréhensible. L’éditeur nous répète que le code des versions on premise et cloud de S/4 est globalement le même, donc que les clients voulant rester on premise n’auraient pas de difficultés. Mais, à la date où nous parlons, nous n’avons aucune idée des domaines impactés ou des pays concernés par les suppressions de postes. Or nous avons besoin de savoir.
Il est possible que SAP déploie davantage d’IA au support. Supprimer des postes en Allemagne où les syndicats sont puissants risque d’être compliqué. Il est possible que SAP compte sur la réduction du télétravail qui a entraîné une menace de 5000 démissions mais, en tel cas, l’éditeur n’aurait aucune capacité de choix sur les profils et les postes impactés.
Enfin, alors que l’échéance de 2027 est chaque jour plus proche, les consultants pour accompagner les migrations S/4 continuent de manquer. Les formations promises par SAP ont peu progressé. Nous ne voyons pas les plans massifs de formation absolument nécessaires.
Le chantier de la facturation électronique obligatoire a désormais un nouveau calendrier plus réaliste. Etes-vous toujours inquiet ou les réponses de SAP sont-elles aujourd’hui plus claires ?
SAP a clairement annoncé qu’il ne proposerait pas de PDP. Il vend du logiciel au niveau mondial et s’il proposait une PDP en France, il devrait faire la même chose dans tous les pays.
Mais il y a du grésillement sur la ligne entre SAP et ses clients. Pour ECC, la maintenance fera évoluer les produits pour qu’ils puissent s’adapter aux obligations légales : c’est le minimum. Par contre, il faudra bien acquérir un module en plus pour transmettre. Concernant S/4, nous devons davantage creuser avec SAP pour bien comprendre ce qui sera ou non inclus dans le contrat actuel.
SAP multiplie les annonces en matière d’IA et d’IAG. Mais est-ce que cela correspond à une demande des clients ?
Il semblerait que, aux Etats-Unis, cela soit très utilisé. Mais, franchement, aujourd’hui, ce n’est pas la priorité de nos adhérents. Face aux nouvelles technologies, il y a toujours des craintes. Mais, en l’occurrence, l’IA n’est clairement pas le sujet prioritaire pour les clients de SAP en France pour des produits de la famille de l’ERP.
Ce que nous voulons dire à l’éditeur, c’est donc que SAP doit recentrer sa stratégie sur les vrais besoins de ses clients. 2024 sera, pour nous, plus que jamais, l’année de la défense des intérêts de nos adhérents face à SAP, même si nous veillons à rester constructifs.
En savoir plus
- Site de la Convention USF.
La prochaine édition aura lieu les 9 et 10 octobre 2024 à Lille sur le thème « Il était une fois le cloud… entre mythe et réalité ».