Elisabeth Moreno (Femmes@Numérique) : « la féminisation des métiers du numérique est problématique »
Par Bertrand Lemaire | Le | Recrutement
Ancienne Ministre à l’Egalité Femmes-Hommes et dirigeante d’entreprises technologiques, Elisabeth Moreno est devenue présidente de Femmes@Numérique. Elle nous explique ici les raisons et les défis de ce nouvel engagement dans la continuité de ses préoccupations depuis des années. Elle sera l’invitée d’honneur du Club Disruptor « Guerre des talents : attirer plus de femmes vers les métiers du numérique », mardi 19 septembre 2023.
Quelle est la raison d’être de la Fondation Femmes@Numérique, hébergée par la Fondation de France ?
La féminisation des métiers du numérique est, encore aujourd’hui et même de plus en plus, problématique. Nous peinons à attirer des jeunes filles et des femmes vers ces métiers alors même qu’ils transforment le monde. Il y a aujourd’hui un net recul de la féminisation par rapport aux années 1980 où il y avait une quasi-parité. Cela fait vingt ans que j’entends parler du sujet et, non seulement il n’y a pas de progrès, mais il y a une forte régression.
Tous les métiers de demain vont avoir une composante numérique. Sur le sujet de l’IA, par exemple, si leur mise au point est le fruit de seuls hommes, elle sera nécessairement masculine dans ses réactions. C’est un problème. Bien que la spécialité numérique et sciences informatique (NSI) soit proposée dans la moitié des lycées français, en 2022, il n’y avait que 2600 filles qui s’y sont inscrites. 2600, autrement dit, presque rien.
Face à une triple problématique de pénurie de compétences (alors que l’on écarte d’entrée de jeu la moitié de la population !), de justice sociale et de compétitivité de la France (si nous échouons à disposer des compétences nécessaires au développement d’un numérique souverain), il nous faut sensibiliser bien évidemment les jeunes filles et les femmes elles-mêmes mais aussi les parents, les enseignants et les entreprises.
Le but de la Fondation Femmes@Numérique est de créer une synergie entre les associations pour démultiplier leur actions et augmenter l’impact.
Retrouvez Elisabeth Moreno mardi 19 septembre 2023
Elisabeth Moreno sera l’invité d’honneur et Grand Témoin du Club Disruptor « Guerre des talents : attirer plus de femmes vers les métiers du numérique », mardi 19 septembre 2023 dans Paris.
Renseignement et inscription sur ce Club.
Le lieu exact n’est communiqué qu’aux inscrits confirmés.
Comment fonctionnez-vous et comment êtes-vous financés ?
Depuis cinq ans, nous avons plusieurs mécènes tels que Orange, La Poste, le Crédit Agricole, SopraSteria, le ministère du Numérique, celui de l’Education Nationale et celui de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Ils nous permettent de mettre en commun des fonds pour travailler sur la féminisation des métiers du numérique.
La Fondation a été lancée en juin 2018 par plusieurs associations professionnelles (Cigref, Numeum, Société Informatique de France, Talents du Numérique, Association Française des Managers de la Diversité, Conférence des Grandes Ecoles et Social Builder) avec le soutien des pouvoirs publics.
Récemment, toutes ont cosigné une lettre à la Première Ministre avec une série de propositions. Sur Vivatech, Madame Elisabeth Borne a repris l’une de celles-ci, le plan d’accompagnement de 10 000 femmes pour choisir des métiers du numérique. Il s’agit d’abord de faire découvrir les métiers dans leur réalité au-delà des stéréotypes geeks. Le numérique permet une action sur le monde, il faut insister là-dessus. Il s’agit donc de changer la perception des métiers. Ensuite, il y a du coaching ou du mentorat. Le programme ne se limite pas aux seules jeunes filles mais s’intéresse aussi aux femmes en reconversion.
Et il nous faut aussi communiquer autour de « rôles modèles ». Après tout, j’ai dirigé des entreprises technologiques mais je n’ai jamais été ingénieur. Et il y a des modèles historiques tels que Ada Lovelace (la première programmeuse), Catherine Johnson (connue pour son travail à la Nasa sur le programme Apollo), Hedy Lamarr (actrice star du cinéma et co-inventrice de l’étalement de spectre par saut de fréquence utilisé pour le Wi-Fi, le GPS, etc.)…
Elisabeth Moreno, une carrière exemplaire
Née au Cap-Vert en 1970 et arrivée en France en 1976, Elisabeth Moreno est titulaire d’une maîtrise en droit des affaires en France ainsi que d’un double Executive MBA de l’ESSEC et de la Mannheim Business School en Allemagne. Elle a également suivi un cursus à l’École nationale de la magistrature pour devenir juge consulaire (Tribunal de Commerce). D’abord entrepreneuse dans la réhabilitation énergétique des logements, elle a également un long parcours dans la direction d’entreprises technologiques (France Télécom, Dell…). Elle est ainsi devenue PDG de Lenovo France en 2017. En juillet 2020, Elisabeth Moreno est devenue Ministre de l’Égalité Femmes-Hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances dans le gouvernement de Jean Castex sous la présidence d’Emmanuel Macron. Après les élections de 2022, elle est retournée dans le monde de l’entreprise, avec un cabinet de conseil puis la direction pour le continent africain de Hewlett Packard. Ajoutons qu’Elisabeth Moreno a toujours eu d’importants engagements militants ou citoyens, notamment via le tissu associatif.
La crise sanitaire a provoqué un fort développement du télétravail mais cela a-t-il été réellement bénéfique pour les femmes ?
Il y a vingt ans, j’étais persuadé que le télétravail constituait un progrès considérable. Mais je n’avais pas, alors, identifié que le télétravail accroissait la charge mentale. Et c’est pire dans les familles monoparentales où le parent est généralement la femme.
On culpabilise bien plus les femmes en télétravail que les hommes, sous le prétexte que les femmes vont se consacrer à la garde des enfants et aux tâches domestiques. Rappelons que 85 % des tâches domestiques sont réalisées par les femmes.
En plus, on constate que, en général, à la maison, l’homme a un bureau. Mais la femme utilise la table de la cuisine. Elle n’a pas d’espace de travail. Et puis, déjà en présentiel, les femmes ont tendance à moins défendre leurs dossiers, leur pré carré. En télétravail, il y a moins de socialisation et c’est donc encore pire. Il n’y a donc pas d’égalité dans le télétravail.
J’ai quelques craintes sur les effets à long terme du 100 % télétravail annoncé chez Stellantis. Nous conservons le besoin de nous voir, de nous rencontrer.
Pourquoi avez-vous accepté la présidence de la Fondation Femmes@Numérique ?
J’ai été ministre en charge de l’égalité des femmes et des hommes et j’ai aussi vingt ans d’expérience dans l’IT. Je maîtrise donc les deux sujets qui me sont tous les deux chers, qui sont importants pour notre société d’aujourd’hui mais aussi celle de demain.
Et maintenant ?
Le programme TechPourToutes va beaucoup nous occuper ! Le sujet de la féminisation des métiers du numérique commence à la maison, se poursuit à l’école, dans les études supérieures et enfin en entreprises. Si le flux est insuffisant dès le départ, faute de sensibilisation des jeunes filles et de leurs parents, il y aura un problème à la sortie.
Pour réussir des changements sociétaux, il faut combiner trois éléments. D’abord, les politiques publiques, pour amorcer et donner le ton. Ensuite, il faut les entreprises qui vont faire. Enfin, il faut les associations pour faire bouger les lignes.
Nous nous appuyons et continuerons à nous appuyer sur le tissu associatif pour créer des boîtes à outils et valoriser des rôles modèles, sur les entreprises prêtes à agir (coaching, etc.) et, enfin, sur les écoles et les établissements d’enseignement supérieur.
Podcast - Pourquoi Elisabeth Moreno est devenue présidente de la fondation Femmes@Numérique
Ancienne ministre, Elisabeth Moreno est aujourd’hui présidente de la fondation Femmes@Numérique après de nombreuses responsabilités tant en entreprises qu’en politique ou dans des associations. Cette fondation vise à la féminisation des métiers du numérique en lien avec toutes les associations travaillant sur le sujet. Elisabeth Moreno considère que, après sa carrière et avec son expérience, accepter ce nouveau mandat était naturel.
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