François Tête (TotalEnergies) : « malgré notre taille, le Cloud reste plus grand que nous »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Le pétrolier Total est devenu l’énergéticien TotalEnergies. Derrière cette évolution majeure du groupe, l’IT a un grand rôle à jouer. De plus, les transformations technologiques (comme le Cloud) rebattent aussi les cartes au sein de la DSI. François Tête, DSI de TotalEnergies, explique ici ces (r)évolutions.
Après son changement de nom et sa réorganisation, que représente aujourd’hui le groupe TotalEnergies ?
La question est plutôt : comment Total s’est transformé en TotalEnergies avec une ambition zéro carbone en 2050. Nous avons toujours notre métier historique (pétrole et gaz) mais nous y avons ajouté l’électricité.
Nous avons, de ce fait, de nouvelles branches. Les trois branches traditionnelles existent toujours : exploration-production, raffinage-chimie et marketing-services. Cette dernière s’est diversifiée car nous y intégrons désormais le déploiement de bornes pour le rechargement de voitures électriques dans nos stations. Les comportements de charge électrique par rapport au plein de carburant sont différents et nous devons nous adapter et transformer notre réseau de stations. Selon nos études, les automobilistes rechargeront avant tout chez eux, puis au travail. On estime ensuite à environ 20 % la part des recharges dans le domaine public (parkings, stations, voirie).
Nous avons également une branche gaz-énergies renouvelables-électricité. L’ambition de celle-ci est de construire une chaîne intégrée, de la production d’électricité (solaire, éolien, un peu d’hydroélectrique… et centrales gaz pour la production pilotée) à la distribution B2B/B2C (comme l’ex-Direct Energie en France). Cette branche est aussi en charge du trading électrique. La fabrication de batteries (issue du rachat de Saft) y est également rattachée.
Seule la marque TotalEnergies est aujourd’hui utilisée pour toutes nos activités.
A ces branches s’ajoutent OneTech (qui regroupe les 3 400 ingénieurs, techniciens et chercheurs de la compagnie) et TGS (TotalEnergies Global Services) qui regroupe nos services partagés. OneTech vise à accompagner la transformation de la compagnie en mettant en commun les compétences de tous nos ingénieurs au service de l’excellence opérationnelle de la compagnie et de sa transition. Par exemple, les spécialistes du raffinage peuvent être formés au recyclage, ceux de l’extraction de pétrole off-shore au développement de l’éolien off-shore, etc.
Comment s’organise l’IT dans ce nouveau schéma ?
L’IT de TotalEnergies s’organise autour d’une entité de pilotage et une entité de delivery. La DSI de la compagnie, issue en 2022 du regroupement des DSI de chaque branche est en charge de toutes les fonctions régaliennes (cybersécurité, architecture, stratégie) et assure le pilotage des SI (pilotage budgétaire, feuille de route du SI de chaque branche). TGITS, l’une des 7 filiales de la branche TGS, est l’entité opérationnelle qui assure le delivery. Elle exécute les feuilles de routes, met en œuvre les projets et assure le « run » du SI
A côté, TotalEnergies s’est doté d’une Digital Factory en 2019. Celle-ci est chargée de fabriquer des MVP (minimum viable products, produits minimums viables). L’objectif est d’accélérer la transition du groupe avec une création de valeur via le digital de 1,5 milliard d’euros d’ici 2025. 300 personnes travaillent au sein de la Digital Factory, située au cœur de Paris
L’IT de TotalEnergies représente 2200 collaborateurs, la moitié dans la DSI compagnie et TGITS, l’autre moitié dans les sites et filiales des branches opérationnelles, pour un budget global de 1,4 milliard d’euros. Côté technique, c’est 14 000 serveurs, plus de 100 000 postes de travail et 37 000 To de données. Deux derniers chiffres : nous subissons 16 millions de cyberattaques par an dont 3200 qui donnent lieu à investigation par notre SOC ou notre CERT.
Retrouvez François Tête le 16 janvier 2024
François Tête, DSI de TotalEnergies, sera le Grand Témoin et Invité d’Honneur du Club Disruptor du 16 janvier 2024. Ce club sera consacré au thème « L’IT au service de la transformation de TotalEnergies ». En effet, l’IT a un grand rôle dans la transformation, depuis deux ans, du pétrolier Total en l’énergéticien TotalEnergies.
Et techniquement, comment est architecturé le SI de TotalEnergies ?
L’essentiel est aujourd’hui mutualisé. Il reste de l’IT en local pour gérer les sujets spécifiques des filiales dans nos près de 130 pays et pour assurer le lien avec le central.
Nos supercalculateurs Pangea servent toujours à nos activités d’exploration-production. Ils sont utilisés pour le traitement des données sismiques nécessaire à la découverte de gisements et pour des simulations de réservoirs. Mais ils peuvent aussi, désormais, être utilisés pour de la recherche et développement dans les nouvelles énergies comme la recherche sur des batteries plus efficaces, les simulations de vents pour l’énergie éolienne ou encore les calculs de structure pour la capture et le stockage de CO² (CCS : Carbon Capture and Storage) dans d’anciens réservoirs exploités de gaz ou de pétrole. Nous avons deux supercalculateurs en fonctionnement. Tous les cinq ans, nous en mettons un nouveau en service et nous décommissionnons le plus ancien. Leur puissance actuelle est de l’ordre de 30 pétaflops. Le futur Pangea IV sera complété par des ressources dans le cloud public.
Malgré votre taille considérable, vous recourez donc au Cloud public ?
En effet, malgré notre taille, le Cloud reste plus grand que nous !
Nous avons commencé dans le Cloud en 2017 avec la bureautique collaborative de Microsoft, Office 365. En 2020, ce choix nous a été bien utile et nous a aidé à traverser la crise sanitaire Covid-19. Nous avons apprécié ses capacités de sécurité, de résilience et de scalabilité. A l’issue de la crise, nous avons donc décidé d’utiliser davantage le cloud.
Nos nouvelles activités nécessitent de l’innovation et des systèmes d’information nouveaux. Et nous construisons ce dont nous avons besoin plus vite dans le cloud.
Comme les activités traditionnelles se transforment, notre Legacy doit se transformer avec nos activités. Le cloud étant flexible, c’est plus facile pour réduire ce qui doit l’être.
Notre cible, c’est 60 % de notre IT dans le cloud d’ici 2026. Nous avons une stratégie multi-cloud public avec Microsoft et AWS. Nous avons d’ailleurs conclu en 2021 avec chacun un contrat mêlant, d’un côté, la fourniture de ressources cloud et, de l’autre, la fourniture d’électricité « verte » nécessaire pour faire fonctionner leurs datacenters et accompagner ainsi leur propre transition énergétique. De ce fait, la transition vers le cloud sert aussi la transition de la compagnie qui renforce son rôle de fournisseur d’électricité.
Les 40 % qui ne migreront pas dans le cloud sont liés soit à des données sensibles, soit à du Legacy non-déplaçable, soit encore à des législations restrictives dans certains pays.
Votre transformation se traduit-elle aussi par des initiatives en matière de Green-IT et d’IT4Green ?
Tout à fait.
Pour le Green-IT, nous avons commencé par faire le bilan carbone de notre IT pour constater que 60 % des émissions IT étaient liées aux équipements eux-mêmes. Nous avons donc commencé par nous occuper de nos équipements. Par exemple, nous allongeons la durée de vie des PC (actuellement quatre ans) en visant un bon équilibre entre la productivité et cet allongement. Nous avons aussi réduit le parc d’imprimantes et supprimé les téléphones fixes. Le passage dans le Cloud amène l’usage de datacenters plus performants. Ceux qui nous restent sont eux aussi plus efficaces qu’avant. Nous procédons également à des nettoyages de données pour réduire le stockage. Et, bien entendu, nous alimentons nos bâtiments avec notre propre électricité verte. La responsabilité environnementale et la réalisation d’économies vont souvent ensemble.
Concernant l’IT4Green, il y a déjà la construction des SI de nos nouvelles activités. Nous avons également un programme de détection de méthane par drones avec des capteurs. Ce gaz est plus puissant que le CO² en termes d’effet de serre et la détection de fuites est donc essentielle. Nous proposons aussi un écocalculateur de performance environnementale de produits. Nous pouvons également citer de nombreux autres projets, notamment à base d’IoT dans les sites industriels.
Vous utilisez l’ERP SAP. Où en êtes-vous d’une éventuelle migration vers S/4Hana ?
Nous avons toujours, pour faire simple, un SAP ECC 6 par branche. Et ça marche très bien. Mais, comme vous le savez, nous sommes obligés d’évoluer puisqu’ECC arrive en fin de période de maintenance et nos métiers et organisations ont aussi évolué. Nous avons donc un projet de modernisation de nos ERP.
L’idée est d’avoir une instance d’ERP globale pour les fonctions transverses (finances, achats, gestion industrielle…) à laquelle s’ajoutera une série de verticaux par branches, adaptés à l’activité. SAP S/4 Hana est un candidat sérieux aussi bien pour l’instance globale que pour les instances spécifiques de branche.
Cette modularisation, et un retour fort vers les standards des éditeurs, sont, il nous semble, les clefs d’un ERP efficace et adapté à nos métiers. Pour ce faire, nous avons, il est vrai, un énorme chantier d’harmonisation data. Et, bien sûr, la cible est dans le cloud.
Comme d’autres DSI, constatez-vous une inflation déraisonnable des tarifs de certains fournisseurs ? L’open-source est-elle une solution ?
Il est incontestable que certains fournisseurs sont devenus incontournables. Il faut donc trouver des leviers de négociation… et nous y arrivons.
Gérer de l’open-source suppose de disposer de compétences particulières que nous n’avons pas forcément. C’est très différent de l’achat de prestations. Et ce n’est pas non plus la même rapidité de déploiement.
La guerre des talents est-elle, pour vous et, encore une fois, malgré la force de votre marque employeur, un sujet ?
Oui, c’est en effet un sujet, particulièrement dans des domaines critiques comme la cybersécurité ou l’architecture. Oui, de ce fait, nous avons besoin d’attirer comme de fidéliser des talents. Mais, c’est exact, nous avons une belle marque employeur, un véritable intérêt des collaborateurs potentiels pour nos projets, pour la transition énergétique. Enfin, nous travaillons sur des technologies intéressantes. Nous arrivons donc à trouver les talents dont nous avons besoin même si c’est parfois compliqué.
Nous avons aussi de gros programmes de formation (au Cloud notamment). Nous avons mis en place des ponts depuis le métier. Typiquement, un sujet comme la data est à cheval entre l’IT et le métier.
Pour terminer, quels sont aujourd’hui vos principaux défis ?
Le premier est évidemment d’être au coeur de la transformation de la compagnie. Il nous faut en effet construire le SI de nos nouveaux business tout en réduisant l’empreinte du Legacy.
Et le second, c’est de rester à la pointe de l’innovation technologique. L’IA est clairement le grand sujet du moment. La Digital Factory a d’abord travaillé sur la valorisation de la data mais la suite, c’est sans aucun doute l’IA. Nous avons d’ailleurs notre propre « ChatGPT » privé depuis août 2023 et nous avons de nombreux projets d’IA au bénéfice des métiers.
Podcast - Comment l’IT sert la transformation de TotalEnergies
Depuis deux ans, le pétrolier Total est devenu l’énergéticien TotalEnergies. Derrière la transformation des modèles de l’entreprise, notamment avec l’arrivée de l’électricité, l’IT a un très grand rôle à jouer. C’est ce qu’explique François Tête, DSI de TotalEnergies.