Audran Le Baron (Education Nationale) : « notre cap pour les quatre prochaines années est fixé »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Directeur du Numérique pour l’Education, Audran Le Baron n’est pas seulement DSI du Ministère de l’Education Nationale. Il détaille ici ses missions et sa stratégie ainsi que l’organisation informatique des administrations de l’éducation nationale, des établissements scolaires et universitaires ainsi que des organisations connexes.
Quel est le rôle de la Direction du Numérique pour l’Education (DNE) ?
Le périmètre de la DNE dépend de la double tutelle de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (Dgesco), la « direction métier » de l’Education Nationale, et du secrétariat général de trois ministères : Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et Ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. La DNE est issue de la réunion du numérique éducatif et des DSI des trois ministères. Outre l’Education Nationale, nous intervenons aussi sur la maîtrise d’oeuvre de certains systèmes des directions centrales des ministères. La « jeunesse » et les « sports » nous ont été rattachés récemment et nous travaillons encore à réinternaliser la maîtrise d’oeuvre de leurs systèmes propres en collaboration avec la DSI des Ministères Sociaux qui s’occupait d’eux précédemment.
Depuis l’arrêt de SIRHEN, notre SIRH est géré par un service à compétence nationale ministériel spécifique, le SEMSIRH, qui migre actuellement, par vagues successives, les personnels de l’Education Nationale dans l’outil interministériel RenoiRH. L’hébergement du SIRH est par contre assuré par la DNE. Nous sommes connectés aux systèmes interministériels comme Chorus et RenoiRH mais c’est Bercy qui les gère.
Pouvez-vous expliquer la répartition des compétences entre la DNE, les académies, les régions, les départements, etc. ?
La DNE est avant tout une DSI du ministère. Chaque académie a sa propre DSI qui gère le SI local et l’équipement. Les SI territoriaux sont aujourd’hui regroupés par régions sous l’égide des DRASI (directions régionales académiques au système d’information). La DNE gère les SI nationaux mais les forces de développement sont dans les DRASI où des équipes ont des « missions nationales. Celles-ci sont fonctionnellement rattachées à la DNE mais bien situées en académies. En tout, les équipes SI d’administration centrale et leurs missions nationales dans les territoires totalisent environ 800 agents répartis dans une quinzaine de bassins d’emplois, ce qui est évidemment une force quand le marché des ressources humaines est tendu.
La DNE gère plusieurs systèmes. Tout d’abord, le domaine « gestion scolaire » : tout ce qui permet de gérer les établissements (gestion des élèves, etc.). Ensuite, il y a le domaine « examens et concours ». Aujourd’hui, les copies du bac sont dématérialisées en vingt-quatre heures et réparties entre tous les correcteurs de manière dématérialisée. Enfin, nous avons aussi le SI des fonctions support centrales (finances, décisionnel, etc.).
Les outils destinés aux élèves ou à la relation élèves-parents-professeurs ne relèvent pas de la DNE. L’environnement numérique de travail (ENT) relève ainsi de la collectivité territoriale compétente (commune pour le primaire, département pour le collège, région pour le lycée). Certaines collectivités territoriales ont mutualisé leurs ENT. Par exemple, l’ENT de l’Académie de Rennes, Toutatice, est un logiciel libre utilisé aujourd’hui dans toute la Bretagne. Concernant la « vie scolaire », chaque établissement est libre de choisir son outil. Le plus connu et fréquent dans l’enseignement public est ProNote, aujourd’hui édité par une filiale de Docaposte. Dans l’enseignement privé, le plus fréquent est Charlemagne d’Aplim. Ces logiciels permettent de gérer l’emploi du temps, le cahier de liaison, le carnet de notes, etc.
Dans le cadre de l’État Plate-Forme, le ministère pose des règles de cohérence et d’interopérabilité. C’est notamment le cas pour le cahier des charges des ENT. Nous essayons d’apporter plus de cohérence à tous ces outils via la Doctrine Technique pour l’Education.
L’usage d’outils tels que Microsoft Office 365 ou Google Workspace étant exclu, comment gérez-vous la bureautique et la messagerie ?
Les relations entre l’équipe pédagogique, l’élève et les parents passent par l’ENT. Ce n’est donc pas du ressort de la DNE.
Pour ce qui relève de l’interne au ministère, historiquement, il y a une solution de messagerie unique mais dupliquée dans chaque académie. Il s’agit d’une solution qui appartient aujourd’hui à Oracle mais qui est en fin de vie (arrêt de la maintenance en 2024).
La doctrine est aujourd’hui de mettre en place davantage de consolidation et d’aller au-delà de la seule messagerie en mettant en œuvre un véritable collaboratif complet avec sauvegarde cloud, co-édition de documents, etc. En la matière, nous avons fait l’inventaire de ce qui est aujourd’hui utilisé dans les différents services et académies. Je crois que nous avons à peu près tout ce qui peut exister sur le marché.
La future solution unique sera basée sur des logiciels libres. A l’automne 2023, quatre académies serviront de pilotes. La généralisation sera effectuée courant 2024. La difficulté, c’est que nous avons à gérer 1,8 million de boîtes pour 1,2 million d’agents (la différence, ce sont des boîtes fonctionnelles). Aucun éditeur n’était capable de garantir que sa solution tiendrait le choc sauf Zimbra qui gère un déploiement de cinq millions de boîtes en Amérique du Nord et de trois millions en Inde. C’est le plus grand projet de ce genre en Europe. Le choix s’est donc porté sur Zlmbra que nous allons intégrer avec d’autres outils.
Au-delà de la messagerie, pour la visioconférence, nous avons misé très tôt sur le logiciel libre BigBlueButton. La solution est déjà déployée, tant pour les visio que pour les classes virtuelles, et est devenue interministérielle. Nous avons réalisé des développements partagés avec la communauté pour rendre la solution pleinement adaptée à la réalisation de cours en télé présence. Nous travaillons à son intégration « sans couture » avec la messagerie-agenda Zimbra.
Nous disposons également d’une solution de partage de fichiers baptisée Nuage (une implémentation de Nextcloud). Là encore, nous travaillons à son intégration dans Zimbra, notamment pour les pièces jointes de gros volume.
Nous sommes conscients de ne pas avoir les milliards de dollars d’un Google ou d’un Microsoft mais les solutions choisies sont toutes de grande qualité grâce aux travaux effectués par la communauté. Nous comptons aussi sur la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique) pour un travail sur des applications complémentaires.
Avec une structure des SI autant éclatée, comment pouvez-vous garantir que les données personnelles, notamment celles des enfants mineurs, sont bien gérées et à l’abri ?
Les systèmes nationaux opérés par les académies ne posent aucun souci. Tout est très cadré avec des règles de partages très bien formalisées, le cas échéant avec des conventions entre plusieurs partis (la DNE et la Région par exemple), pour garantir l’interopérabilité autant que le respect du RGPD. C’est notamment le cas pour les ENT qui s’appuient sur les annuaires académiques fédérés. Même chose pour les produits type ProNotes.
En cas de besoin, si l’ENT met à disposition des ressources pédagogiques (ouvrages numériques, applications pédagogiques…), il peut s’appuyer sur deux briques. La première est EduConnect, un gestionnaire d’identité pour les élèves et leurs parents avec un équivalent pour les enseignants. La deuxième est le Gestionnaire d’Accès aux Ressources (GAR) qui gère les droits d’usages : il y a tant de licences affectées à tel établissement, celui-ci les attribuant à tels ou tels individus qui pourront y accéder via l’ENT. Il n’y a qu’un seul gestionnaire de droits : il n’était pas question d’autoriser des éditeurs à imposer le leur. En imposant le GAR, nous pouvons garantir le respect de la conformité au RGPD grâce aux règles de connexion au GAR posées par le cahier des charges de connexion des prestataires. Les éditeurs ne reçoivent que les données qui sont pertinentes. Le GAR a été construit suite à un travail commun avec la CNIL. Nous ne pouvions pas faire autrement : les mineurs ne peuvent pas consentir à l’usage de leurs données personnelles.
Et côté infrastructures, quels sont vos grands choix ?
Côté réseau, nous avons Renater qui relie tous nos sites. Renater fournit des ressources au RIE (Réseau Interministériel de l’Etat) mais n’est pas à proprement parler raccordé au RIE.
Côté hébergement, chaque DSI académique avait sa salle informatique dans le rectorat. Depuis de nombreuses années, tous les systèmes nationaux sont hébergés sur un datacenter interministériel à l’état de l’art (nous avons ainsi 160 applications dans un datacenter des Douanes). Les SI académiques restent hébergés localement dans beaucoup de cas mais nous avons actuellement en cours un chantier de normalisation des salles avec la mise en place de l’hyperconvergence pour faciliter ensuite les migrations. Six académies ont d’ores et déjà basculé vers un datacenter à l’état de l’art (géré par le ministère de l’agriculture en l’occurrence) et toutes les migrations devraient être achevées d’ci trois ans. Nous progressons donc de manière continue vers le cloud privé.
Nous avons également un peu de cloud public via le marché public Cloud Cercle 3 de l’UGAP chez un opérateur français souverain (Scaleway en l’occurrence). Nous y hébergeons BigBlueButton pour garder une capacité à une montée en charge rapide en cas de besoin (une nouvelle épidémie par exemple). ou Peertube, qui permet aux agents de publier des vidéos sans publicité.
Votre coeur d’activité « métier » étant la formation, la guerre des talents numériques vous concerne-t-elle ?
J’ai eu une bonne surprise en arrivant à l’Education Nationale : l’existence de la famille de corps des ITRF (ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation). La plupart des informaticiens appartiennent à ces corps mais nous devons travailler encore sur leur attractivité. Et nous avons également de plus en plus de contractuels. Pour ces derniers, nous pouvons nous appuyer sur la grille de rémunération de la DINUM qui permet de recruter avec un niveau de salaire comparable au privé. Mais ça reste tout de même compliqué.
En académies, les équipes dédiées au service quotidien vont être libérées au fur et à mesure de la consolidation des services numériques, ce qui implique des évolutions de l’organisation, des rôles et des compétences.
Au-delà des projets dont nous avons déjà parlé, quels sont vos principaux défis ?
En 2022, nous avons beaucoup travaillé pour écrire ce que nous voulions faire. Ainsi est née la stratégie numérique pour l’éducation. Celle-ci est partagée par tous les acteurs concernés, bien au-delà de la seule DNE. Nous avons maintenant quatre ans pour réaliser ce que nous avons écrit. Nous avons fixé le cap mais le voyage reste à faire.
Podcast - Education Nationale : le plus grand projet de collaboratif en Europe
Audran Le Baron est Directeur du Numérique pour l’Education. Il est ainsi DSI ministériel des ministères de l’Education Nationale, de la Jeunesse, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il est également en charge de la politique publique du numérique éducatif. En tant que ministères, il était impossible de déployer sur ces périmètres une solution SaaS de type Microsoft Office 365 / Google Workspace. Mais il fallait renouveler une messagerie obsolète de 1,8 million de boîtes. Par la même occasion, il s’agit de déployer un collaboratif complet. C’est là le plus important projet de collaboratif en Europe.
Une vision pour le numérique de l’Education Nationale
« Numérique pour l’éducation 2023-2027 - La vision stratégique d’une politique publique partagée » est un document de référence publié en janvier 2023 issu des travaux opérée l’année précédente. Il se télécharge sur le site du Ministère de l’Education Nationale.
Ce document comporte une première partie de constats et enjeux et une seconde, plus conséquente, détaillant la « vision stratégique ». Celle-ci se décline en quatre chapitres : l’organisation de l’écosystème avec une focalisation sur la gouvernance, l’enseignement du numérique, l’offre de solutions à la communauté éducative et enfin un ensemble de règles pour garantir que le SI ministériel répondra aux attentes des utilisateurs.