Franck Le Moal (LVMH) : « l’innovation ne vaut que par les cas d’usages »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Le groupe LVMH est présent sur VivaTech pour présenter les innovations de 18 Maisons. Franck Le Moal, Directeur IT et Technologie du groupe LVMH, explique sa stratégie.
Pouvez-vous nous présenter le groupe LVMH ?
LVMH est le premier groupe de luxe au monde. Aucun concurrent n’a la même surface. Nous sommes présents dans plusieurs divisions : la mode et la maroquinerie (Louis Vuitton, Christian Dior Couture, Celine, Givenchy…), les vins et spiritueux (Moët & Chandon, Belvédère, Cheval Blanc, Château Yquem…), les parfums et cosmétiques (Parfums Christian Dior, Parfums Givenchy, Kendo…), la distribution sélective (Sephora, Le Bon Marché…), l’horlogerie et la joaillerie (TAG Heuer, Tiffany & Co, Hublot, Bulgari…), ou encore l’hôtellerie (Belmond). Nous avons près de 200 000 collaborateurs dans 81 pays qui nous permettent de générer 79 milliards d’euros de ventes. Nous disposons de 6000 magasins et de nombreux sites de production, essentiellement en Europe, dont 110 en France.
LVMH est un groupe familial avec un véritable attachement au développement patrimonial sur le long terme.
Comment organisez-vous votre IT ?
LVMH est un groupe très vaste avec des activités significativement différentes malgré des points communs comme l’art de vivre et le luxe. Nous sommes avant tout des créateurs, des producteurs, avec une distribution contrôlée et une longue histoire d’entrepreneur. Historiquement, le groupe est assez décentralisé.
L’IT suivait cette logique décentralisée avec des marques assez autonomes. Mais, depuis quelques années, nous cherchons à regrouper l’IT par grandes divisions (vins & spiritueux et cosmétiques notamment).
Quels sont, de ce fait, les grands principes de votre stratégie ?
Depuis quelques années, donc, nous essayons autant que possible d’harmoniser et de globaliser pour rendre notre accélération digitale plus efficace. Mais, ce sont bien les différentes Maisons qui mettent en œuvre -in fine- opérationnellement les choix réalisés de plus en plus souvent en commun. Il est évident que l’on est toujours plus fort ensemble et nous avons mis en place, par exemple, des centres d’expertises Groupe. Depuis trois-quatre ans, le principe est donc le partage, l’harmonisation et la mise en œuvre de modules communs.
Cette démarche a été amorcée avec et pour la transformation digitale de nos Maisons. Je vais prendre quelques exemples. Pour l’e-commerce et l’omnicanalité, Sephora, Louis Vuitton, Christian Dior Couture ont été nos pionniers. Nous avons désormais un accord mondial avec Salesforce. Pour la relation client et le CRM, nous avons une « Clienteling Factory » au niveau Groupe dont les outils sont mis à disposition des Maisons qui, chacune, reste propriétaire et opérateur de son implémentation. De même, nous avons une Data Factory d’une cinquantaine de personnes au niveau Groupe avec des data techs, des data analysts, etc. Nous avons signé un partenariat avec Google Cloud et Dataiku pour ce chapitre en 2021. Nous avons construit un composant-coeur baptisé « ATOM » qui est mis à disposition de chaque Maison. Mais, à l’inverse des algorithmes IA créés au niveau Groupe, l’information client reste la propriété de chaque Maison, sans aucun partage entre elles. S’il n’est pas nécessaire de refaire vingt fois les mêmes développements d’algorithmes, la clientèle demeure spécifique à chaque Maison.
Deux sujets importants sont nettement plus globalisés. D’abord, la cybersécurité est presque entièrement globalisée au niveau Groupe avec un SOC groupe et une coordination d’équipes locales dans nos Maisons et régions. C’est donc un modèle fédéré. Et puis, évidemment, ce que l’on peut appeler « l’IT de base » peut être nettement plus rationalisée et harmonisée. Il s’agit d’abord d’outils tels que la bureautique et le collaboratif. Et c’est aussi le cas de notre démarche Move2Cloud, essentiellement vers Azure, GCP et, en Asie, Alibaba. Nous resterons hybrides et multiclouds car nous voulons absolument éviter une dépendance à l’égard d’un seul fournisseur.
Vous vous rendez à VivaTech avec une présence importante du groupe LVMH. Pourquoi une telle présence ?
VivaTech devient un événement mondial, à visibilité significative. Tous les grands acteurs de la technologie, y compris d’Asie et des Etats-Unis, y sont présents, tout comme des milliers de start-ups. Notre rôle est aussi de contribuer au rayonnement de la France et, en ce sens, nous avons voulu aider Maurice Levy à développer cette manifestation en faisant partie, dès le début de l’aventure, des partenaires fondateurs de l’événement. Par rapport à d’autre salons (comme le CES de Las Vegas par exemple), Viva Tech est plus qu’un salon technologique puisqu’on s’y consacre surtout à l’innovation, en particulier autour de quelques thèmes (IT4Good, IT4Green…) afin d’accompagner au mieux la transformation des entreprises.
LVMH n’est pas et ne veut pas être une « Tech Company » mais, ce qui nous intéresse, c’est d’innover en nous appuyant sur la technologie.
Plus concrètement, qu’allez-vous réaliser sur VivaTech ?
D’une part, en matière de collaboration avec les start-ups, nous organiserons comme chaque année le LVMH Innovation Award. Depuis 2017, cet événement récompense les startups les plus créatives dans leur catégorie et a su s’imposer au fil des années comme un rendez-vous incontournable de Viva Tech. L’attractivité de l’Innovation Award ne fait que se confirmer, en témoigne le nombre record de candidatures de startups reçues cette année : plus de 1300 dossiers de candidatures en provenance de 75 pays ont été reçus contre 950 en 2022. Sur ces 1300 dossiers, nous avons sélectionné 18 startups finalistes.
A la fin, il n’y aura qu’un vainqueur dans chacune des catégories : expérience utilisateur, branding, expérience client, excellence opérationnelle, retail et omnicanal, Green Tech et sustainability. Il y aura en plus un grand gagnant « toutes catégories » ou « hors catégorie » dont le prix sera remis par Bernard Arnault en personne le 15 juin 2023. L’année dernière, c’est la startup Toshi qui avait remporté le LVMH Innovation Award pour sa solution permettant d’amener l’expérience en magasin jusqu’au domicile du client.
D’autre part, 18 Maisons du groupe LVMH présenteront leurs propres innovations, pas seulement d’un strict point de vue technologique. Les innovations relèvent par exemple du développement durable (notamment pour les emballages), de l’omnicanalité, du métavers (immersive customer experience)… Parfois ces innovations sont issues de développements strictement internes, parfois de collaborations avec nos start-ups partenaires. Il y a deux ans, nous avions ainsi sélectionné une startup suédoise, Bambuser, qui travaille aujourd’hui pour plusieurs de nos Maisons autour de la vente à distance via vidéo depuis une application clients. L’an passé, Toshi, spécialisé dans l’expérience client au niveau du dernier kilomètre, avait été choisi de la même façon et travaille aujourd’hui avec certaines de nos Maisons. Ce qui est important dans ce type de collaboration, c’est d’aider les start-ups à travailler avec les Maisons et à passer à l’échelle.
Enfin, face au problème de l’attractivité des entreprises vis-à-vis des talents du numérique, VivaTech est aussi une manière de montrer nos réalisations et de séduire de nouveaux talents.
Au-delà de thématiques, pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets d’innovations que vous présentez à VivaTech ?
Bien sûr. Pour commencer, Louis Vuitton proposera aux visiteurs une expérience immersive en 3D qui les plongera au cœur de son savoir-faire et de son atelier historique, à Asnières.
Tiffany présentera une modélisation 3D de ses créations.
La Maison Christian Dior Couture présentera, quant à elle, l’expérience omnicanale offerte dans sa boutique emblématique du 30 Montaigne avec paiement transparent, relation personnalisée, livraison incluse dans le processus…
Du côté de Moët Hennessy, nous présenterons un usage de la data pour le suivi et l’optimisation de la collecte des raisins.
Ruinart et Moët & Chandon montreront les progrès des packagings de bouteilles en matière de respect de l’environnement. Même un tel sujet bénéficie de la technologie numérique au travers de l’optimisation de la conception et de la création. Aujourd’hui, le développement des produits est systématiquement en 2D/3D dès le début du processus de création. L’optimisation passe par les bons choix opérés dès le départ et le suivi du projet sans fragmenter la chaîne de traitement digitale. C’est donc le même actif numérique qui va évoluer de la conception jusqu’à la livraison finale au client.
Cependant, je tiens à rappeler que l’innovation ne vaut que par les cas d’usages. En matière d’IA et de traitement de la data, nous avons ainsi une cinquantaine d’algorithmes mis à disposition des Maisons. Chez nous, par exemple, amener le bon produit au bon moment à la bonne personne est tout à fait essentiel. Sur VivaTech, nous avons une démarche d’entrepreneur et c’est quelque chose de très important pour nous.
Quels défis vous restent-ils à relever ?
Le premier, c’est bien sûr de mieux utiliser la data et de continuer à « augmenter » nos métiers grâce à la data. Nous avons mis en place une « LVMH Data Academy » pour justement accroître l’acculturation de nos équipes à ces sujets. Mais, et c’est très important, les usages de la data doivent toujours rester éthiques et respectueux autant de nos clients, de nos collaborateurs que de nos process de haute-qualité.
Un deuxième sujet est l’amélioration de la traçabilité de nos produits en lien avec un moindre impact environnemental. Nous devons ainsi renforcer le sentiment d’unicité de nos produits tout en optimisant notre efficience environnementale, notamment avec le Green IT mais aussi l’IT4Green.
Je vais aussi citer la systématisation des jumeaux numériques. 3D Design, 3D Factory, Digital Twin… Tous nos produits peuvent être accompagnés - quand cela apporte une valeur ajoutée - par leur jumeau numérique.
Bien sûr, la résilience et la continuité demeurent des défis, surtout dans des entreprises fondamentalement exposées comme les nôtres. On ne peut pas parler de digital sans parler de cybersécurité.
Enfin, pour terminer, je vais citer notre prochain grand chantier technique. Chaque Maison a aujourd’hui son propre ERP. Il va s’agir pour nous d’harmoniser ce vaste territoire. La performance de notre transformation omnicanale passe aussi par des plateformes de Supply, de Manufacturing, d’opérations et de Finance refondue et dernier cri…. C’est toute notre chaîne IT que nous boostons.
Podcast - Pourquoi LVMH est présent sur VivaTech 2023
Franck Le Moal, group CTIO de LVMH, revient sur les raisons de la présence de LVMH au salon VivaTech du 14 au 17 juin 2023. Tout d’abord, il s’agit pour LVMH d’identifier les start-ups présentes qui pourraient être partenaires dont certaines seront incubées par LVMH à Station F. D’autre part, LVMH y mettra en perspectives les innovations de 18 grandes Maisons du groupe sur des sujets variés comme l’omnicanalité, l’optimisation de l’empreinte environnementale, l’expérience-client (comme la réalité augmentée)…