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Le Medef conclut son Tour de France de l’IA sans fumée blanche

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Après une vingtaine d’étapes dans toute la France, le Medef a conclu son Tour de France de l’IA à Paris le 4 février 2025, deux jours avant le lancement de « La Semaine pour l’Action sur l’IA », avec un enthousiasme euphorique mais où le concret se cherche.

De gauche à droite : Patrick Martin, Clara Chappaz et Véronique Torner. - © Républik IT / B.L.
De gauche à droite : Patrick Martin, Clara Chappaz et Véronique Torner. - © Républik IT / B.L.

« Les patrons disent tous que l’IA est une priorité mais moins de quatre sur dix ont mis en place des actions ou une stratégie » a regretté Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence Artificielle et au Numérique, en ouvrant la dernière étape du Tour de France de l’IA à Paris le 4 février 2025. Organisé par le Medef, ce « Tour de France de l’IA » a connu une vingtaine d’étapes sur l’ensemble du territoire national depuis l’automne 2024. Robin Rivaton, ambassadeur du Medef pour cette manifestation, a pu se réjouir d’une assez forte affluence dans toutes les étapes, avec plus d’une centaine de participants à chaque étape même dans les petites villes de province. Oui, l’IA intéresse, l’IA fascine. Mais, concrètement, comme l’a justement souligné la ministre, les entreprises françaises vont-elles se décider à massivement l’adopter ?

Robin Rivaton a souligné que, pour la première fois, une révolution technologique majeure, l’intelligence artificielle (notamment l’IA générative), était plus massivement adoptée par des individus plutôt que par les entreprises. Et les entreprises sont soumis à des pressions contradictoires : d’un côté, les salariés enthousiastes qui exigent son adoption, de l’autre les salariés craignant pour leur emploi qui freinent au maximum. Il a rappelé un précepte sans doute juste : « votre emploi ne sera pas pris par une IA mais votre entreprise sera peut-être remplacée par une entreprise ayant adopté l’IA. » L’énorme baisse des coûts des solutions basiques, inédite par sa rapidité pour une technologie récemment diffusée largement, permet d’envisager de nombreux cas d’usage sans recours à des outils onéreux.

L’IA, l’IA, l’IA…

Mais, pour parodier Charles De Gaulle, les patrons français ne seraient-ils pas du genre à sauter sur leur chaise comme des cabris en criant « l’IA, l’IA, l’IA » sans rien faire ? A quelques jours de l’ouverture de « La Semaine pour l’Action sur l’IA » organisée par le gouvernement, il reste essentiel et nécessaire de démontrer l’importance de l’IA dans la performance des entreprises. « Il faut montrer que l’IA est fondamentale pour gagner en productivité, que ce n’est pas un ‘truc de Parisien’ » a martelé Clara Chappaz. Elle a reconnu : « même si le ROI n’est pas évident, ne pas agir, c’est risquer le déclassement ».

Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence Artificielle et au Numérique - © Républik IT / B.L.
Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence Artificielle et au Numérique - © Républik IT / B.L.

Pourtant, la ministre a répété le discours de sa récente conférence de presse : l’écosystème français de l’IA est remarquable. Partout dans le monde, des Français équipent des entreprises. Pour la ministre, les entreprises utilisatrice doivent « jouer collectif » et recourir aux solutions françaises d’IA (pas nécessairement des seules start-ups) au lieu de persister à acheter des produits américains. Les entreprises s’y refusant dans la bureautique collaborative ou les solutions de communication joueront-elles le jeu pour l’IA ? La question est posée. La ministre a malgré tout salué l’important travail mené par le Medef et Numeum pour inciter les entreprises à franchir le pas et à surfer sur la vague de l’IA car « il ne faut pas prendre de retard ». La volonté de la France, de plus, est de créer une IA qui profite à tous, partout dans le monde.

Une IA pour tous, tous pour l’IA

De son propre aveu, Patrick Martin, président du Medef, dirige une ETI, fondée il y a 200 ans, de 3000 collaborateurs et un milliard d’euros de chiffre d’affaires, dans une activité très traditionnelle, en l’occurrence la distribution professionnelle de matériel de second œuvre technique du bâtiment, de fournitures industrielles et d’aciers. Et, souligne-t-il, il est pourtant absolument persuadé de la nécessité d’adopter l’IA. Il n’a cependant pas précisé quels projets il menait en la matière dans sa propre entreprise. La mise ne place d’un dialogue social autour de l’IA, réclamé par des syndicats, a été à peine évoqué, si ce n’est pour préférer des accords d’entreprises plutôt que des règles en « droit dur », c’est à dire législatives ou réglementaires.

Véronique Torner, présidente de Numeum, a, pour sa part, rappelé que le Tour de France de l’IA était une idée et une initiative communes du Medef et de Numeum. L’objectif était d’aller parler partout dans le pays à tous les acteurs économiques. Et il s’agissait aussi de présenter les enjeux autour de l’IA comme la confidentialité des données ou la souveraineté. Pour Véronique Torner, la révolution de l’IA est comme une « nouvelle révolution du Numérique version XXL ».

IA honnie, IA bénie

Céline Bracq, directrice générale du cabinet Odoxa est venu rappelé quelques résultats du baromètre annuel mené depuis cinq ans pour le Medef sur la perception de l’innovation par la population générale. Cette année, le thème en était l’IA et l’enquête a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 2000 Français. Pour Céline Bracq, il faut abandonner l’idée reçue que les Français n’aiment pas l’innovation, même si le premier mouvement est souvent la méfiance. 70 % des répondants ont le sentiment de profiter du progrès. Ceux qui utilisent l’IA en ont une image plus positive que les autres mais il faut que les entreprises sachent rassurer leurs collaborateurs. Et la régulation est une attente forte vis-à-vis de l’État.

Un exemple vaut mille mots. Pour convaincre d’utiliser l’IA, le Medef a naturellement fait témoigner des utilisateurs et des prestataires. Philippe Savajols, président de l’aménageur de locaux Isospace, n’a pas témoigné sur la conception d’aménagements par IAG mais sur l’usage de l’IA et du Machine Learning en comptabilité pour traiter les milliers de pièce comptables mensuelles. David Krieff a, lui, témoigné de l’usage de l’IA pour anticiper les flux de passagers à divers échelles temporelles : des années pour guider les investissements, une semaine pour gérer les affectations de ressources humaines, une heure pour gérer les flux de taxis. Solenne Blanc, directrice générale du groupe de presse Beaux Arts et Cie, a expliqué les apports de l’IA mais aussi ses risques (rémunération des auteurs, propriété intellectuelle des œuvres…) en matière d’arts.


Sur la photographie

De gauche à droite :

- Patrick Martin, président du Medef ;

- Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence Artificielle et au Numérique ;

- Véronique Torner, présidente de Numeum.

Le programme chargé de « La Semaine pour l’Action sur l’IA »

La « Semaine pour l’Action sur l’IA », organisée par le gouvernement français, commence jeudi 6 février 2025. Elle a été présentée par Anne Bouverot, envoyée spéciale du Président de la République au AI Action Summit, lors de la dernière étape du « Tour de France de l’IA » à Paris le 4 février 2026.

Jeudi 6 et vendredi 7 : journées scientifiques, sur le campus de Paris Saclay, avec l’Institut Polytechnique de Paris (fédération de grandes écoles d’ingénieurs).

Samedi 8 et dimanche 9 : journées culturelles avec des réflexions sur l’impact de l’IA sur la culture.

Lundi 10 : AI Action Summit, sommet mondial avec des représentants d’une centaine de pays, co-présidé par Emmanuel Macron et Narendra Modi (premier ministre de l’Inde).

Mardi 11 : Business Day à Station F.