Stéphanie Schaer (DINUM) : « cloud et IA sont deux virages à prendre mais avec un accompagnement »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Un an après l’adoption d’une nouvelle stratégie numérique de l’Etat, lancée avec le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, et feuille de route de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique), Stéphanie Schaer, sa directrice, fait un point sur son avancement. De la bascule vers le cloud à l’IAG Albert, les projets se multiplient.
Il y a un an était publiée la nouvelle feuille de route de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique). Est-elle toujours d’actualité ?
Oui, tout à fait, les priorités fixées à l’époque sont toujours les mêmes. Et, en fait, il s’agit de mettre le numérique au service de nos politiques publiques pour rendre Etat plus simple, plus efficace et plus souverain.
L’IAG (intelligence artificielle générative) est un bon exemple pour éprouver cette stratégie. Plus simple : l’IAG simplifie les tâches et donc la vie des agents. Plus efficace : il s’agit de gagner en délai en réduisant la part des tâches chronophages et rébarbatives pour que les agents aient plus de temps à consacrer à ce qui est réellement porteur de valeur. Plus souverain : les modèles qui traitent de données sensibles ne fonctionnent que dans des infrastructures maîtrisées et Albert, notre IAG, est basée sur des modèles libres opérés par l’État, entraînés par la DINUM avec une totale maîtrise de l’État.
L’expérimentation en cours la plus avancée est avec l’ANCT mais Albert est d’ores et déjà plébiscité par différents ministères. Une cinquantaine d’administrations ont en effet pris contact avec nous suite à cette expérimentation et la communication induite autour du produit. Nous avons créé une communauté, baptisée « allIAnce », fédérant toutes les expertises : administrations, laboratoires de recherche (CNRS, INRIA…), entreprises privées… Déjà, il y a une dizaine de projets qui sont financés. L’objectif est bien de s’approprier cette technologie sur des projets très concrets. D’abord, nous travaillons sur des périmètres restreints et des problèmes bien identifiés avant de mener le passage à l’échelle dans différents ministères si l’expérimentation s’avère concluante, c’est à dire si elle a un impact réel permettant de répondre aux problématiques identifiées.
Notre défi du moment est de bien prouver la valeur fournie.
Retrouvez Stéphanie Schaer à l’IT Night
Stéphanie Schaer interviendra lors de l’IT Night le 27 mai 2024.
Vous avez récemment formalisé une coopération avec l’Allemagne. Pourquoi une telle coopération et pourquoi juste l’Allemagne ?
Nous sommes là sur l’axe souveraineté : maîtriser les briques au coeur du quotidien des agents, en général avec des logiciels libres reposant sur des communautés internationales.
Nous avons regardé quels autres pays, notamment européens, avaient la même stratégie. Au niveau de l’Union Européenne, il existe un organe de concertation entre organismes homologues à la DINUM dans chaque pays. Il se trouve que nous avons constaté que l’Allemagne avait une stratégie très proche de la nôtre. Il y avait déjà de nombreux échanges au niveau des équipes. Nous avons donc décidé de conclure un accord formel pour faire avancer les coopérations notamment au niveau du poste de travail et de l’IA.
Bien sûr, nous cherchons à étendre cette collaboration à d’autres pays. Et nous avons des échanges avec plusieurs.
Si on prend l’exemple de la messagerie instantanée Tchap, il y a 200 000 utilisateurs en France. Mais la même base libre est utilisée par d’autres pays, notamment l’Allemagne et le Luxembourg. Et chaque grand utilisateur pousse le développement de fonctionnalités correspondant à ses besoins propres qui vont enrichir la base commune. Le nom du produit, bien sûr, varie selon les pays.
D’une manière générale, quand on travaille sur des briques libres, on a évidemment des opportunités régulières d’échanger avec nos homologues ou d’autres membres de la communauté. Et nous serions ravis que d’autres pays nous rejoignent pour collaborer sur les mêmes produits que nous.
Le produit qui est sans doute le plus attendu est la bureautique collaborative. Où en êtes vous ?
Nous ne faisons pas encore de grande communication sur ce sujet. Les travaux sont toujours en cours et sont menés de manière intégrée avec les différents ministères. Le but est d’avoir un outil modulaire commun qui s’interface le plus facilement possible avec l’IT des différents ministères. C’est déjà le cas, par exemple, de la brique de webconférence de l’État qui s’intègre bien à la messagerie.
Mais l’axe fort de la mise en œuvre est la facilité d’usage, notamment au travers de l’authentification unique et intégrée des agents. En effet, l’offre de service sur cet environnement numérique de travail doit être porteuse de valeur.
Beaucoup de briques existent et sont déployées mais, pour un produit finalisé, il faut encore attendre quelques mois. Les briques sont encore trop posées les unes à côté des autres. L’intégration doit permettre d’accroître la fluidité du passage d’un outil à un autre.
Autre sujet du moment, le cloud. La multiplication des acteurs SecNumCloud et l’arrivée de S3NS changent-elles la donne pour vous ?
Notre stratégie, « Cloud au centre », a été bien définie. Et cette stratégie est fondamentale pour mener la transformation numérique de l’État et, surtout, faciliter le passage à l’échelle des différents produits. Mais cela nécessite aussi d’accompagner les administrations car, quand on est sur le cloud, on se doit de développer ses produits autrement. Il y a un vrai intérêt des ministères pour cette approche.
Nous avons bien précisé la notion de données sensibles, avec des niveaux, et donc la nécessité de recourir aux clouds d’État (Pi, Nubo…) ou bien simplement à des hébergeurs SecNumCloud.
Cloud et IA sont deux virages à prendre mais qui nécessitent l’un et l’autre un accompagnement. Nous sommes sur la bonne voie mais certains produits ne sont pas encore prêts à migrer.
Un rapport de la Cour des Comptes a été assez critique sur l’efficacité de la transformation numérique de l’État. Qu’avez-vous à y répondre ?
Comme pour tout rapport de la Cour des Comptes, les administrations concernées disposent d’un droit de réponse. Nous avons donc répondu à ce rapport. La DINUM focalise ses interventions, y compris au travers des start-ups d’État ou des entrepreneurs d’intérêt général, sur les politiques prioritaires du gouvernement. Et nos interventions transforment en profondeur les méthodes de travail et la manière de concevoir les services publics permettant de centrer les actions et le développement de produits selon l’impact observé. L’impact de nos actions est donc certain.
Et nous sommes aujourd’hui en mesure d’intervenir rapidement en cas de besoin parce que nous avons une parfaite maîtrise du mode produit et de la méthode agile par itérations. Plusieurs administrations ont elles aussi su adopter ces approches.
Quels défis voyez-vous pour 2024 ? Etes-vous, par exemple, concernés par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ?
Les équipes opérationnelles sont bien sûr concernées par les Jeux Paris 2024. Je pense notamment au RIE (Réseau Interministériel de l’État) qui doit garantir le bon fonctionnement des connexions nécessaires à toutes les solutions que l’État utilise. A cette fin, nous avons encore renforcé nos outils de cybersécurité.
Nous avions déjà un SOC, bien entendu, mais nous l’avons transformé en un CSIRT interministériel pour les produits opérés par la DINUM. Celui-ci a été mobilisé sur la récente attaque DDoS. Comme le souhaite l’ANSSI, le CSIRT de la DINUM est en réseau avec les CSIRT de chaque ministère et les CSIRT régionaux.
Si le premier défi est donc la cybersécurité, le suivant est évidemment l’IA et plus particulièrement l’IAG. En 2024, nous aurons les premiers résultats et nous pourrons tirer les premières leçons pour affiner une offre de services et bien accompagner la transformation des administrations.
Et tout ce que nous faisons, au final, doit aboutir à simplifier la vie des citoyens. Grâce aux API et aux interconnexions entre les applications, nous devons achever le « dites-le nous une fois ». Le nombre d’API référencées sur API.gouv.fr s’accroît et cela facilite grandement le travail des administrations pour se connecter les unes aux autres.
Dans la même optique, nous continuons de mettre à disposition des outils communs, le plus bel exemple étant sans doute Démarches-Simplifiées. Nous avons beaucoup investi sur celui-ci pour continuer de le faire progresser. Le sujet du moment est l’intégration de la brique prise de rendez-vous. C’est un outil, aujourd’hui très mature, clé-en-main pour les administrations qui a permis un grand bond en avant de la dématérialisation.
Enfin, et c’est nouveau, au deuxième semestre 2023, nous avons mis en place une « DRH de la filière numérique de l’Etat ». L’équipe dédiée va pouvoir travailler à développer l’attractivité et les parcours de carrière pour le numérique de l’État et, bien entendu, aussi le Campus du Numérique. Pour la troisième fois, le 25 mars dernier, nous avons formé des directeurs d’administrations centrales au cours d’une session ouverte par l’intervention de deux ministres, Stanislas Guérini et Marina Ferrari. Ces sessions sont très appréciées des participants. Nous commençons également à organiser des master-class sur des sujets comme l’IA, le cloud, la cybersécurité… pour former non seulement les utilisateurs mais aussi les managers. Certaines de ces master-class visent à simuler des comités d’investissements pour mieux préparer l’avenir.
Podcast - Pour un Etat plus efficace, plus simple et plus souverain
Directrice de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique), Stéphanie Schaer rappelle d’abord ce qu’est cet organisme. Puis elle revient sur la feuille de route publiée il y a un an, montrant qu’elle est toujours d’actualité. Grâce aux interconnexions des différents systèmes, l’État peut achever la démarche « dites-le nous une seule fois ». Et 2024, c’est bien sûr aussi pour la DINUM, l’année de l’IA et de l’IAG au bénéfice de tous.