François Gauthier (Veolia) : « nous sommes passés du Move2Cloud au Better Cloud »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Le spécialiste de l’eau, des déchets et de l’énergie Veolia a développé une stratégie cloud ambitieuse et un environnement maîtrisé pour l’IAG. François Gauthier (Responsable Global DB&T Communities and Partnerships, Veolia Group) explique ces projets et leur contexte.
Pouvez-vous nous présenter Veolia ?
Veolia est un acteur mondial de la transformation écologique notamment dans ses trois activités complémentaires la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Nous réalisons environ 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur les cinq continents grâce à nos 218 000 collaborateurs. Notre activité eau concerne d’une part la production d’eau potable, d’autre part le traitement des eaux usées. Concernant les déchets, nous assurons la collecte mais aussi le traitement et la valorisation. Enfin, dans le secteur de l’énergie, nous proposons des services en efficacité énergétique, en gestion de réseaux de chaleur et de froid, et de la production d’énergies renouvelables.
Comment sont organisées les fonctions IT au sein de Veolia ?
La direction Digital Business & Technology (DB&T) rassemble I’IT, le digital et la data. Nous avons regroupé l’ensemble de ces fonctions depuis un an et demi pour mieux travailler ensemble et nous rapprocher de nos métiers.
Veolia est historiquement très décentralisé. Nous avons des divisions par grandes plaques géographiques (France, Europe de l’Est, Amérique du Nord…) sauf pour une activité mondiale transverse, Watertech (conception d’usines d’eau potable ou usées, fournitures d’équipements et de produits chimiques pour le traitement de l’eau, services pour la gestion des installations de traitement d’eau). Dans presque chaque division, il y a une déclinaison de DB&T regroupant localement IT, digital et data.
Chacune de ces déclinaisons locales rapporte hiérarchiquement à la division à laquelle elles appartiennent mais a évidemment des liens fonctionnels forts avec la DB&T groupe. Mon rôle est de coordonner le travail des différentes DB&T, d’une part en animant le réseau, d’autre part en cherchant à définir par la voie du consensus les grands programmes structurants au niveau groupe et enfin en favorisant la cross-fertilisation (“copy & adapt”) des solutions digitales et des cas d’usage en Intelligence Artificielle entre les business units.
Nous agissons de trois manières. D’abord, il y a l’impulsion groupe qui se décline localement en top-down classique. Ensuite, nous sommes à l’écoute des DB&T locales pour leur proposer le support des experts du groupe. Enfin, nous sommes aussi une tour de contrôle pour identifier les bonnes initiatives locales qui pourraient générer de la valeur ailleurs, et ainsi éviter de refaire les investissements dans une autre géographie..
Enfin, depuis peu, je travaille aussi aux relations avec des acteurs tiers, qu’il s’agisse de géants de la technologie comme de start-ups. En effet, nous nous sommes aperçus que nous ne profitions pas forcément toujours de toute l’innovation possible issue de nos partenaires. Nous voulons donc passer d’une relation client-fournisseur à une relation réellement partenariale. Nous avons aussi à développer les relations avec les écoles (y compris pour accroître notre attractivité, par exemple en parrainant une promotion de Telecom Paris) et les laboratoires de recherche.
Retrouvez François Gauthier à l’IT Night
François Gauthier est membre du jury des Trophées de l’IT Night. Il assistera donc aux présentations des candidats le 30 avril 2024 et à la cérémonie le 27 mai 2024.
François Gauthier a également été le Grand Témoin du Club du 28 mars 2024 sur le thème « Start-ups / grands groupes : je t’aime, moi non plus ». Quelques photographies sur Linkedin.
Vous aviez fait un choix stratégique précurseur il y a quelques années en faveur du cloud. Où en est votre architecture ?
En effet, Veolia a été pionnier en adoptant très tôt le cloud public. En 2016, nous avons mis en œuvre un programme de Move2Cloud. La première mesure était de ne plus créer ou d’adopter de nouvelle application qui ne soit pas nativement cloud, soit en adoptant du SaaS, soit en développant nous-mêmes sur plateformes AWS et GCP principalement.
Nous avons mis en place un suivi, bien entendu. En 2016, moins de 30 % de nos applications étaient dans le cloud public. Aujourd’hui, on atteint une asymptote aux environs de 75 %. Nous rencontrons en effet certaines limites. Certains pays (Maroc, Turquie…) exigent ainsi que les données les concernant soient gérées localement, ce qui limite évidemment le full cloud public.
Le programme continue aujourd’hui mais avec des évolutions. D’abord, suite au rapprochement avec les activités internationales de Suez, nous avons intégré au groupe des activités où l’IT ressemble à celle de Veolia en 2016, avec encore des datacenters en propre et des applications on-premise. Surtout, nous sommes passés du « Move2Cloud » au « Better Cloud » pour moderniser nos environnements et réduire les coûts tout en optimisant l’empreinte environnementale. Cela passe aussi par la remédiation de notre périmètre applicatif, par exemple, en migrant vers des solutions SaaS qui n’existaient pas il y a quelques années.
Vous avez mis en place une IAG maîtrisée, SecureGPT. Pour quelles raisons et comment ?
Comme tout le monde, nous avons vécu la déferlante ChatGPT fin 2022, début 2023. Celle-ci a amené le grand public à utiliser l’IAG. Du coup, certains collaborateurs de Veolia ont commencé à l’utiliser professionnellement… en mettant à risque la data de l’entreprise.
Nous avons réagi très vite. Entre le printemps et l’été 2023, nous avons décidé de créer et mis en œuvre un environnement sécurisé utilisant ChatGPT 3.5 d’OpenAl mais sur un environnement maîtrisé, sur nos instances Google Cloud (à l’époque Gemini n’existait pas). C’est notre CTO, Julien Largillière, qui a piloté ce projet.
Dans le même temps, nous avons lancé un programme d’acculturation et de formations (webinars, formations ciblées, formations de formateurs…) adaptées à chaque type de population. Au-delà de la prise de conscience de toute l’entreprise, il s’agit de savoir prompter, de connaître les risques et de savoir remonter les cas d’usages.
Nous avons progressivement fait évoluer Veolia SecureGPT. Aujourd’hui, il propose plusieurs versions de ChatGPT, Llama, Claude, Gemini, etc. Nous avons également inclus dans l’interface une assistance au prompt en fonction du profil de l’utilisateur sous la forme de prompts types à personnaliser sur des cas d’usage identifiés.
Nous en avons profité pour inclure un outil de traduction. En effet, utiliser un service gratuit sur un cloud public non sécurisé pour traduire un appel d’offres n’a pas été jugé très pertinent.
Veolia SecureGPT permet aussi de réaliser des synthèses documentaires, de la génération d’images ou de l’interrogation de bases documentaires ou de bases de connaissances, offrant à nos métiers le service de génération de réponses à des questions opérationnelles complexes ou d’assistance à la production de documents, tels que des appels d’offre ou des rapports contractuels.
Nous n’utilisons que des LLMs du marché. Pour l’instant, nous n’avons pas de projet de travailler à nos propres LLMs. Moins d’un an après le lancement, nous avons environ 13 000 utilisateurs quotidiens, 50 000 connexions et 40 millions de requêtes stockées dans Google Big Query.
Quels sont vos autres grands projets actuels ?
Nous avons beaucoup de projets autour de la data. Depuis environ un an, Veolia s’est doté d’une chief data officer au niveau groupe, Karl O’Hanlon. Il pilote notre effort sur la mise en cohérence globale de notre patrimoine data ainsi que la data strategy, la data architecture, la data gouvernance, etc…Ce patrimoine reste aujourd’hui largement inexploité ; c’est la raison pour laquelle nous mettons les bouchées doubles sur la data avec des organisations dédiées dans le monde entier au plus près des employés, des usines et des clients.
Nous continuons bien sûr de travailler sur des cas d’usage opérationnels de l’IA comme l’optimisation industrielle (anticipation de fuites, optimisation du tri des déchets, disponibilité de nos incinérateurs…). Pour tout cela, nous avons évidemment besoin de données propres et organisées.
Si nous voulons qu’une technologie déployée à un endroit puisse être aisément déployée ailleurs, il est bien sûr nécessaire qu’il y ait une cohérence dans les choix techniques sous-jacents. Cette mise en cohérence est précisément la raison de la création de DB&T car cela suppose une coordination étroite entre IT, data et digital.
Enfin, je voudrais insister sur le fait que l’IA est au centre du nouveau plan stratégique de Veolia, GreenUP, annoncé en février 2024. DB&T, de par ses composantes IT, digital et data, est, à ce titre, un chapitre à part entière de ce nouveau plan à quatre ans, et ce, pour la première fois. L’IA doit ainsi contribuer à l’atteinte de l’objectif de faire de Veolia le leader mondial de la décarbonation, de la dépollution et de la régénération des ressources. Pour le mettre en œuvre, nous aurons évidemment besoin de solutions digitales utilisant de l’IA sur de la data propre et des infrastructures cloud sécurisées.
Enfin, quels sont vos grands défis pour 2024 ?
Je voudrais en citer deux.
D’abord, la mise en place du cadre collaboratif global de l’IA.
Il s’agira ensuite de faire remonter les cas d’usages des métiers. Nous avons trois axes autour de l’IA : augmented employees, augmented customers et augmented operations. A cela s’ajoute l’ambition « Change the game » (changer la donne) : il s’agit d’adopter, dans nos métiers, de nouvelles approches technologiques pour, en quelque sorte, nous auto-disrupter avant d’être disruptés par d’autres.
Podcast - SecureGPT : quand Veolia installe une IAG en environnement maîtrisé
Après voir présenté le groupe Veolia, François Gauthier, Community & Partners Lead de Digital & Business Technology au sein de Veolia Group, explique le rôle de la division Digital & Business Technology qui réunit IT, data et digital. Cette division a notamment mis en œuvre un SecureGPT, c’est à dire une IA générative en environnement maîtrisé. François Gauthier détaille les raisons et modalités de ce choix. Surtout, il insiste sur la nécessité d’associer à cette démarche purement technologique une formation des collaborateurs et des dirigeants.
Article revu par l’entreprise.