Comment l’IAG renforce le service public
Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage
Grâce à un partenariat DINUM/ANCT, les conseillers des France services expérimentent l’intelligence artificielle générative (IAG) pour accroître leur efficacité. Diane Gelberg, responsable du pilotage par la donnée et des projets innovants de France Services au sein de l’ANCT (Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires), et Ulrich Tan, chef du pôle Datalab du département Etalab de la DINUM (direction interministérielle du numérique), intervenant sous le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, et rapporteur au comité sur l’intelligence artificielle générative, expliquent les enjeux de cette expérimentation.
Pouvez-vous rappeler ce que sont vos rôles et organismes de rattachement respectifs, la DINUM et l’ANCT/France Services ?
Diane Gelberg : Je suis responsable du pilotage par la donnée et des projets innovants de France Services au sein de l’ANCT (Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires). Cette agence vise à rapprocher les collectivités locales et l’État par un soutien en ingénierie sur des projets. Nous avons trois grandes directions : politique de la ville, numérique (où est géré le plan Très Haut Débit) et, pour terminer, Territoires et Ruralité. C’est à cette dernière qu’est rattaché France Services.
L’objectif de ce dispositif, lancé en 2020, est d’accompagner les Français dans les démarches quotidiennes auprès des services publics. 2700 maisons France Services existent sur tout le territoire (y compris l’Outre-Mer). De ce fait, 95 % de la population est à moins de 20 minutes d’une maison France Services et 99,9 % à moins de 30 minutes. Depuis le démarrage du programme, 18 millions de démarches ont été accompagnées, atteignant aujourd’hui 800 000 par mois (notre objectif étant d’atteindre le million par mois d’ici 2026). La croissance du recours à France Services est lié, d’une part, à l’arrivée de publics qui ne connaissaient pas le dispositif, d’autre part, à l’élargissement du bouquet de services (à partir du 1er janvier 2024 : MaPrimeRénov', MaPrimeAdapt’ et le Chèque énergie).
L’objectif est que les citoyens soient reçus et accompagnés par des conseillers. Ceux-ci reçoivent une formation initiale avant leur prise de fonction et, ensuite, une formation en continu. Les conseillers sont des agents mis à disposition par des « porteurs » (deux tiers proviennent de collectivités locales) grâce à une subvention versée par l’Etat. Des services complémentaires peuvent être confiés par des acteurs locaux à France Services.
Ulrich Tan : Je suis chef du pôle Datalab du département Etalab de la direction interministérielle du numérique (DINUM) et rapporteur au comité sur l’intelligence artificielle générative, lancé par la Première ministre le 19 septembre 2023. La DINUM est la « DSI groupe » de l’État. Elle constitue donc une « tour de contrôle » de la stratégie numérique de l’État pour reprendre l’expression de Stéphanie Schaer.
En octobre dernier, le gouvernement a lancé une première expérimentation d’intelligence artificielle générative (IAG). Qu’est devenue cette expérimentation au profit de la DITP et de Services Publics + ?
Ulrich Tan : Menée auprès d’un millier d’agents volontaires, cette expérimentation est toujours en cours. A ce jour, environ une réponse sur deux faites par les agents volontaires est « facilitée » par l’IAG. Le temps de réponse moyen est passé de sept à trois jours. 70 % des agents ressentent positivement l’outil et 74 % des usagers sont satisfaits des réponses « facilitées ». La technologie d’IA sous-jacente à l’expérimentation Services Publics + est actuellement fournie par la société française AlloBrain.
Vous allez mener une nouvelle expérimentation au profit de France Services. De quoi s’agit-il ?
Ulrich Tan : Comme la précédente, elle s’inscrit dans le cadre de la stratégie IA de l’Etat. Elle n’a néanmoins pas d’autre lien direct avec la précédente expérimentation. Dans le cas de l’ANCT / France Services, cette fois-ci, c’est l’IAG de la DINUM, Albert, qui sera utilisée, et non plus une solution propriétaire.
Diane Gelberg : Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a identifié une opportunité pour améliorer la qualité des prestations de France Services. D’une part, il s’agit de faciliter les missions des conseillers. D’autre part, l’IAG renforce la qualité de service, y compris face à la grande quantité de démarches différentes qui sont traitées par les conseillers. Parfois, les conseillers doivent rechercher des informations dans de multiples documentations, y compris en provenance de multiples opérateurs de services publics. Un exemple typique est la gestion du décès d’un proche qui suppose d’effectuer des démarches auprès de nombreux opérateurs. L’IAG peut donc faire gagner du temps aux conseillers.
Nous avons fait en sorte que les conseillers précurseurs sur l’IAG soient de profils variés, y compris sur l’appétence au numérique.
Quel est le calendrier de cette nouvelle expérimentation de l’IAG dans le service public ?
Diane Gelberg : Techniquement, l’expérimentation a déjà démarré auprès de 57 conseillers volontaires dans cinq départements. Pour débuter le projet, nous avons mené, à partir d’octobre 2023, une phase immersive où des agents de la DINUM sont allés sur place observer le quotidien de conseillers France Services pour concevoir un moteur de réponses pertinent. Une deuxième phase a ensuite été le paramétrage de l’outil.
La troisième phase, démarrée le 15 décembre 2023 et qui va se poursuivre jusqu’au 15 janvier 2024, concerne la formation et l’acculturation. L’objectif est donc actuellement de faire monter en compétences les conseillers. Pour cela, nous avons mis à leur disposition une documentation sur l’outil pour bien expliquer à quoi il sert et quelles sont ses limites puis des tutoriels vidéo et enfin un mode d’emploi.
La quatrième phase, « évaluative », se déroulera également sur un mois, du 15 janvier 2024 au 15 février.
Comment fonctionne l’IAG Albert ?
Ulrich Tan : Albert France Services va fonctionner comme une aide à la préparation de rendez-vous, en résumant toutes les références administratives utiles pour répondre à une question posée. Pour l’heure il s’appuie sur notre modèle Don Giovani, basé sur le LLM (Large Language Model, Grand Modèle de Langue) Llama-2, qui a été ré-entraîné (fine-tuning) et va basculer sous peu sur un modèle ouvert de la société française Mistral.AI, là encore ré-entraîné spécifiquement pour les besoins de l’administration.
Albert est conçu pour être modulaire afin de pouvoir faire évoluer séparément ses différentes briques. Albert est actuellement hébergé en SecNumCloud chez Ouscale. A terme, Albert sera également disponible sur d’autres infrastructures, propres à la DINUM. Selon la sensibilité des données traitées dans les différents cas d’usages, Albert pourra être déployé aussi bien on premise que dans un cloud SecNumCloud ou bien même dans un cloud public ordinaire.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Ulrich Tan : D’autres expérimentations sont prévues au fil de 2024. Contrairement à d’autres technologies où nous devons être très moteurs, nous avons, avec l’IAG, plusieurs demandes d’administrations volontaires avec de vrais cas d’usages. Deux grandes familles de cas d’usages sont actuellement identifiées : le moteur de réponse et la synthèse documentaire.
IAG : nouvel eldorado ou danger civilisationnel ?
Républik IT donne rendez-vous aux décideurs de très grands comptes le 10 octobre 2024 pour échanger sur un thème faisant couler beaucoup d’encre : « IA générative : nouvel eldorado ou danger civilisationnel ? ».
Le Grand Témoin sera Yves Caseau, CDIO de Michelin.