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Les Communs Numériques, outils pour accroître la performance du service public

Par Bertrand Lemaire | Le | Achat it

Emma Ghariani, directrice de projet « Accélérateur d’initiatives Citoyennes » au sein de la DINUM (Direction interministérielle du numérique), et Pierre-Louis Rolle, directeur stratégie et innovation à l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires), expliquent ici les enjeux des Communs Numériques pour l’État. Ce sujet sera au coeur de la sixième édition de l’événement Numérique en Commun(s) qui aura lieu à Bordeaux du 18 au 20 octobre 2023.

De gauche à droite : Pierre-Louis Rolle (ANCT) et Emma Ghariani (DINUM) - © Républik IT / B.L.
De gauche à droite : Pierre-Louis Rolle (ANCT) et Emma Ghariani (DINUM) - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous rappeler ce que sont la DINUM et l’ANCT ?

Emma Ghariani : La DINUM (Direction interministérielle du numérique) est la « DSI groupe » de l’État. Elle définit la stratégie IT, la met en œuvre et joue un rôle de tour de contrôle de cette stratégie. Elle a également un rôle de pilotage de la donnée. Le tout se fait en partenariat avec les directions du numérique des différents ministères mais aussi avec des initiatives citoyennes.

Pierre-Louis Rolle : L’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires) est un établissement public créé le 1er janvier 2020. Elle est issue de la fusion du Commissariat général à l’égalité des territoires, de l’Agence du numérique et de l’Epareca (Etablissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux). Elle met en œuvre les politiques d’aménagement du territoire et de revitalisation économique de l’État. Nous avons ainsi plusieurs directions générales : à la ville, à la ruralité… Nous mettons notamment en œuvre France Services qui permet l’accès aux services publics en zones rurales. L’ANCT peut également aider des collectivités locales à mettre en œuvre des projets. L’ancienne Agence du Numérique porte le plan de déploiement de France Très Haut Débit. Enfin, sur le modèle de Beta.gouv.fr, nous avons un incubateur de services publics numériques de collectivités territoriales.

Lors de la dernière réorganisation de la DINUM en lien avec la nouvelle feuille de route, des militants du logiciel libre se sont inquiétés du sort de la Mission Logiciel Libre. Pouvez-vous les rassurer ?

Emma Ghariani : Tout à fait. Je vous confirme que cette Mission existe toujours et figure bien dans l’organigramme. Et ce d’autant plus que le logiciel libre et les communs numériques sont au coeur de notre feuille de route.

Justement, pourquoi la DINUM s’intéresse-t-elle à la création de Communs Numériques, dont les logiciels libres mais pas seulement ?

Emma Ghariani : Bien sûr, un Commun est nettement moins coûteux que des équivalents commerciaux mais c’est aussi plus résilient et pertinent grâce au lien avec des communautés citoyennes. Nous avons intérêt au développement de telles communautés afin de garantir la solidité et la pertinence des solutions. Le cas échéant, l’intervention de la puissance publique permet de développer l’utilisation des communs numériques dans la sphère publique ou de faciliter la contribution des agents aux communs numériques. Nous travaillons à créer des liens durables entre les administrations et les communs numériques, en soutenant le développement de cas d’usages concrets qui ont un impact concret dans la vie des gens. Nous le faisons par la mise à disposition d’expertises, de réseau dans l’administration, et de financement.

Dans le cadre du programme Accélérateur d’initiatives citoyennes, il y a plusieurs projets que je voudrais plus particulièrement mettre en avant. Open Food Facts est une base de données de produits alimentaires créée par tous et pour permettre à tous de faire de meilleurs choix alimentaires. Il va élargir son périmètre à l’impact carbone des produits, en lien avec la start-up d’État Ecobalyse de l’Ademe. Primtux est un espace d’apprentissage pour les 3-10 ans, développé par une équipe de professeurs des écoles et de passionnés de l’informatique dans le milieu éducatif présents sur tout le territoire. Cette suite GNU/Linux complète et personnalisable convient à tous types de PC, même anciens. Troisième projet, uMAP, porté par Open Street Map qui fournit les fonds cartographiques, permet de créer des cartes personnalisées en un instant et de les afficher sur des sites internet. Ce projet est très utilisé par les agents publics dans les administrations centrales et territoriales, d’où l’accompagnement du projet via l’Accélérateur. Enfin, Pyronear est un dispositif ouvert de détection précoce de départs de feu, à partir d’une vidéosurveillance des forêts, testé en Ardèche et qui souhaite accélérer son déploiement sur d’autres sites. L’été dernier, cette solution a détecté un départ de feu cinq heures avant les pompiers. Dans le cadre d’un partenariat avec l’ONG Bayes Impact, en un mois, 100 000 personnes ont contribué à l’entraînement de l’intelligence artificielle en annotant des images de départs de feu. Toutes ces initiatives et d’autres peuvent être soutenues, y compris financièrement, par la puissance publique.

Pourquoi, de son côté, l’ANCT s’intéresse-t-elle aux Communs Numériques au point d’organiser Numérique en Commun(s) à Bordeaux du 18 au 20 octobre 2023 ?

Pierre-Louis Rolle : En matière de Communs, nous étions pratiquants avant d’être croyants ! Nous avons une très longue histoire de collaborations avec des hackers, des collectivités locales, des citoyens engagés… Il s’est alors agi de structurer l’intervention de l’État en la matière. En particulier, l’État doit organiser sa propre minorité dans la gouvernance des initiatives. Récemment, lors de la crise sanitaire liée au Covid, nous avons pu bénéficier de toute la puissance d’un réseau de partenaires sur tout le territoire pour mener des initiatives avec bien plus d’efficience et de réactivité.

En matière de numérique, je veux redire que tout ne vient pas de la Silicon Valley, même s’il n’est pas question de développer une attitude ultra-défensive comme la Chine. Plutôt que d’acheter de la technologie sur étagères (américaines), notre but est d’investir avec des modèles économiques qui peuvent relever de l’économie sociale et solidaire. Lorsque l’on met à disposition des PME des briques de logiciels libres réutilisables, cela contribue à la dynamisation du tissu économique national. Il en est de même quand on travaille avec une collectivité pour développer un système de prise de rendez-vous ou que l’on aide une association à créer un navigateur adapté à certains handicaps.

Chaque année, la communauté Numérique en Commun(s) se réunit. Ce sera, à Bordeaux du 18 au 20 octobre 2023, la sixième édition. Il y a plus de deux mille participants qui proviennent du numérique, de l’accessibilité, des collectivités locales, de la data… La gouvernance de l’événement est ouverte : outre l’ANCT, la DINUM et la collectivité invitante, elle repose aussi sur des associations, l’IGN, le Conseil National du Numérique, Open Data France, etc.

Que vont trouver les participants dans cette manifestation ?

Pierre-Louis Rolle : Bien sûr, nous espérons d’abord qu’ils vont être contents de se retrouver ! Mais il s’agit surtout de proposer un temps pour suivre les sujets abordés et pour apprendre. Nous allons parler de données et de territoires, d’écologie et de soutenabilité, de communs numériques et de souveraineté, d’éthique et d’émancipation, et enfin de médiation et de compétences numériques. Sur chacun de ces thèmes, il y aura des master-class, des ateliers de travail, des pitches de projets, des retours d’expériences, des stands avec des démonstrations d’outils… De plus, Bordeaux Métropole, avec qui nous organisons cette édition, a invité 26 villes du monde entier, de Kyiv à New-York.

Il y a deux ans, un atelier a réuni un ambassadeur, des travailleurs sociaux, des geeks, des designers de la DINUM, des élus locaux, des responsables de collectivités locales… Nulle part ailleurs vous ne retrouvez une telle mixité.

Et le ministre Jean-Noël Barrot nous honorera de sa présence.

Qu’apporte la DINUM ?

Emma Ghariani : Nous venons de manière renforcée parce que cet événement réunit de nombreux agents de l’État, des collectivités, des spécialistes de l’appropriation numérique… Nous voulons mettre en valeur les produits et expertises de nos services autour par exemple du logiciel libre, des communs numériques ou encore des méthodes agiles de Beta.gouv.fr pour développer des services numériques à impact.

Il y aura aussi des démonstrations d’outils tels que Tchap, Umap ou Démarches simplifiées qui sont de précieux outils de travail, tant pour les agents publics que pour les professionnels présents sur l’événement. Et la veille de l’événement, nous organisons un « off » davantage centré sur la DINUM. Il y aura une rencontre dédiée à la communauté Beta.gouv.fr avant de rejoindre les autres communautés.

Et ce sera aussi une étape du tour de France des produits interministériels, avec des démonstrations. Sur un événement de ce type, c’est intéressant, aussi, d’organiser la rencontre avec les nombreux professionnels présents, dont les élus. Par exemple, l’association Pyronear va pitcher auprès d’un grand nombre d’élus de départements et de régions, pour faire connaître son initiative.

Puisque vous évoquez Démarches Simplifiées, avez-vous un partenariat avec l’ADULLACT qui a adapté ce produit aux collectivités locales et qui organise prochainement Territoire Numérique Libre ?

Pierre-Louis Rolle : Oui, bien sûr. L’ANCT a soutenu plusieurs projets portés par l’ADULLACT. Cette association fait naturellement partie des communautés avec lesquelles nous travaillons pour « territorialiser » les produits interministériels en nous appuyant sur des acteurs pertinents.

Nous n’oublions pas que le numérique n’est pas seulement un ensemble d’outils mais aussi et surtout une manière d’améliorer la vie quotidienne des citoyens.

Selon quelles modalités soutenez-vous toutes ces initiatives dont nous parlons ?

Pierre-Louis Rolle : Bien sûr, en premier lieu, nous ouvrons des guichets de financement, notamment dans le cadre de France Relance, pour créer des Communs. Nous disposons également d’un budget participatif pour répondre à des besoins de collectivités territoriales.

Au delà de ce financement direct, nous voulons aussi mettre en œuvre une véritable doctrine d’achat public. Il s’agit de s’engager dans une démarche de constitution de Communs Numériques autant que possible en nous appuyant sur des actifs issus de la société civile. Le Logiciel Libre doit être un recours prioritaire pour mener les projets. Mais il ne faut pas oublier que les Communs Numérique sont bien plus que de la création de code informatique. Il faut aussi de la documentation, des données, de l’ouverture à des tiers, etc.

Emma Ghariani : Au-delà de l’argent, il s’agit bien de modalités de travail, voire de mentorat. Par exemple, je rappelle que Covid Tracker a été créé par une initiative citoyenne. L’État l’a accompagnée en veillant au respect de méthodes, de contraintes juridiques… Apporter ainsi des méthodes, de la gouvernance, un cadre juridique… contribue à la réussite de la création de Communs. Et il faut aussi tenir compte des pratiques et contraintes de communautés qui peuvent être mondiales.

Des organisations tels que l’Ademe ou l’Education Nationale sont fortement contributrices.

Où en est-on du développement d’une bureautique collaborative souveraine et libre ?

Emma Ghariani : Ce sujet est clairement sur notre feuille de route. Nous sommes toujours en train de travailler dessus.

Quels sont vos défis actuels ?

Emma Ghariani : Les communs numériques que nous accompagnons et qui ont d’ores et déjà fait leurs preuves doivent accroître leurs cas d’usages. l’Accélérateur d’initiatives citoyennes aide les équipes de bénévoles et de salariés qui portent ces communs numériques à se déployer sur de nouveaux territoires, auprès de nouveaux usagers.

C’est le cas de Primtux qui a le potentiel de se déployer auprès de publics scolaires dans le premier degrés sur de nouvelles académies. Les communautés de mainteneurs et de contributeurs, le plus souvent bénévoles, sont l’épine dorsale de ces communs numériques. Il y a un vrai défi à les animer, et à les soutenir, quand on soutien le changement d’échelle d’un commun numérique. Cette ambition amène la puissance publique à développer de nouveaux outils et de nouvelles postures, ce qui là encore est un nouveau défi !

Pierre-Louis Rolle : Nous avons un vrai virage européen à prendre. Il nous faut aller au-delà de nos frontières.

Et puis, le plus important peut-être, c’est de nous assurer que tout ce que nous fabriquons ou contribuons à faire fabriquer bénéficie effectivement aux citoyens ! En particulier, nous devons veiller au service des personnes éloignées du numérique (l’estimation courante est de 16 % de la population). En fait, nous rencontrons un véritable défi en matière de diffusion de la culture numérique même si nous travaillons le sujet avec nos 4000 conseillers sur le terrain. Mais il faut aller plus loin, d’où notre feuille de route « France Numérique Ensemble ».


Sur la photographie, de gauche à droite :

- Pierre-Louis Rolle, directeur stratégie et innovation à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires

- Emma Ghariani, directrice de projet « Accélérateur d’initiatives Citoyennes » au sein de la DINUM


En savoir plus

- Numérique en Commun(s).

Podcast - Les Communs Numériques renforcent les services publics

La DINUM (Direction Interministérielle du Numérique) est une tour de contrôle de la stratégie numérique de l’État. Emma Ghariani, directrice de projet « Accélérateur d’initiatives Citoyennes » au sein de la DINUM, insiste ici sur le fait que Le logiciel libre et plus généralement les communs numériques sont au coeur de la stratégie numérique de l’État et de la feuille de route de la DINUM. S’appuyer sur des communautés permet de garantir un produit pertinent et pérenne. Cette approche améliore ainsi le service rendu aux citoyens.

Podcast - Numérique en Commun(s) pour agiter les communautés autour du numérique

Pierre-Louis Rolle, directeur stratégie et innovation à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), revient ici, d’abord, sur les rôles de l’ANCT. Puis il explique les raisons pour lesquelles celle-ci organise avec la Métropole de Bordeaux la sixième édition de l’événement Numérique en Commun(s) du 18 au 20 octobre 2023. Il en détaille également les contenus et le programme. Numérique en Commun(s) rassemble des professionnels de nombreuses communautés autour d’ateliers et de présentations très pragmatiques.


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