Siddhartha Chatterjee (Club Med) : « la data est au service des clients et des collaborateurs »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Siddharta Chatterjee, Global Chief Data Officer du Club Med, détaille ici l’approche et la stratégie data du spécialiste de l’« hospitality all inclusive ».
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Club Med aujourd’hui après une histoire qui a débuté en 1950 ?
Le Club Med est un acteur de l’hospitalité haut de gamme inventeur du concept des vacances « tout compris » (« hospitality all inclusive » : hébergement, nourriture, activités…). Nous restons le leader mondial de ce type de prestation. Nous avions une approche de Resorts de multiples gammes mais depuis 2004 notre stratégie est de monter en gamme.
Ainsi aujourd’hui, Club Med exploite un parc de près de 70 Resorts Premium et Exclusive Collection, réparties sur 25 pays, avec de nouvelles ouvertures chaque année
En tout, notre effectif global peut atteindre prés de 25 000 personnes de 110 nationalités dans 40 pays. Au siège et dans les services administratifs, nous sommes en tout 3500.
Comment sont organisées les fonctions Data et IT ?
En tant que CDO, je suis rattaché au DG digital, marketing et technologies, au même niveau que le CTO. Depuis sept ans, il n’y a plus de CIO au sens classique du mot au Club Med mais plusieurs personnes en charge de la Tech. En tout, il y a deux directions techniques, des directions des produits digitaux… et la direction data et IA.
La direction data et IA est responsable au niveau mondial. Elle a trois objectifs. D’abord, créer du business incrémental grâce à la smartdata. Ensuite, nous devons créer de l’efficacité pour les collaborateurs et les aider à se concentrer sur les tâches à valeur ajoutée. Enfin, nous avons à faciliter l’adoption rapide des nouvelles technologies stratégiques, à innover.
La direction data est à la fois en charge des aspects technologiques et des usages. Depuis 2022, la direction est orientée produits et nous avons adopté les méthodes agiles pour créer de la valeur de façon pro-active au lieu de juste répondre à des demandes métiers.
Nous avons quatre départements : la data factory avec les bases de données clients et la plate-forme data, la DataOps et la datavisualisation pour tous les départements de l’entreprise, la data science avec l’IA et la connaissance clients ainsi que, enfin, la gestion des produits agiles data en lien avec les clients internes.
Au Club Med, en quoi consiste le patrimoine data ?
Bien sûr, comme toutes les entreprises, nous avons les datas corporate classiques (RH, finances, achats…).
Une particularité du Club Med est d’avoir une distribution directe via nos propres points de vente (physiques, téléphoniques ou en ligne). Nous avons donc une vision très riche du parcours client omnicanal : deux milliards de lignes traitées par an ! En Resorts, nous obtenons des données très complètes du parcours clients, de la réception au départ en passant par les achats à la boutique, etc.
Nous utilisons aussi des données tierces : retours médias de nos campagnes, etc.
Tout remonte en central pour permettre des comparaisons, des optimisations et toutes sortes de traitements.
Un des piliers de la stratégie du Club Med est « Happy Digital », « destiné à améliorer l’expérience client et le travail des collaborateurs grâce à une utilisation intelligente de la technologie ». Qu’est-ce que ce pilier implique du point de vue de la data ?
« Happy Digital », c’est une idéologie où le Club Med ne fait pas de la technologie pour le plaisir de faire de la technologie mais réalise des projets technologiques, y compris du point de vue data, uniquement au service des clients et des collaborateurs.
Concrètement, nous avons des projets d’accroissement du self-service client pour qu’ils gagnent du temps et en satisfaction. De la même façon, nous voulons que les collaborateurs gagnent aussi du temps et en satisfaction. Nous avons ainsi doté nos TEDs (travel expérience designer/conseillers de vente) en outils qui facilitent la connaissance clients et produits.
De plus, tout ce que nous faisons doit impérativement entrer dans une démarche éthique (notamment pour l’IA) et écologique. Le professeur Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe spécialiste de l’intelligence artificielle, professeur à Sorbonne Université, préside d’ailleurs un comité d’éthique de l’IA du Club Med. Nous essayons de consommer le moins possible de ressources en minimisant les données traitées : nous nous restreignons au juste nécessaire pour le bon fonctionnement de nos algorithmes. Et puis optimiser les traitements, c’est aussi optimiser les coûts, en particulier dans le Cloud.
Retrouvez Siddhartha Chatterjee à la Nuit de la Data
Siddhartha Chatterjee, Global CDO du Club Med, est membre du jury des Trophées de la Nuit de la Data. Vous le retrouverez lors de la cérémonie, le 5 février 2024, dans un théâtre parisien.
Quels sont vos usages de la data ?
Nos utilisations sont directement liées à nos trois objectifs.
Ainsi, quand on parle de générer du business, nous avons de nombreux cas d’usages en marketing et commerce. Sur l’efficacité des collaborateurs, nous avons des projets en termes de gouvernance des données et de refonte des reportings. Enfin, côté innovation, nous avons des projets utilisant l’IAG. Et puis nous avons à considérer la question de la sécurité des données. Nous travaillons avec Google et Thalès sur le chiffrement des données sensibles d’une part en lien avec la conformité réglementaire et d’autre part pour devenir pionnier en sécurisation des données.
Quelles technologies utilisez-vous pour traiter la data ?
D’une manière générale, nous menons une stratégie move-to-cloud pour gagner en efficacité et en flexibilité. Nous travaillons avec Google Cloud Platform, Microsoft Azure et AWS ainsi que, en Chine, Alibaba. La data factory est sur Google où nous utilisons Big Query et Kafka. Les données de la Chine sont gérées localement.
Côté IA, nous avons des développements internes comme des technologies tierces de partenaires, y compris des start-ups, comme OpenAI, Google, Microsoft, Annthropic…
Ne pensez-vous pas que l’IAG (intelligence artificielle générative) a tendance à être déshumanisante pour les interactions clients ?
L’IAG est d’abord utilisée pour aider les TEDs à retrouver, par interrogation en langage naturel, des informations sur les villages.
Nous travaillons encore sur une solution visant à proposer le même type d’interrogation pour les clients afin qu’ils retrouvent aisément la localisation, les activités proposées, etc. L’IAG ne traite donc que des données non-sensibles, en particulier pas les données clients, du moins pour l’heure. A terme, nous pourrions proposer une personnalisation des réponses.
Mais il est nécessaire de se battre d’une part sur la qualité des données, d’autre part contre les hallucinations. Il faut donc faire beaucoup d’itérations pour fiabiliser les réponses.
Il ne faut pas oublier que l’IAG fonctionne à partir de la prédiction de mots. Il faut donc la nourrir avec de bonnes informations et lui faire admettre, le cas échéant, elle n’a pas la réponse.
Pour former les collaborateurs à la data (notamment à la qualité data), à l’IA, etc., comment faites-vous avec les GO, par nature du personnel très variable ?
Pour l’instant, nous nous concentrons surtout sur les collaborateurs en central. Dans les Resorts, les collaborateurs ont surtout des exigences opérationnelles et sont focalisés sur l’exécution au quotidien.
De son côté, la direction data travaille beaucoup sur la bonne description des données dans le catalogue de données. Cela suppose de bien comprendre le processus de création et le sens des données. L’acculturation s’effectue, ici, autour des cas d’usage nécessaires aux collaborateurs.
Nous avons une approche selon le principe du data mesh où chacun est responsabilisé sur son domaine data et son travail. Même si les systèmes sont centralisés, nous essayons de responsabiliser les producteurs de données. Par exemple, nous veillons à ce que les acheteurs saisissent bien les bons de commande.
Quand on s’appelle Club Med, la guerre des talents est-elle un sujet ?
Nous ne rencontrons pas trop de problèmes parce que nos recrutements se font à Paris ou dans les sièges nationaux. Grâce à notre stratégie claire et bien définie ainsi qu’à nos projets, nous disposons d’une marque employeur séduisante. Nous réalisons des projets stratégiques et pionniers.
Quels sont vos défis pour les mois à venir ?
Parmi toutes les possibilités techniques qui émergent, il faut prioriser les sujets les plus stratégiques, optimiser le time-to-market. Renforcer la gouvernance des données avec un travail sur la qualité est également toujours un sujet. Enfin, nous devions mieux fédérer et aligner les experts data et les métiers sur des objectifs communs.
Podcast - Le Club Med déploie l’« Happy Digital »
Le Club Med, inventeur du concept du « All Inclusive », est aujourd’hui un acteur mondial de l’hospitalité. Siddhartha Chatterjee, Global CDO du Club Med, explique ici la stratégie « Happy Digital » adoptée par le Club Med qui vise à accroître l’efficacité de l’entreprise et améliorer l’expérience tant des collaborateurs que des clients. Il détaille plus particulièrement le volet data de cette stratégie.