Décideurs it

Pierre-Olivier Bandet (Air France-KLM) : « les métiers doivent toujours mieux comprendre l’IT »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le groupe Air France-KLM fait converger et évoluer son IT dans un contexte de transformation du marché. Pierre-Olivier Bandet, Executive Vice-Président Information Systems d’Air France-KLM, explique ses approches et sa stratégie.

Pierre-Olivier Bandet est Executive Vice-Président Information Systems d’Air France-KLM. - © Républik IT / B.L.
Pierre-Olivier Bandet est Executive Vice-Président Information Systems d’Air France-KLM. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter le groupe Air France-KLM ?

Notre groupe comporte trois marques (Air France, KLM et Transavia) pour trois métiers (passagers, fret, maintenance). Nous opérons de la maintenance bien sûr pour nos compagnies mais aussi pour des compagnies tierces, y compris concurrentes. Transavia est une seule marque mais il existe une société en France et une autre aux Pays-Bas.

Nous avons, dans le groupe, 76 000 collaborateurs et 550 avions. Nous desservons 300 destinations dans 125 pays. Nous avons transporté 94 millions de passagers en 2023.

Comment est organisée votre IT ?

L’IT groupe est au service des compagnies et comprend des salariés d’Air France et de KLM. Tout le run est assuré par des équipes communes. Le build est lié aux métiers : opérations Air France, opérations KLM, cargo, etc.

Je suis membre du ComEx groupe, et le CISO m’est rattaché. Par ailleurs, je suis aussi Chief Data & AI Officer du Groupe.

Vous avez un profil très « métier », notamment en ayant été PDG de l’ancienne compagnie Hop !. Qu’est-ce que cela change dans votre manière de diriger l’IT du groupe ?

Bien entendu, même si j’ai une formation d’ingénieur, je me repose beaucoup sur l’expertise des équipes pour la technique. J’apporte une compréhension métier pour la stratégie et les opérations IT. Cela dit, je ne veux pas exagérer une transformation qui avait déjà largement eu lieu avec mon prédécesseur Jean-Christophe Lalanne : avec le développement de l’agilité, l’IT était déjà beaucoup connectée au métier.

Depuis le début de ma carrière, les lignes ont beaucoup bougé entre les métiers et l’IT. Certes, l’IT doit comprendre et servir les métiers, c’est la base. Mais, en symétrie, nous avons à pousser les métiers pour voir en quoi l’IT peut les aider à encore plus se transformer. Je pense, pour prendre un exemple récent, à l’IA et à l’IAG. Les métiers doivent toujours mieux comprendre l’IT, de manière de plus en plus fine, et en se préoccupant chaque jour davantage des apports de l’IT à la création de valeur métier.

Que changera (ou pas) l’arrivée de SAS dans le groupe Air France-KLM d’un point de vue IT ?

Pour l’instant, Air France-KLM a acquis 19,9 % de SAS et n’a donc pas effectué de prise de contrôle. De ce fait, d’un point de vue IT, rien ne change.

Où en est la convergence des IT des différentes compagnies et quelle est aujourd’hui votre architecture IT ?

Notre projet est de fermer nos datacenters de Valbonne (Sophia Antipolis, dans l’arrière-pays de Cannes), Toulouse et Amsterdam. Nous voulons migrer nos applications sur Azure et nos data sur Google Cloud Platform. Pour les systèmes ne pouvant pas migrer sur le Cloud, nous recourons à un hébergement chez Equinix. Cette évolution avance bien et nous prévoyons la fermeture d’Amsterdam pour la fin 2025 et celles de Toulouse et Valbonne en 2027/2028. Les sites demeurent et continueront d’accueillir les équipes qui restent sur place.

Notre bureautique est du Microsoft Office 365. Notre politique actuelle est de favoriser autant que possible le SaaS. Par exemple, nous avons Salesforce pour le CRM, SAP pour la maintenance et ServiceNow pour l’ITSM. Nous avons aussi des SaaS pour couvrir des besoins métiers (par exemple la gestion des gares de fret).

Pour des besoins spécifiques ou lorsque nous avons un outil stratégique et différenciant, nous conservons du développement interne. Typiquement, c’est le cas pour le Revenue Management.

Où en sont vos projets data autour de votre programme Unified Data Architecture ?

Le gros sujet, c’est évidemment la migration vers Google Cloud Platform. Cela contribuera fortement à poursuivre le rapprochement entre Air France (actuellement sur Teradata) et KLM (actuellement sur SQLServer). Je reste responsable, en tant que Chief Data Officer, de sujets essentiels tels que la qualité de la data, la data gouvernance, la formation et les rôles autour de la data, etc.

Nous travaillons sur tous les aspects de la data. Et nous voulons accélérer tous les traitements de la data.

Nous voulons aussi faciliter le recours à l’IA et à l’IAG. Pour cela, nous avons une instance privée OpenAI sur Azure (baptisée en interne Talia).

Où en est le programme One Order pour distribuer des offres tierces et quelles sont les implications en termes d’IT ?

L’idée est de changer mondialement la manière de vendre des billets d’avion. Nous voulons adopter une logique « caddy » avec les billets, les options, etc. Aujourd’hui, tout est centré sur le PNR, c’est à dire l’identifiant du billet. Et tout le reste a été raccroché au fil des ans pour gérer les options, les surclassements… C’est l’architecture même du système qui va donc profondément changer.

Nous avons prévu de prendre les décisions stratégiques sur les développements à réaliser d’ici la fin 2024. Le sujet est tellement important que cela mérite une réflexion profonde. Il n’est pas forcément pertinent d’être la première compagnie à adopter une telle approche. La totalité du marché est concerné par de telles réflexions.

Le nouveau système permettrait de vendre du non-aérien (pare exemple : location de voiture, chambre d’hôtel…) mais ce n’est pas le coeur de notre stratégie. Pour l’heure, nous visons surtout à mieux vendre nos offres aériennes.

Quels sont vos autres grands projets du moment ?

Nous avons à terminer la convergence du SI Cargo (CargoBus). Roissy a basculé sur le nouveau système en mars 2024 et Amsterdam basculera en 2025.

Nous avons des programmes de convergence et d’évolution d’un seul CRM sous Salesforce, d’une seule ingénierie de la maintenance sous SAP…

Concernant la finance, nous sommes actuellement sous SAP ECC 6. Nous allons d’abord faire converger tous les systèmes du groupe sous SAP ECC 6 avant d’engager une migration S/4Hana à partir de 2026.

Dans les regrets de votre prédécesseur, Jean-Christophe Lalanne, il y a la faible féminisation dans les équipes IT. Avez-vous progressé sur le sujet ?

Cela reste, je ne le cache pas, un sujet compliqué.

Cela dit, le CIO Office est confié à une néerlandaise et vous connaissez Julie Pozzi, head of operations research, data science et data strategy d’Air France-KLM, qui est à la tête de notre data factory.

Nous avons aujourd’hui environ 30 % de femmes au sein de l’IT et le taux atteint 40 % dans les embauches 2024. Bien sûr, nous sommes encore loin d’avoir totalement réglé le problème mais je trouve que nous nous en sortons plutôt bien étant donnée la proportion de femmes dans les formations IT.

D’ailleurs, nous apportons notre contribution en envoyant des équipes dans les collèges et les lycées pour inciter les jeunes femmes à choisir des filières technologiques. Nous avons aussi, au sein du groupe, un réseau d’entraide de femmes pour qu’elles se positionnent sur les postes d’encadrement et de direction afin de progresser au moins autant et aussi vite que les hommes.

Enfin, quels sont vos défis pour les mois à venir ?

J’en vois quatre.

D’abord, le service aux clients finaux. Notre activité est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Notre production est temps réel.

Ensuite, bien sûr et sans surprise, la maîtrise des coûts. Je pense en particulier aux coûts de la continuité d’activité. Nous sommes protégés par nos contrats vis-à-vis de VMware jusqu’en 2026. Mais, d’une manière générale, les négociations sont souvent très compliquées avec les éditeurs. Nous avons notamment des problèmes de coexistence entre un existant on premise et un nouveau système cloud lors de la transition on premise/cloud : double système et donc double coût.

La migration Cloud en elle-même constitue un troisième défi.

Enfin, comme Julie Pozzi l’a très bien expliqué, la data et l’IA constituent aussi un défi. Nous avons bien dépassé la phase du démonstrateur mais il reste à achever la transformation métier. Nous allons achever cette transformation en 2025.

Podcast - Diriger l’IT avec une vision métiers

Le groupe Air France-KLM fête cette année son vingtième anniversaire. Parmi les grands acteurs mondiaux du transport aérien, le groupe comprend trois marques (Air France, KLM et Transavia) et trois métiers (passagers, fret, maintenance). Ayant succédé à Jean-Christophe Lalanne, Pierre-Olivier Bandet est aujourd’hui Executive Vice-Président Information Systems d’Air France-KLM mais a un parcours essentiellement côté métiers. Cela a évidemment des conséquences sur sa manière de gérer l’IT.