Frédéric Germain (La Banque Postale) : « la data est le levier de notre transformation »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
A La Banque Postale, la data est au coeur des évolutions stratégiques comme l’explique Frédéric Germain, Group CDAIO.
Pour commencer, pouvez-vous nous présenter La Banque Postale ?
La Banque Postale est détenue exclusivement par le Groupe La Poste. La Poste est détenue majoritairement par la Caisse des dépôts (à hauteur de 66 %) et à hauteur de 34 % par l’Etat. Nos services bancaires et d’assurance sont distribués par le réseau des 7 000 bureaux de Poste. En effet, nous avons une une mission stratégique de service public : l’accessibilité bancaire au travers de 17 000 points de contact sur tout le territoire.
Pour ce faire, nous avons 32 500 collaborateurs implantés dans 19 pays au service de 10,1 millions de clients particuliers actifs et 308 000 clients personnes morales et acteurs publics locaux. Notre filiale CNP Assurances protège 48 millions d’assurés.
Pouvez-vous nous expliquer l’organisation de la data à La Banque Postale et comment vous vous intégrez à l’IT et à la SSI ?
En tant que Chief Data & AI Officer (CDAIO) du Groupe, j’ai la charge de la Direction de la Data & de l’IA du groupe au sein de la Direction de l’innovation du digital et de la data (DIDD). La DIDD comprend aussi l’incubateur interne et les équipes digitales.
La DSI et la DIDD sont rattachées à une même direction, avec les paiements. Si les équipes SSI opérationnelles sont intégrées à la DSI, à l’inverse, le RSSI est rattaché à la direction des risques. Quant au DPO, il est au niveau du Groupe La Poste, un DPO délégué étant, lui, rattaché au Secrétariat Général de La Banque Postale.
Et quel est, par conséquent, votre rôle exact ?
Au-delà d’élaborer et de piloter la stratégie data du groupe et sa déclinaison locale, avec les diverses parties prenantes (métiers, IT…), ma direction accompagne nos métiers de la Bancassurance et nos filiales dans leur transformation grâce à la valorisation de la data et de l’IA. Nous estimons en effet que la data est le levier de notre transformation.
Concrètement le rôle du Data Office s’articule autour de cinq missions que nous pilotons au quotidien.
Tout d’abord, nous sommes en charge du développement des socles techniques solides pour exploiter les données en toute sécurité et performance, incluant des plateformes de Big Data, de décisionnel, et des environnements de data science comme celui basé sur Dataiku et comme notre plateforme on premise d’IA Generative, MIA ! (Mon Intelligence Artificielle).
Ensuite, nous définissons les cadres d’utilisation de ces plateformes, d’encadrement des usages et de gouvernance de nos données, visant à disposer de données accessibles de manière responsable et de qualité. Cette gouvernance par domaine de données en mode distribué (par data domain) clarifie notamment les responsabilités des divers acteurs, en assurant la qualité et la documentation des données et des usages.
En troisième lieu, nous avons à accélérer les usages des données grâce à notre Data Factory. Celle-ci assure le développement de nos cas d’usages et permet l’adoption de l’IA sur des cas concrets comme l’analyse des données pour le pilotage commercial, la lutte contre la fraude ou l’exploitation des données extra financière répondant aux enjeux ESG, CSRD notamment.
Retrouvez Frédéric Germain au Club du 15 mai 2025
Frédéric Germain sera l’un des Grands Témoins du Club Data On Board / Club CISO du 15 mai 2025 sur le thème « Fraude : la détecter à temps grâce aux données ».
Club Data On Board et Club CISO sont des événements élitistes et confidentiels qui permettent aux Chief Data Officers, aux RSSI et Directeurs Cybersécurité de grandes entreprises de pouvoir échanger librement et de manière disruptive, sans langue de bois et « off the record ». Ce qui se dit dans le club reste dans le club : il n’y a aucun compte-rendu.
Quatrièmement, nous avons en charge l’acculturation et la formation nécessaires de l’ensemble des acteurs sur la data, l’IA, les solutions et les processus évoqués, étant donné qu’ils sont en constante évolution.
Enfin, nous assurons aussi un rôle particulier, métier, sur les données référentielles, et notamment les données issues de tiers.
D’un point de vue data, notamment de sécurité et de confidentialité, y-a-t-il des particularités liées au fait que le réseau de guichets est géré par La Poste ?
Le sujet est globalement traité par le RSSI et nous travaillons étroitement avec notre DPO.
De plus, des contraintes réglementaires dans le domaine bancaire nous imposent des exigence fortes, spécifiques par rapport aux autres activités du Groupe La Poste. Si nous avons un enjeu de simplification d’accès aux données afin d’en faciliter l’exploitation, il nous parait important de maîtriser sur nos infrastructures les données de nos clients. C’est ce qui nous conduit notamment à construire notre plateforme IA GEN « MIA » on premise, même s’il nous arrive de co-expérimenter avec le Groupe La Poste sur d’autres initiatives comme l’expérimentation Copilot pour nos collaborateurs.
Concrètement, la data à La Banque Postale, c’est quoi ?
La Banque Postale utilise les données afin de mieux connaître ses clients à travers une segmentation client plus précise, donc plus efficace, permettant de cibler les besoins de nos clients de manières plus spécifiques et d’améliorer leur expérience globale. Cela nous permet également d’optimiser nos processus internes, tout en renforçant la sécurité de nos données et soutenir une finance plus responsable.
Il s’agit également de trouver un équilibre juste entre le développement des usages et le cadre règlementaire : les réglementations autour des données se sont intensifiées ces dernières années et sont une priorité pour les instances européennes.
Le RGPD a instauré un cadre structuré autour du traitement des données personnelles, tout comme le fera l’IA Act pour l’utilisation de l’intelligence artificielle. Ce texte, cross-sectoriel, vise à prévenir les dérives potentielles liés à l’IA, à garantir la sécurité et le respect des droits fondamentaux tout en encourageant l’innovation. Il introduit pour cela des changements majeurs tels que la notion de SIA (Système d’Intelligence Artificielle) à haut risques et impose des devoirs de transparence, de responsabilité et de surveillance. Les exigences posées s’échelonnent de 2025 à 2030.
De plus, la Banque centrale Européenne (BCE) a récemment renforcé ses exigences concernant la qualité des données des reportings bancaires (RDARR) que nous soumettons- aux régulateurs.
Enfin, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive ou la Directive sur les rapports de développement durable des entreprises), directive européenne en matière de reporting extra-financier, vise à améliorer et à harmoniser la publication d’informations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) par les entreprises.
Quels sont les objectifs que vous poursuivez pour ces datas ?
L’ambition du groupe, partagée avec le ComEx en début d’année est que la data devienne le levier majeur de la transformation de la Banque Postale et de ses filiales au service des clients et des collaborateurs comme je l’ai déjà indiqué.
Par exemple, il s’agira de permettre à tous les métiers de valoriser les données mises en qualité de La Banque Postale pour générer de la valeur, par exemple en optimisant le ciblage marketing ou les processus grâce à l’IA, afin d’améliorer la satisfaction client. On pourra également fixer un cadre pour exploiter ces technologies, notamment avec l’arrivée à maturité de l’IA et l’émergence de l’IA Générative.
Bien entendu, La Banque Postale s’engage aussi à intégrer les enjeux réglementaires dans une démarche responsable et citoyenne, en tant que tiers de confiance pour ses collaborateurs et clients.
Plus concrètement, quels en sont les usages courants de la data ?
Pour commencer, bien entendu, nous voulons détecter des moments de vie afin de personnaliser la communication client : la direction Marketing et d’autres directions comme notre banque d’investissement (la BEDL, Banque des Entreprises et du Développement Local, ex-BFI) et d’autres filiales sont autant d’acteurs qui ont mis en place des modèles de machine learning permettant de détecter ces moments clés dans la vie de nos clients et prospects (appétences produits, risque de départ…) afin de personnaliser et maximiser l’impact de nos interactions client et de renforcer notre produit net bancaire (NDLR : le chiffre d’affaires d’une banque).
Nous rapprochons, selon un algorithme de matching, les données open data de l’INSEE et les données signalétiques du Référentiel Client de la banque. De la sorte, 17 000 clients ont pu être identifiés comme décédés, ce qui nous a permis de mettre en oeuvre les mesures correctrices nécessaires.
Bien sûr, un usage concerne aussi la détection de la fraude. En appliquant de l’IA aux 150 millions de connexions par mois, nous avons pu renforcer significativement l’efficacité des modèles de détection de la fraude (identification de nouvelles patterns, analyse des signaux faibles, etc.).
Nous avons à cœur d’améliorer notre expérience clients. En traitant plus de 3.3 millions d’appels en un an, le callbot Lucy (construit sur la solution Zaion) permet d’atteindre un niveau d’accessibilité de plus de 85 % et de dégager du temps commercial pour les conseillers.
Enfin, nous travaillons sur l’efficacité opérationnelle. Les solutions d’IA sont notamment déployées pour l’identification des motifs d’interactions, aussi bien par e-mail que par courrier postal.
Quelles technologies utilisez-vous ?
Notre stratégie repose sur des plateformes on premise. Cependant, nous avons une réflexion sur une certaine hybridation.
Nous utilisons des technologies variées (Sas, Cloudera, Dataiku…) selon les enjeux. Au-delà des outils avancés de data science ou de valorisation de la donnée (comme Dataiku), nous disposons aussi d’outils de BI tels que Qlik, Tableau, et des solutions open source.
Pour le Data Management, nous employons Collibra. Et puis, nous mettons aussi en eouvre des démonstrateurs avec des technologies innovantes comme, par exemple, Naiia pour travailler sur la conformtié AI Act, ou sur des solutions de bases de données orientées graph (Neo4J, Linkurious…) combinée avec l’IA générative.
Quelle est la répartition des compétences entre la direction data et la DSI ?
La direction data et IA a un rôle de responsable produit. La DSI opère à la fois comme maîtrise d’oeuvre et maîtrise d’ouvrage. Sur les référentiels, le rôle de maîtrise d’ouvrage est partagé avec la direction data et IA. La Data & AI Factory est intégrée à la direction data et est une équipe de data scientists pour réaliser la mise en œuvre. C’est cette équipe qui réalise notre IAG. Elle est au coeur de l’accompagnement de nos métiers dans la mise en oeuvre de leurs cas d’usage les plus complexes.
Mais nous avons la volonté de donner un maximum d’autonomie aux métiers pour tester les cas d’usage avant, le cas échéant, d’industrialiser sous l’égide des équipes IT et data.
L’IA est clairement l’une de vos préoccupations mais pouvez-vous nous donner quelques exemples de cas concrets d’usages, notamment d’IAG ?
Au sein de la direction de la data groupe, nous accélérons les expérimentations d’IA et d’IA générative en particulier pour améliorer l’efficacité opérationnelle de nos collaborateurs ainsi que la relation client.
La Data & AI Factory a ainsi réalisé plusieurs cas d’usages concrets de l’IA et de l’IAG.
Dans le cadre du conseil à distance, au sein des CREC (Centre de Relation et d’expérience Clients), une documentation conseiller augmenté, disponible à travers un outil conversationnel, permet au conseiller d’accéder rapidement aux informations de la base documentaire.
En matière de traitement des réclamations, nous avons développé une aide à la réponse client avec une proposition de réponse automatique et personnalisée.
Les conseillers bancaires en bureau de poste, pour leurs opérations marketing, auront accès à une documentation commerciale augmentée leur permettant de renseigner les clients sur les produits d’assurance santé et automobile.
Bien sûr, nous avons de nombreux cas d’usages en lien avec la lutte contre la fraude, notamment la détection de la fraude documentaire.
Par ailleurs, La Banque Postale s’est engagée à renforcer ses contrôles, notamment lors des procédures d’entrée en relation avec les clients. Cela permettra de garantir la conformité aux normes réglementaires, mais contribuera également à réduire les pertes financières liées aux activités frauduleuses. Une mesure essentielle pour atteindre cet objectif est l’implémentation d’une solution technologique avancée, conçue pour minimiser les risques de fraude documentaire et d’usurpation d’identité. Cette solution exploite les photos des pièces d’identité des clients pour constituer une base de données de fraudeurs potentiels.
Quels autres projets menez-vous ?
Au delà de l’IA que j’ai déjà largement évoquée, nous avons un programme de transformation en soutien de la stratégie du groupe sous l’égide de Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque Postale. Ce programme vise à mettre à disposition de nos métiers des capacités data et IA à l’état de l’art, que ce soit en Big Data, en décisionnel ou en IAG. Il supporte le déploiement de notre gouvernance des données en mode data domains fédérés.
Nous avons, de ce fait, mis en place un chantier data transverse autour de quatre axes. Tout d’abord, il s’agit d’accroître nos capacités techniques et de sécurité de nos données, notamment en suivant les migrations associées à l’évolution du SI. Bien entendu, il y a un chantier régalien de gouvernance de la data. En troisième lieu, il s’agit de faire évoluer les référentiels avec un meilleur data management et la mise en place de master data management. Enfin, évidemment, nous avons un chantier IA/IAG.
A ce programme est évidemment associé un chantier de formation et d’acculturation.
Retrouvez Frédéric Germain à la Nuit de la Data et de l’IA
Frédéric Germain est membre du jury des Trophées de la Nuit de la Data et de l’IA. Il a donc assisté aux présentations des candidats le 15 janvier 2025 et interviendra à la cérémonie le 3 février 2025 au Théâtre de la Madeleine.
Quels défis avez-vous à relever en 2025 ?
Le défi principal est de faire de la data l’affaire de tous. De ce challenge découle finalement le cœur de nos défis opérationnels aujourd’hui, que je résumerai en cinq points.
D’abord, il nous faut acculturer l’organisation. Mais se former sur un sujet qui est en constante évolution nécessite de rester ouvert, curieux, au fait des dernières évolutions technologiques comme réglementaires.
Ensuite, il s’agit de maîtriser nos données et de disposer de données de qualité, ce qui doit permettre à ceux qui vont les valoriser d’y avoir accès pour leurs usages en responsabilisant les métiers sur leurs propres données et usages.
En troisième lieu, il nous faut enfin disposer des outils et de moyens de les exploiter à l’état de l’art, intégrant donc les dernières innovations, comme l’IA notamment, et des socles technologiques robustes et fiables.
Le quatrième point concerne la structuration et le renforcement de notre filière data & IA au sein de La Banque Postale en assurant un relai dans chaque métier avec un responsable data clairement identifié et en charge de la trajectoire data de son métier
Enfin, nous avons à accélérer sur les développements des cas d’usage, au service de nos ambitions métiers en particulier des chantiers de la stratégie du groupe, « 12+1 », que nous accompagnons. Ce point renvoie, par exemple, à l’aide à la réponse aux réclamations clients, à la documentation commerciale augmentée, à la documentation conseiller augmentée… avec des avancées très concrètes pour nos clients et nos collaborateurs.