Dominique Guivarch (Invivo) : « la DSI est très impliquée dans les M&A dès le début »
La « coopérative de coopératives agricoles » Invivo multiplie les opérations d’achats et de ventes d’activités, notamment récemment avec le groupe Soufflet. La DSI y contribue largement. Comme dans de nombreuses entreprises du secteur agro-alimentaire, data, IA, blockchain… sont autant de sujets aux forts impacts métier. Tour d’horizon avec Dominique Guivarch, DSI groupe d’Invivo.

Pouvez-vous nous présenter Invivo ?
Nous sommes une « coopérative de coopératives agricoles » : nos adhérents sont environ 190 coopératives. Nous réalisons aujourd’hui 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce à nos 15000 collaborateurs. Au départ, il s’agissait de mettre en commun des services comme le négoce. Dans le secteur agricole, les marges sont faibles et nous avons de ce fait, y compris pour l’IT, une culture de la frugalité.
Invivo a quatre métiers.
Tout d’abord, bien entendu, il y a l’agriculture (céréalière, pas potagère). Nous travaillons avec les agriculteurs et les coopératives pour la fourniture de semences, d’engrais, de conseils… Nous sommes le premier collecteur de céréales en Europe (récupération, stockage, nettoyage…).
Nous avons aussi une activité agro-alimentaire. Nous transformons les denrées dans une centaine d’usines réparties dans 38 pays. Par exemple, nous sommes le premier meunier de France et le premier maltier au monde (nous fournissons 30 % du malt pour les whiskys britanniques et de nombreux brasseurs). Nous fabriquons de la boulangerie industrielle sous marque blanche pour la grande distribution. Dans ce domaine également, nous embouteillons et distribuons du vin d’assemblage.
Un troisième métier est le commerce de grains à l’international avec, d’une part, le trading sur Euronext et à Chicago, et, d’autre part, la logistique (export de France comme d’Europe Centrale et Orientale).
Enfin, nous avons un métier de distributeur. Nous disposons de 1700 magasins, pour l’essentiel en France, comme des jardineries (Gamm’Vert…) et de l’alimentaire (Bio & Co, Frais d’Ici, Boulangeries Louise…).
Comment est organisée l’IT ?
Nous avons un modèle hybride centralisé/décentralisé. Nous disposons de six DSI, une par métier sauf pour l’agroalimentaire où nous en avons trois (malterie, meunerie et vin). Les équipes sont organisées par divisions en mode business partner et en gérant à la fois le build et le run. Par exemple, le système de caisse est géré dans la division retail et nulle part ailleurs.
Chaque DSI rapporte au DG de sa division mais m’est hiérarchiquement rattaché.
Pour les systèmes et les technologies mutualisés, nous disposons d’une dizaine de centres de compétences : SAP, CRM, data, industrie, produits (innovation et développements spécifiques), opérations (infrastructures, service desk, digital workplace…)… La cybersécurité est centralisée aussi le CISO me rapporte.
Nous avons également au niveau groupe une équipe de gouvernance pour la stratégie, le planning, une grosse part de la gestion des acquisitions et reventes d’activités (M&A)…
Par ailleurs, à côté de la DSI, Invivo a aussi une Digital Factory sous forme de filiale. Dirigée par notre CDO Stéphane Marcel, sa vocation est de développer des produits digitaux notamment pour nos coopératives adhérentes (par exemples : la plateforme e-commerce Aladin.farm, le moteur d’intelligence Artificiel MAITE ou notre blockchain Transparency…). La DSI, à l’inverse, travaille pour le groupe lui-même.
Retrouvez Dominique Guivarch à l’IT Night
Dominique Guivarch est membre du jury des Trophées de l’IT Night. Il va donc assister aux présentations des candidats le 30 avril 2025 et interviendra à la cérémonie le 26 mai 2025 au Théâtre Mogador à Paris.
Informations et inscriptions.
Quels sont vos grands principes d’architecture ?
Nous avons des métiers tellement différents qu’il est juste impensable d’avoir un système unique. Le SAP de la collecte est différent du SAP du retail. Nous avons six SAP différents avec du S/4 en Rise, du S/4 on premise, de l’ECC6, de l’ECC6/Hana… Sur quelques acquisitions, nous avons des progiciels différents (Info M3, Microsoft Dynamics…). Nous n’avons aucune vocation à consolider nos ERP.
Côté collaboratif, nous utilisons Microsoft Office 365 sur Azure. On ne se pose plus la question du multicloud…
Invivo opère de nombreux rachats et fusions, comme récemment le groupe Soufflet. Côté IT, carve-in et carve-out ne sont pas triviaux. Comment procédez-vous ?
Nous avons en effet mis en place une méthodologie rigoureuse car carve-in et carve-out sont très fréquents chez nous. La DSI est très impliquée dans les M&A dès le début.
Quand nous achetons une entreprise, il y a parfois des activités qui ne nous intéressent pas et que nous revendons. Par exemple, avec le groupe Soufflet, nous avons revendu à Avril l’activité de mise en sachets de légumes secs et la chaîne de fast-food Pommes de Pain a été reprise en LBO par le management. La revente est évidemment associée à un TSA (Transitional Service Agreement, accord de service transitoire) : nous opérons le SI jusqu’à l’autonomie de l’activité cédée. L’équipe M&A suit aussi bien les intégrations que les ventes avec TSA.
Un projet sur dix de M&A aboutit à un rachat effectif. La première étape est une étape conjointe finances, juridique, IT… pour analyser les risques et les opportunités. Entre le « sign-in » (promesse de vente) et le « Day-One », nous travaillons pour que la collaboration soit possible dès l’effectivité du rachat, le « Closing » (échanges de documents, organisation de réunions…). Dès le « Day-One » (« Jour Un »), les équipes doivent travailler ensemble.
L’étape suivante est la Post-Merger Integration (PMI, intégration après-fusion). Notre approche à ce stade est bottom-up. Nous menons une quinzaine d’ateliers, chacun sur un sujet (infrastructures, cybersécurité, ERP, CRM…), associant des collaborateurs d’Invivo et du racheté. Ces ateliers aboutissent à quatre grandes familles de recommandations : copie du système Invivo chez le racheté, copie du système du racheté chez Invivo, mettre en place autre chose ou on ne fait rien car tout est déjà opérationnel. Nous procédons toujours avec honnêteté et pragmatisme, sans privilégier nécessairement le système d’origine Invivo.
Par exemple, dans le cas des malteries Soufflet, la seule géographie commune était le Royaume-Uni. Ce pays a été basculé sur le SI européen. L’Amérique du Nord et l’Australie ont été laissées sur une déclinaison de Microsoft Dynamics et l’Europe sur S/4Hana. Il y avait deux ERP tout neuf : nous n’avons donc rien fait ! A l’inverse, pour le collaboratif sous Microsoft Office 365, nous avons fusionné les deux instances en trois mois.
D’une manière générale, nous sommes sur une logique « best of breed ». De ce fait, il est de plus en plus difficile, au final, de trouver mieux à chaque opération. Mais nous trouvons parfois des systèmes qui peuvent nous inspirer dans nos rachats.
Au bout de trois mois, nous dressons un rapport avec une définition de la cible organisationnelle et de la cible technique. Notre plan d’action est donc en trois parties qui sont autant d’échéances : les quick wins (dans les six mois), les chantiers prioritaires (un an) et les chantiers structurants (plus d’un an, par exemple si on rationnalise des ERP). Le principe est que le plan d’évolution s’autofinance : les économies financent les travaux.
En tant que groupe alimentaire, la traçabilité doit vous être essentielle. Comment procédez-vous ? En particulier, pourquoi recourez-vous à la blockchain ?
En effet, nous faisons de la traçabilité depuis toujours ! Si nous sommes amenés à effectuer un rappel de produits suite à un problème, il faut que nous sachions quels lots sont concernés et où ils sont. Comme c’est une obligation légale, il n’y a pas lieu de se poser mille questions.
Il y a six ans, nous avons mis en place des blockchains avec la technologie d’un pure-player français, Connecting Food, mais nous opérons en interne nos chaînes. La blockchain a été mise en place, au départ, chez Soufflet pour la farine. Aujourd’hui, nous avons la première blockchain industrielle au monde avec une chaîne dédiée à la bière. Plus de 300 millions de bouteilles et 100 millions de cannettes, notamment de notre client Karlsberg, portent ainsi un QRcode renvoyant sur notre blockchain. Celle-ci sert à rendre disponible à l’extérieur une information de traçabilité issue de nos systèmes, « de la fourche à la fourchette ». On suit ainsi le grain (et le lieu de sa culture), la farine puis le malt (dans quelle usine, quand…) puis la bière (dans quelle brasserie, quand…). Nous mettons en place la même chose pour le pain (« du blé à la baguette »).
Comment utilisez-vous data et IA pour optimiser vos processus ?
Ce point est traité en très étroite collaboration avec notre digital factory. Certains produits sont créés à la DSI et confiés à la digital factory, d’autres font le chemin inverse.
Nous avons, à titre de démonstrateur, mis en œuvre un moteur d’IA en collaboration avec une ESN spécialisée, Dataswati, et du développement interne.
L’objectif du premier cas d’usage est l’optimisation des processus de la chaîne de production du malt. L’orge est trempé vingt-quatre heures à 18°C, la germination prend deux à trois jours à 18°C puis nous chauffons pour stopper la germination et donner le goût de la bière grâce à la bonne température et la bonne durée. Le contrôle de température est évidemment énergivore. Il nous faut donc économiser l’eau et l’énergie tout en accélérant autant que possible la production. L’IA est utilisée pour optimiser les différents facteurs tout en veillant à la stabilité gustative malgré la variation du climat, du terroir, du taux de glucides, du taux de protéines… Le brasseur reçoit un cahier des charges très précis décrivant le malt recherché. Il ya , dans une usine, 1800 capteurs pour alimenter en données l’IA et trouver l’optimum. Mais l’IA ne fait qu’aider les maîtres malteurs qui demeurent les décideurs finaux. Notre système Maïté (Malt Artificial Intelligence Technology) est déployé progressivement depuis cinq ans dans toutes nos usines.
Quels sont défis pour 2025 et au-delà ?
Suis-je original ? Je ne crois pas. En premier, je vais donc citer la cybersécurité. Nous opérons depuis vingt ans à la fois en Russie et en Ukraine sans prendre partie ou abandonner nos collègues. Nous sommes donc évidemment une cible. Nous subissons de nombreuses attaques quotidiennes, notamment des attaques DDoS. Nous avons en moyenne deux incidents graves par an. Avec les enjeux géopolitiques, les moyens et la sophistication des pirates se sont accrus.
Un autre défi est, tout de même, une certaine rationalisation et le traitement de la dette technique face à une diversification des métiers. Or la frugalité reste obligatoire et constitue donc un facteur limitant évident.
Enfin, nous devons accélérer la consolidation des contrats et rationaliser nos fournisseurs. Même si nous aimons la diversité, 500 fournisseurs et 950 applications, c’est trop.