Anne-Cécile Ortemann (AND) : « notre agence ne travaille jamais seule »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
L’Agence du Numérique de Défense conduit les grands projets IT du Ministère des Armées. La générale de division Anne-Cécile Ortemann en est la directrice depuis un an. Elle revient ici sur les missions, les réalisations et les défis de l’AND.
Pouvez-vous nous présenter l’Agence du Numérique de Défense (AND) ?
Le rôle de l’AND reste basé sur l’arrêté d’avril 2021. Nous avons trois grandes missions.
La première est de conduire, au profit de tout le Ministère, des projets numériques complexes ou à forts enjeux qui nous confiés par différentes directions et services du ministère. Au moins une fois par an, un comité de pilotage, comprenant des représentants des trois grands subordonnés (EMA, DGA, SGA) et précise ce qui est confié (ou retiré) à l’AND en fonction des priorités. Grace à notre positionnement au sein de la direction des opérations, du maintien en conditions opérationnelles et du numérique, nous pouvons être impliqués dans certains programmes d’armement, par exemple pour garantir un cadre d’interopérabilité entre le SI et un système d’arme ou pour accroître l’efficience d’un volet numérique grâce à notre savoir-faire spécialisé.
En deuxième lieu, nous conseillons les différentes entités du Ministère (ou plus exactement, en général, leur DSI) sur le volet contractuel (en amont, sur la rédaction des documents contractuels comme les exigences techniques, ou en aval sur l’exécution du contrat et la relation fournisseur) et sur la conduite d’un projet. Nous nous appuyons, pour cela, sur notre connaissance des différentes méthodes de conduites de projet (de l’agile au cycle en « V » adapté en passant par de l’incrémental) qui doit garantir dans tous les cas la réalisation de livrables réguliers. Nous traitons aussi les problématiques d’architecture, d’urbanisation… Et nous accompagnons également des porteurs de projets pour la présentation aux décideurs ou gérer la relation avec la DIRISI en vue de la mise en exploitation du projet.
Enfin, nous mettons en œuvre la politique industrielle pilotée entre la DGNum et la Direction de l’industrie de défense de la DGA (Direction Générale à l’Armement).
Comment l’AND s’insère-t-elle parmi tous les services ayant un rôle dans le numérique du Ministère des Armées ?
La DGNum (Direction Générale du Numérique) est l’interlocuteur naturel de la DINUM (Direction interministérielle du numérique). Elle propose la politique ministérielle et émet des directives pour le ministère. L’AND est bien sous le contrôle de la DINUM pour les projets importants en matière d’administration et de gestion, par exemples Source Solde (paie des militaires), Sparta (système de gestion du recrutement des armées), Seres (gestion de la restauration pour le compte du Commissariat des Armées)… Pour les systèmes opérationnels, le contrôle est assuré par l’état-major des armées et la DGA avec une comitologie adaptée à chaque projet.
La DIRISI (Direction Interarmées des réseaux d’infrastructure et des SI de la Défense) est l’opérateur du ministère et fournit l’appui en matière de SIC dont le ministère a besoin et dont les armées ont besoin pour conduite les opérations. Elle gère aussi les contrats avec les sous-traitants privés du domaine SIC agissant dans le cadre de son périmètre. Comme elle exploite les systèmes, c’est elle qui assure les contrôles avant la mise en production.
Le ComCyber, de son côté, a un rôle majeur dans l’homologation en cybersécurité.
N’oublions pas les 21 DSI, en majorité sous la responsabilité du chef d’Etat major des armées.
L’AND n’est pas une DSI mais une agence de projets. Au sein de la DGA, nous sommes rattachés au Directeur des opérations, du maintien en conditions opérationnelles et du numérique qui est directement rattaché au Délégué Général à l’Armement.
Notre agence ne travaille par conséquent jamais seule. Au minimum, nous impliquons la DIRISI et la DSI concernée par nos prestations.
En cas de difficultés avec un fournisseur, chacun a son rôle. Si l’on prend l’exemple classique du cas Vmware/Broadcom, l’AND peut réfléchir à des alternatives techniques tandis que la DGNum et la Direction de l’industrie de défense vont réfléchir à la stratégie à adopter.
Vous avez pris vos fonctions, en succédant au général Dominique Luzeaux, il y a un an. Depuis, qu’est-ce qui a changé ?
Il n’y a pas eu, bien sûr, de révolution ! Les missions n’ont pas changé mais nous avons dû nous adapter suite à la réorganisation de la DGA et mieux nous faire connaître de nouveaux interlocuteurs.
Au bout de quelques mois, nous avons voulu rapprocher les managers de la direction. Auparavant, il y avait des chefs de division par grandes familles de programmes, en dessous des segments de management et, encore en dessous, des chefs de projet. Aujourd’hui, le comité directeur réunit tous les responsables de segments de management pour améliorer la communication et la diffusion d’information au sein de l’agence. Le niveau des chefs de division a été supprimé mais j’ai des adjoints spécialisés sur des sujets précis, notamment pour m’aider dans la rédaction de contrats d’objectifs et de performance avec les différentes autorités.
Les priorités stratégiques fixées lors de ma nomination sont, d’abord, d’être un acteur reconnu comme incontournable en interne au ministère, ensuite, de maintenir des liens interministériels pour profiter de collaboration ou de bonnes idées. Par exemple, le système Sosie, qui nous permet de disposer d’un moyen de signature électronique, utilise une brique issue du Ministère de la Justice. Cet outil gère la signature avancée et l’horodatage. Il est accessible en mobilité. Une autre priorité stratégique est de rendre l’agence attractive pour garder les effectifs ou en attirer en misant sur le fait qu’avoir un passage à l’AND sera valorisant sur un CV. Pour cela, nous mettons en valeur l’originalité et l’intérêt des missions de l’agence qui doit, de plus, respecter des contraintes fortes.
Enfin, l’objectif est de communiquer sur les réussites de nos projets. Cela peut n’être qu’une brève interne sur l’intranet de la DGA ou, selon les cas, de la communication externe plus ou moins importante.
Nous adoptons autant que possible une démarche agile avec d’abord des produits minimums viables puis des validations par la communauté des utilisateurs. Mais une telle démarche nécessite une grande implication des utilisateurs et donc que les directions concernées acceptent de consacrer des ressources humaines à la réalisation du projet.
Dans les grands projets lancés par votre prédécesseur, il y avait la création de deux clouds internes pour des niveaux de classification différents. Où en êtes vous ?
Nous allons prochainement communiquer autour de ce sujet mais, d’ores et déjà, je peux vous dire que ces deux clouds sont en production.
Nous sommes bien sur liées à l'AMIAD (Agence Ministérielle pour l’Intelligence Artificielle de Défense) qui va nous offrir des capacités de calcul. L’une des difficultés est le passage du patrimoine applicatif du Legacy vers le cloud, soit par migration soit par remplacement/décommissionnement. Il y a un gros travail d’accompagnement à faire à ce sujet.
Vous venez d’évoquer l’AMIAD. Quelles sont vos relations avec cette nouvelle agence ?
Nous avons des contacts bilatéraux très réguliers et nous avons une excellente entente. Le Ministère mène en ce moment un certain nombre de projets autour de l’IA. L’AND et l’AMIAD travaillent ensemble sur certains cas d’usage. L’AMIAD amène des outils et des compétences pour faire avancer les projets de l’AND où il y a de l’IA. Je vais vous citer quelques projets actuellement menés avec de l’IA.
Pour commencer, Artemis IA (architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-sources et d’intelligence artificielle) est une infostructure Big Data et IA. Le niveau « secret » de la partie Big Data, destiné au renseignement, est en cours de réalisation, y compris la brique « besoin d’en connaître » pour gérer les accès de manière fine. Ce projet est lié à ESCRIM qui vise à la collecte de données. Nous travaillons actuellement au niveau « diffusion restreinte ». Nous nous appuyons sur une joint-venture Thalès - Eviden (Atos) pour y ajouter une IA. Ici, l’IA va analyser et synthétiser des informations de formes et sources multiples (texte, vidéo…). Des démonstrations ont déjà eu lieu. Le projet global est bien avancé. Et quelque chose d’opérationnel sera probablement disponible courant 2025.
Nous créons également un Data Hub Embarqué, projet qui vient de la Marine et qui est aussi lié à Artemis IA ainsi qu’aux systèmes d’information des armées. L’objectif est de créer un produit pour utiliser de l’IA sur un navire (ou à terme d’autres objets ou véhicules, en mode edge puis far edge au plus près des forces en opérations). Il s’agit donc de pouvoir projeter de l’IA sur des théâtres d’opérations avec toutes les contraintes que cela implique. Même l’encombrement physique des ordinateurs est alors un sujet à prendre en compte.
Défi classique dans la fonction publique et sujet cité par Dominique Luzeaux, la guerre des talents est-elle toujours une difficulté ? Parvenez-vous à limiter le recours à la sous-traitance ?
Nous avons en effet recours à beaucoup de prestataires, notamment en AMOA parce que nous ne disposons pas en interne de la quantité de personnes nécessaires voire de certaines expertises. Mais chaque prestataire doit être habilité. Et nous restons vigilants pour maintenir un niveau de résilience adapté aux différents contextes qu’on pourrait rencontrer.
Nous recourons à un nombre variable de prestataires et, en interne, je pilote 448 équivalents temps plein rattachés à l’AND mais organiquement sous la responsabilité de leurs organisations respectives. En interne, l’AND compte une soixantaine de militaires et civils. Nous avons également intégré des apprentis.
Pour améliorer notre attractivité, les 16 et 17 octobre, nous organisons, au sein de l’Ecole Polytechnique à Palaiseau, des ANDays afin de « vendre » ce que l’on fait. Nous y ferons des conférences pour présenter nos activités sans mentir sur les difficultés, celle-ci pouvant même attirer des candidats intéressés par le challenge. Nous aurons accès au musée de Polytechnique où nous monterons une exposition temporaire sur l’histoire du traitement de l’information. Nous avons invité d’autres écoles pour participer, avec des stands de recrutement de l’AND, de la DGA, de la DIRISI…
Pour terminer, quels seront vos défis en 2025 ?
Ce n’est pas un changement mais notre premier défi reste de concilier les besoins opérationnels tant des forces que des services de soutien avec les contraintes pré-requises comme la pénurie de ressources humaines augmentée par la nécessité de n’embaucher que des personnels habilités. Le recrutement, de ce fait, constitue en lui-même un défi, qu’il s’agisse de recrutement externe, bien sûr, mais aussi interne (au sein d’autres services du Ministère).
En 2025, un autre défi, technique cette fois, sera le programme du futur ordinateur quantique de l’État dans le cadre du programme Proqcima-LSquare. Un accord cadre a été signé en mars 2024 dans le cadre de la stratégie nationale quantique et nous travaillons actuellement avec cinq start-ups. Les problématiques relèvent autant du choix de la technologie que de la souveraineté. Actuellement, nous sommes encore en phase d’études.
Enfin, nous devons continuer à faire la promotion, au sein du Ministère, des méthodes numériques, pas seulement agiles, y compris pour le volet contractuel.
Podcast - Pourquoi il est important de communiquer sur ses projets IT
Directrice de l’Agence du Numérique de Défense (AND) depuis un an, la générale de division Anne-Cécile Ortemann présente tout d’abord l’AND. Puis elle revient sur les raisons de toujours communiquer sur les projets menés, même en IT. En effet, il y a des enjeux internes mais aussi externes (valorisation des équipes, recrutement…). Contrairement à un objet matériel, un système d’information est difficile à appréhender par ceux qui ne s’y consacrent pas.