Les dirigeants de l’administration formés au numérique
Par Bertrand Lemaire | Le | Formation
Le 9 janvier 2024, les directeurs d’administrations centrales ont participé à une journée sur le numérique d’État organisé par la DINUM à l’occasion du lancement officiel du Campus du Numérique Public.
« Le numérique, accélérateur des politiques publiques » : ce mantra de la nouvelle feuille de route de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique, la « DSI groupe » de l’État) était aussi le titre d’une journée de formation destinée aux directeurs d’administrations centrales (DAC). En tout, un peu plus de deux cents des plus hauts cadres dirigeants de la fonction publique d’État ont été ou seront ainsi formés au numérique. L’État montre ainsi un exemple dont les grandes entreprises privées pourraient s’inspirer pour impulser leur propre transformation numérique en formant leurs cadres dirigeants et administrateurs. Après une première session de test en novembre 2023, la deuxième session, pour la plupart des DAC, avait lieu le 9 janvier 2024. Cette journée était aussi l’occasion du lancement officiel du Campus du Numérique Public comme indiqué par Cornélia Findeisen, cheffe du département « RH de la filière numérique de l’État » à la DINUM.
Après une plénière rappelant les grandes lignes de la démarche numérique de l’État, les DAC ont pu participer à une série d’ateliers aux thématiques variées. Certains étaient très administratifs : il s’agissait par exemple de simuler des comités d’investissements sur une série de projets. D’autres leur permettaient de découvrir des technologies, par exemple l’IA Albert. Cette journée aurait dû accueillir deux ministres, marque de son importance : Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué au numérique. Malheureusement, le gouvernement a démissionné la veille et la journée n’a donc bénéficié d’aucune présence politique.
Un fort enjeu de transformation
Cornélia Findeisen, cheffe du département « RH de la filière numérique de l’État » à la DINUM, a rappelé les objectifs de la journée : partager une culture numérique commune au sein du secteur public, faire comprendre aux DAC leur rôle dans la transformation numérique, présenter la conduite de projets numériques et enfin expliquer la place de l’IA dans le numérique public. La transformation numérique de l’État implique un fort rôle pour les DAC. Elle vise à plus d’efficacité, plus de simplicité pour les citoyens et tout en devenant plus souverain.
Comme Stéphanie Schaer l’a rappelé, le but de la journée était aussi que les DAC, qui dirigent l’administration française au quotidien, comprennent bien la stratégie numérique de l’État. Celle-ci repose sur une conduite de projets agile, à impact (à utilité démontrée) et en mode produit. Il s’agit également, d’un point de vue ressources humaines, de réarmer l’État en compétences numériques internes grâce à cinq cents créations de postes et un nouveau référentiel de rémunération pour les contractuels dont la publication est imminente. De plus, le métier d’intrapreneur de start-up d’État bénéficie aujourd’hui d’une véritable reconnaissance grâce à une certification professionnelle. Enfin, un projet mené avec la plate-forme Pix vise à reconnaître les compétences numériques des agents avec une qualification de leur niveau. En troisième lieu, la DINUM veut mieux exploiter la data, notamment via l’IA mais aussi via la démarche du « dites-le nous une seule fois ». D’ici 2025, les 250 principales démarches administratives seront en ligne et accessibles, un budget de 20 millions d’euros étant mobilisé en 2024 à cette fin. Enfin, la souveraineté est bien un élément stratégique pour la DINUM.
Des défis considérables
Trois défis ont été identifiés pour le numérique public par Stéphanie Schaer. Le premier est le défi de l’exécution : 48 « grands projets » (avec un budget de plus de neuf millions d’euros) bénéficient d’un budget de 3,6 milliards d’euros mais subissent, en moyenne, 25 % de taux de glissement calendaire et 12,8 % de glissement budgétaire pour une durée globale de six ans et quatre mois. La DINUM veut évidemment améliorer la mise en œuvre de ces projets et en garantir l’agilité. Le deuxième défi est celui de la finalité ou du « projet à impact » : mener un projet dans les temps ou même le budget est une chose mais encore faut-il s’assurer que le projet soit d’une utilité à la hauteur de son coût. C’est loin d’être toujours le cas. Enfin, encore une fois, le défi de la compétence, des ressources humaines, n’est pas le plus simple alors que 22 000 agents de la fonction publique travaillent dans le numérique. En dehors du cas particulier du Ministère des Armées, la plupart des développeurs demeurent des prestataires.
En plénière, Thomas Houy, enseignant-chercheur maître de conférence à Telecom Paris, a joué le rôle du trublion en venant présenter de bonnes pratiques pour mener la transformation numérique dans de grandes organisations. Sa présentation visait à surtout briser les habitudes qui sont, de fait, loin d’être optimales. Par exemple, l’interface-utilisateur se révèle dans les faits plus importante que les fonctionnalités pures pour le succès d’un projet. Ou bien il faut savoir externaliser ce que l’on sait faire (donc que l’on maîtrise) mais internaliser ce que l’on ne maîtrise pas pour acquérir les compétences nécessaires. Ou encore il a fustigé la logique du « passage à l’échelle » avec la fameuse idée du « tout le monde, c’est personne » : il faut savoir créer un bon service pour une cible limitée au lieu de vouloir à toute force mal servir tout le monde.