Olivier Monnier (Matmut) : « l’IA doit rester un outil au service de l’humain »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Cet article est référencé dans notre dossier : Nuit de la Data et de l'IA 2024 : retours sur la célébration des innovations data/IA
La Matmut est une mutuelle d’assurance qui, par sa nature, traite beaucoup de données, désormais de plus en plus avec de l’IA. Olivier Monnier, directeur data et IA de la Matmut, détaille ici la stratégie et les approches de la mutuelle.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la Matmut ?
La Matmut est une société d’assurance mutualiste créée en 1961. Nous avons 4,5 millions de sociétaires pour 8,2 millions de contrats d’assurance gérés (2022). Nous avons une offre complète, à destination des particuliers, des professionnels, des entreprises et des associations avec une large gamme de produits d’assurance des personnes et des biens (auto, moto, bateau, habitation, responsabilités, protection de la famille, santé, prévoyance, protection juridique et assistance). De plus, nous proposons aussi des services financiers et d’épargne (crédits auto, projet, assurance emprunteur, livret d’épargne, assurance vie, plan d’épargne retraite).
Nous réalisons un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros au niveau du groupe (SGAM Matmut) grâce à nos 6 500 collaborateurs (chiffres 2022).
Comment est organisée la fonction Data ?
La direction data a été créée en 2021 sur la volonté de notre direction générale et avec son fort soutien. Auparavant, le datalab était intégré à l’IT. La direction Data est elle directement rattachée au ComEx et donc plus au sein de l’IT. J’ai des relations avec le CTO qui sont d’égal à égal. Le fort soutien de la direction générale nous a permis de construire une direction data complète et opérationnelle en un an et demi.
Notre direction traite la totalité de la chaîne de valeur data.
Pour commencer, la data analytics. Nous sommes les interlocuteurs uniques de tous les métiers. Dans chaque direction métier, il y a un « relai data » qui connait bien les données et les besoins de leur direction. Ce sont eux qui amènent les cas d’usage à traiter qui font l’objet d’études exploratoires. Nous définissons alors avec l’ensemble de la communauté data une roadmap que nous soumettons au ComEx pour validation. Nous savons que tout ce qui est proposé est réalisable et répond à un besoin. Après, le ComEx peut arbitrer sur les priorités.
Le deuxième étage, c’est la data science. Nous avons à ce niveau, qui est celui de la modélisation, deux services consacrés à de l’IA. Ce que nous nommons l’IA « classique » concerne des traitements comme le scoring par exemple. Les data scientists peuvent être chez nous ou dans certaines directions métiers : le marketing en dispose mais pas la DRH. Et il y a le service de l’IA « avancée » qui se consacre à des sujets qui, normalement, réclament des développements de plus de trois mois. Mais ce n’est pas un laboratoire : ce sont de vrais projets avec des jalons et, au final, toujours une industrialisation.
La data ingénierie concerne la mise en production de nos traitements et modèles, évidemment en étroite collaboration avec l’IT.
Enfin, nous avons un service de data management. Son premier rôle concerne bien sûr la gouvernance de la donnée. Mais il suit également la conformité réglementaire. Et, en lien avec chaque relai en qualité de la data, il supervise les données traitées, y compris de partenaires comme Cardif IARD par exemple.
En matière de data, de quoi parle-t-on à la Matmut ?
Nous divisons nos données entre internes et externes. Les externes, cela peut être la météo autant que le géocodage IRIS de l’INSEE. Côté internes, on a bien sûr d’une part les données corporate classiques et, d’autre part, les données assurantielles et commerciales. Certaines de ces dernières peuvent être sensibles (en lien avec la santé par exemple), donc exploitées avec beaucoup de précautions et des limites particulières.
Certaines données sont structurées, d’autres non.
Retrouvez Olivier Monnier à la Nuit de la Data
Olivier Monnier fait partie du jury des Trophées de la Nuit de la Data. Il assistera donc aux présentations des candidats ayant déposé un dossier le 18 janvier 2024 et vous la retrouverez à la cérémonie de la Nuit de la Data le 5 février 2024.
Quelles technologies employez-vous pour traiter ces données ?
Pour nos usages, la donnée brute se déversait dans des datalakes on premise. Pour développer l’IA, ce n’était pas idéal. Comme directeur data, j’aurais voulu un système modulaire flexible mais le CTO préférait une plate-forme unique type Cloudera. Nous avons finalement choisi une solution de compromis avec le meilleur des deux mondes sur S3ns : un seul contrat, un seul univers français sécurisé et les technologies Google.
Nous avons également choisi une plateforme unifiée MLOps No/Low Code, Datarobot, en complément de développements en Python. Nous avons ainsi une capaciyté à concevoir et comparer une vingtaine de modèles avant de passer en production. Data scientists et data ingénieurs utilisent la même plateforme et le passage entre l’un et l’autre est donc parfaitement fluide. Actuellement, cette plate-forme est on premise mais à terme, en 2024, elle basculera sur S3ns.
Enfin, pour l’interface utilisateurs finaux, nous utilisons PowerBI avec une logique de Self-BI as a service. Mais, à terme, je pense qu’il faudra mieux structurer notre approche, notamment avec la mise en œuvre d’une maîtrise d’ouvrage pour coordonner nos travaux, en particulier quand il s’agira d’aller au-delà d’un simple affichage de résultat.
Evidemment, notre communication très fluide et claire avec l’IT facilite notre vie au quotidien.
Quels usages tirez-vous de votre patrimoine data ?
Comme toute assurance, nous avons d’abord les calculs actuariels, les scorings tant en risque qu’en commerce (attrition…), etc. Nous réalisons également des prévisions sur les risques climatiques comme les inondations et les sécheresses, avec leurs conséquences en termes de sinistralité de nos sociétaires.
En matière d’IA avancée, nous avons, avec S3ns, une capacité technique accrue et nous commençons à nous poser des questions, à réaliser des tests. Par exemple, nous voulons mieux traiter les données non-structurées. Et l’IAG a des cas d’usages.
D’une manière générale, l’IA est une des priorités du groupe. Evidemment, nous n’allons pas créer notre propre LLM (Large Language Model) et, pour limiter les consommations de ressources, on peut utiliser du SLM (Small Language Model) sur certains usages.
L’une des difficultés que nous rencontrons, c’est expliquer à tout le monde qu’utiliser ChatGPT sur son canapé et utiliser de l’IAG en entreprise, ce n’est pas du tout la même chose. ChatGPT peut répondre « sept ans de malheur » si on lui demande « que va-t-il se passer si je casse un miroir ? ». Mais ça serait ennuyeux si c’est la réponse à un de nos sociétaires qui nous demande comment il est couvert en cas de bris de verre…
Cela dit, à la Matmut, notre choix est clair : l’IA doit rester un outil au service de l’humain. Notre éthique est de rester focalisé sur l’humain, nos sociétaires comme notre personnel. Jamais nos sociétaires ne discuteront directement avec un robot mais, par contre, l’IA pourra être utilisée pour aider les conseillers qui, toujours, garderont le contrôle.
Quels sont vos projets actuels ?
Sans surprise, nous en avons beaucoup en matière d’IA…
Nous menons beaucoup d’études pour mieux connaître nos sociétaires et leurs besoins afin d’éviter la pression commerciale inutile.
Nous réalisons également des travaux exploratoires, par exemple dans l’informatique quantique.
Et puis il y a des sujets plus courants. Par exemple, nous avons un gros projet prévu sur au moins deux ans sur la détection de fraude, essentiellement de la part des professionnels (surfacturations). Deux approches complémentaires sont envisagées : l’analyse a posteriori (contrôle de l’existant) et l’analyse a priori (alerte avant de rembourser). Pour ce projet, nous allons beaucoup collaborer avec les métiers, notamment sur la définition des fraudes et les méthodes de découverte.
Et puis, si tout le monde a entendu parler de l’IA et de l’IAG, nous comptons mener un gros travail sur la démocratisation et l’acculturation. Là aussi, nous avons une petite difficulté : en France, il y a 67 millions de sélectionneurs nationaux pour l’équipe nationale de football et 67 millions d’experts en IA… Or il faut réfléchir sur les risques, la réglementation (avec l’AI Act), la mise en œuvre… Il faut expliquer aux collaborateurs ce que l’on fait en matière d’IA. Très clairement, si les métiers n’expriment pas de besoins, nous ne mènerons pas de projets sans nécessité. S’il y a une partie opérationnelle évidente dans l’implémentation, il y a aussi un certain nombre d’arbitrages qui relèvent du ComEx.
Le maintien de la conformité (RGPD et autres) malgré les évolutions réglementaires et les nouveaux projets est-elle une difficulté ?
Cela reste une contrainte à respecter et quelque chose de compliqué, d’autant plus que trouver les ressources humaines nécessaires est difficile. Nous veillons à ce que le cadre juridique reste porteur pour nos projets et à conserver une vraie capacité à suivre les évolutions de la réglementation.
Quels sont vos défis actuels ?
Il nous faut recruter, garder et fidéliser les experts data qui sont en pénurie sur le marché. Or beaucoup évitent les grosses mutuelles comme la nôtre car ils les jugent peu porteuses. A nous de leur faire changer d’avis. Mais c’est compliqué de les séduire et c’est compliqué de les garder, même si nous y arrivons mieux que la moyenne de notre secteur qui connaît une fidélité moyenne de l’ordre de dix-huit mois.
Le passage sur S3ns est notre défi technique du moment. Il va nous falloir réussir cette migration. Nous avons une feuille de route 2023-2024 de livraisons aux métiers et être dans les temps est notre première priorité. Il s’agit de délivrer autant des traitements déjà existants on premise que de nouveaux. Nous devons garantir la continuité des services aux clients internes malgré ce nouvel équilibre technique.
Enfin, il y a bien sûr le lancement de notre programme d’IA avancée avec ses cas d’usages.
Podcast - IA et IAG au service de la Matmut
Directeur data et IA de la Matmut, Olivier Monnier commence ici par présenter cette mutuelle d’assurance généraliste et rappeler la typologie de ses données. La Matmut est un grand utilisateur de l’IA, classiquement sur des modèles (scoring, prévisions…). Désormais, la Matmut commence également à utiliser de l’IA avancée et notamment de l’IAG.