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Florent Verrière (EDF) : « moins de temps pour les outils, plus pour valoriser les usages »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Cet article est référencé dans notre dossier : Nuit de la Data et de l'IA 2024 : retours sur la célébration des innovations data/IA

Florent Verrière, directeur donnée du groupe EDF, présente la fonction data et le rôle des données chez l’énergéticien. Le patrimoine data y est considérable et étendu avec de très nombreux usages. Et l’IA y joue un rôle croissant.

Florent Verrière est directeur donnée du groupe EDF. - © Républik IT / B.L.
Florent Verrière est directeur donnée du groupe EDF. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous rappeler l’étendue du groupe EDF ?

EDF est un groupe mondial présent dans une trentaine de pays avec 172 000 collaborateurs. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 143 milliards d’euros grâce à nos 40 millions de clients (dont 29 en France). En 2022, nous avons produit 430 TWh dont 322 en France.

Le groupe EDF a quatre grands domaines d’activités. D’abord, bien sûr, la production d’électricité (centrales nucléaires, barrages hydrauliques, parcs éoliens, etc.). Ensuite, nous avons la vente d’énergie (électricité, gaz) et de services énergétiques (optimisation de la consommation, gestion des équipements…). Deux filiales sont en charge du transport et de la distribution d’électricité : RTE (très haute tension) et Enedis (haute et moyenne tension). Enfin, nous avons une activité souvent oubliée car petite en taille mais essentielle : l’optimisation amont-aval. Il s’agit, sur cette dernière, tout d’abord de gérer et de garantir l’équilibre entre la consommation vendue et la production réalisée en temps réel faute de stockage massif possible de l’électricité. De manière connexe, il s’agit aussi de définir le programme de marche, c’est à dire de prévoir quand quelle centrale va fonctionner, quand et à qui on va vendre ou au contraire acheter de l’électricité, etc.

Comme le rappelle régulièrement notre président, EDF est une entreprise industrielle privée dont l’actionnaire unique est l’État. EDF doit réaliser de la performance pour son actionnaire.

Vous êtes directeur donnée du groupe EDF. Quel est le périmètre complet de la fonction data et son organisation ?

Pour des raisons historiques, la fonction data est rattachée à la DSI du groupe.

Début 2023, notre président a lancé quatre grands chantiers dont un plan « accélérer et industrialiser le numérique » avec un important volet data. Il s’agit d’accélérer sur la contribution du numérique à la performance. Nous retravaillons donc l’organisation de la data avec une préoccupation sur la place de celle-ci.

On peut clairement dire que la filière data, c’est la conjonction entre numérique et métier autour de l’objet data.

Nous avons donc un modèle de gouvernance fédérée. Nous fédérons les acteurs dans le domaine data de chaque entité du groupe avec une approche de type « data mesh ». Les data owners sont dans les métiers, les data scientists et data ingeneers sont dans la filière numérique.

Retrouvez Florent Verrière à la Nuit de la Data

Florent Verrière fait partie du jury des Trophées de la Nuit de la Data. Il assistera donc aux présentations des candidats ayant déposé un dossier le 18 janvier 2024 et vous le retrouverez à la cérémonie de la Nuit de la Data le 5 février 2024.

Toutes informations sur la Nuit de la Data et inscription

Quand on parle de « data » chez EDF, de quoi parle-t-on exactement ?

Chaque activité a ses propres données et il y a aussi de la data au niveau groupe. Pour commencer, évidemment, nous avons de la data classique comme toutes les entreprises (ressources humaines, finances, etc.). Nous avons également de la data clients bien sûr. Et, enfin, nous avons de la donnée industrielle.

Le Data Office cadre, norme et valide les principes. Les acteurs au sein de chaque entité travaillent effectivement sur les datas. Et chaque entité est responsable des données qu’elle produit.

Un de nos enjeux est donc de désiloter car la tendance, dans ce genre de cas, est que chacun garde sa data. Nous devons rendre accessible la donnée à tous ceux qui en ont à connaître.

Quels sont vos grands types de cas d’usages ?

Actuellement, les usages sont plutôt gérés à la maille des métiers qui ont la main. Centralement, notre rôle est de canaliser, structurer, plus que de diriger. Nous rendons les métiers acteurs et en maîtrise de la data pour leurs propres activités.

Nous travaillons à nous transformer. Un de nos enjeux est en effet de faire des processus de bout-en-bout, de passer de cas d’usages orientés structure (tel service, telle entité) à des cas d’usage orientés processus.

Quelles technologies utilisez-vous ?

Nous sommes en train de fédérer les choix techniques. En effet, aujourd’hui, il y a de nombreuses technologies. Chaque entité a réalisé ses propres choix pour mener des projets souvent très intéressants qu’il ne faut pas perdre. Depuis l’été 2023, nous avons démarré un chantier, prévu pour au moins un à deux ans, d’homogénéisation et de rationalisation autour de socles technologiques communs et instanciés par métier.

Il s’agit, dans chaque entité, de passer moins de temps à s’occuper des outils et plus à valoriser les usages sur des outils les plus communs possibles.

On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Dans votre cas, constatez-vous un réel apport ?

Quand on parle data, l’IA est de fait embarquée dedans, c’est un outil normal de valorisation de la donnée. Chez EDF, nous avons des spécialistes en intelligence artificielle depuis les années 70… Aujourd’hui, nous utilisons le machine learning pour l’analyse automatique d’images pour la maintenance par exemple. L’analyse du langage naturel (NLP, Natural Language Processing) permet de retrouver une information dans la masse documentaire, y compris, par exemple, un retour d’expérience de telle ou telle manœuvre dans des centaines de compte-rendus d’opérations de maintenance.

Traditionnellement, nous avons aussi recours à l’intelligence artificielle sur les prédictions, par exemple celle de la consommation, afin de pouvoir prévoir la production nécessaire. Or, au moment de la crise sanitaire Covid-19, nous avons pu constater que les modèles classiques de prédictions n’étaient pas résistants à des changements brusques. Et, chez nous, une erreur n’entraînera pas une simple pénurie de cassoulet dans les rayons d’un supermarché mais un black-out énergétique.

Nous avons donc commencé à introduire l’usage des données de consommation en temps réel pour compléter les modèles classiques, ce qui permet de prendre en compte les variations imprévisibles. La survenue de la crise ukrainienne a prouvé que cette nouvelle approche était efficace.

L’intelligence artificielle est un complément qui accroît l’efficacité quotidienne, elle ne remplace pas les autres méthodes ou les acteurs humains.

Puisque vous parlez d’efficacité quotidienne, avez-vous des projets en IAG (intelligence artificielle générative) ?

Nous nous sommes saisis du sujet à l’été 2023 pour réfléchir collectivement à la place que pourrait prendre l’IAG. Nous avons identifié des périmètres intéressants avant de nous concentrer sur quelques cas d’usages. Par exemple, l’IAG peut être intéressante pour synthétiser ou pour rechercher une information dans des masses de documents. Elle peut aussi l’être pour développer du code voire produire des documents. Aujourd’hui, nous expérimentons. Nous n’avons pas interdit ChapGPT, au contraire, pour justement expérimenter, mais nous avons proscrit de lui donner des données de l’entreprise. Nous voulons être particulièrement précautionneux sur la fuite de données sensibles (notamment dans le nucléaire). Et puis il reste des questions, notamment sur le contour juridique de l’IAG. Par exemple : à qui appartient ce qu’une IAG produit ? Nous n’avons guère envie que le code produit par IAG soit public… On peut aussi s’interroger sur la dimension humaine dans les usages de l’IAG, sur la formation à délivrer aux collègues qui vont utiliser l’IAG, sur l’acculturation à mener pour chaque catégorie de personnel…

L’objectif est de définir une stratégie IAG avec des outils choisis au niveau groupe début 2024. Nous voulons permettre au plus grand nombre de se lancer. L’IAG constitue une opportunité de gain de performance sous réserve de la maîtriser. Les conséquences, bonnes ou mauvaises, peuvent être très importantes à terme.

La réglementation sur les données, croissante, est-elle pour vous une gêne ou bien une opportunité ?

Nous sommes tous convaincus, je pense, qu’il faut réglementer la data comme l’IA. C’est un sujet sur lequel nous sommes très vigilants car notre activité est, de base, très réglementée. Nos produits sont cadrés par des directives européennes par exemple. Mais si, à chaque projet, il faut passer devant trois ou quatre régulateurs différents, ça va devenir compliqué… Si nous sommes favorables à la réglementation sur l’IA et la data, il ne faut pas que cette réglementation constitue un frein à l’innovation et à notre performance. C’est un enjeu européen et EDF est un acteur très engagé dans des initiatives à cette échelle telles que Gaïa-X.

Quels sont vos autres grands projets ?

Nous avons un chantier en cours, comme je le disais, sur le processus de bout en bout ainsi que sur les outils pour mieux connaître les données et les rendre accessibles afin de développer les usages. Il ne faut jamais oublier que le numérique n’est jamais une fin en soi mais toujours un outil de performance pour le groupe.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, bien sûr que c’est un problème aussi pour nous. Le marché est tendu sur quelques compétences clés nécessaires. Mais nous avons quelques atouts à faire valoir. Déjà, EDF a une raison d’être autour de la transition énergétique à mieux populariser.

Dans les faiblesses, nous avons un petit sujet autour de l’alignement salarial car nous devons éviter les effets de pics de compétition sur les rémunérations. Pour compenser, nous cherchons à proposer des carrières cohérentes. Mais ceux qui ne veulent qu’un salaire doivent aller voir ailleurs, même si nous n’avons pas à rougir de la façon dont nous rémunérons.

Et puis nous croyons aussi à la formation interne. Nous pouvons produire en interne les talents, par reconversions, au lieu d’aller les chercher sur le marché.

Pour terminer, quels sont vos prochains défis ?

La data et l’IA sont considérés comme des éléments clés pour réussir les ambitions du groupe, notamment le « 0 CO² » en 2050. Nous voulons faire de cette ambition particulière le fer de lance de notre propre transformation énergétique. Celle-ci repose sur, bien entendu, l’augmentation de la production pour compenser la croissance de la demande. Mais il s’agit aussi d’aider nos clients à moins consommer. L’atteinte de nos propres objectifs suppose que la consommation baisse de 45 %.

Enfin, nous devons réussir le désilotage de données pour disposer de façon simple et rapide de la bonne donnée, au bon endroit et au bon moment.

Podcast - L’IA est utilisée partout par EDF

Le groupe EDF a 172 000 salariés dans 30 pays pour servir 40 millions de clients. Florent Verrière, directeur donnée groupe, présente d’abord EDF. Il explique ensuite pourquoi EDF utilise l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine (machine learning) dans toutes ses activités. Et, en particulier, il s’attache au cas particulier de l’un de ses métiers, l’équilibrage production-consommation d’électricité.

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