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Eric Buffet (Orano) : « l’IT doit passer du MCO à l’accompagnement des métiers »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Comme Framatome, Orano est issue de la fission d’Areva. Eric Buffet, DSI-TD d’Orano, explique ses approches et sa stratégie IT : IA/IAG, migration S/4Hana, relations fournisseurs dominants…

Eric Buffet est Directeur Système d’Information et Transformation Digitale d’Orano. - © Orano / Crespeau
Eric Buffet est Directeur Système d’Information et Transformation Digitale d’Orano. - © Orano / Crespeau

Pouvez-vous nous présenter Orano ?

Orano est un groupe industriel dont l’activité principale et historique est centrée autour du cycle du combustible nucléaire. En amont, nous exploitons des mines et nous avons une activité de conversion et d’enrichissement de l’uranium. En aval, nous collectons le combustible usé et nous recyclons jusqu’à 96 % de la matière valorisable (uranium et plutonium). L’uranium enrichi comme le MOX (« mélange d’oxydes », constitué d’environ 8,5 % de dioxyde de plutonium et 91,5 % de dioxyde d’uranium appauvri, NDLR) sont intégrés aux crayons des assemblages de combustibles nucléaires. Nous sommes donc fournisseur de Framatome.

Nous avons des activités minières au Canada, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Mongolie, au Niger… Notre pôle Chimie et Enrichissement opère des usines sur le site du Tricastin (entre Valence et Avignon) et sur le site de Malvési (près de Narbonne). Notre pôle recyclage opère sur les sites de La Hague (à l’Ouest de Cherbourg) et sur le site de Melox (à l’Ouest d’Avignon).

Nous avons également des activités complémentaires : ingénierie, démantèlement d’installations nucléaires, logistique et transport de produits nucléaires, du traitement médical anti-cancéreux (OranoMed)… Enfin, nous avons lancé un projet industriel de recyclage de batteries de voitures électriques près de Dunkerque, avec récupération des matériaux. La mise en service de cette usine est prévue en 2028.

Notre chiffre d’affaires est de l’ordre de 4,8 milliards d’euros et nous avons 17500 salariés dont 13500 en France.

Comment est organisée l’IT d’Orano ?

Je rapporte à Pascal Aubret, directeur de la performance, de la qualité et de la transformation digitale, membre du ComEx. La DSI intègre le RSSI.

Je suis en charge de tous les domaines applicatifs d’Orano, de la stratégie IT, de l’architecture…

Sur chacun de nos sites, les responsables IT sont bien rattachés à la DSI. Enfin, la DSI gère également des missions pour nos joint-ventures minières mais les activités opérationnelles sont principalement menées par des équipes locales dans les pays concernés.

Quel est le rôle du GIE SI-nerGIE ?

En 2017, lors de la transformation du groupe Areva, nous avons fait le choix de ne pas couper les IT d’Orano et de Framatome. Le GIE gère les opérations IT en France et les moyens communs. Initialement, son rôle concernait autant les applicatifs que l’infrastructure mais, depuis janvier 2022, il ne s’occupe plus que des infrastructures. Sur la plaque nord-américaine, ce rôle est assuré par des équipes Framatome.

Quels sont vos grands choix d’architecture ?

Nous avons une part significative de notre IT qui est hébergée dans nos propres datacenters, notamment pour ce qui a des liens directs avec le nucléaire. Nous utilisons le PaaS de Microsoft en hébergement privé comme extension de nos capacités. Bien entendu, pour des fonctions métiers transverses, nous recourons à des SaaS.

Sur nos propres infrastructures, nous utilisons Nutanix qui est en lien avec le cloud Azure pour assurer notre infrastructure hybride. Côté collaboratif, nous sommes sur la solution Microsoft Office 365 avec Sharepoint. Nous avons bien sûr des règles restrictives sur l’hébergement et la circulation des données. Pour cette raison, nous avons aussi un Sharepoint sur nos propres infrastructures.

Le système d’information d’une entreprise est toujours le reflet de son histoire. Nous avons fait des choix stratégiques à l’époque d’Areva comme la création de nos propres datacenters ou la cession d’Euriware à Capgemini.

Vous avez en charge la « transformation digitale ». Qu’est-ce que cela signifie dans un groupe industriel et de services ?

Nous avons rassemblé dans une même direction les équipes de l’IT et de la transformation digitale. Cette dernière renvoie au Data Office, à la Digital Factory (qui développe des solutions « coeur de métier » comme la gestion de la radioprotection) et les solutions mobiles (par exemple pour accompagner le transport de nos produits ou la maintenance industrielle).

A la manière du groupe minier Eramet, Orano utilise-t-il l’IA et si oui à quelles fins ?

L’IAG est un mouvement général récent mais nous utilisons l’IA depuis longtemps dans nos procédés industriels. Par exemple, nos ingénieurs procédés font parler les données des traitements chimiques ou des exploitations minières. Quelque part, ils se sont découverts data scientists… Nous utilisons des supercalculateurs pour la mise au point des procédés industriels.

L’IAG sera mise à disposition de nos collaborateurs pour les usages classiques (aide à la rédaction, synthèse…) mais le LLM et le SLM sont implémentés on premise et sécurisés afin de pouvoir traiter des données sensibles. Nous envisageons aussi d’utiliser l’IAG Copilot incluse dans la suite Office 365 mais uniquement dans des instances privées.

Orano est client de SAP. Où en êtes-vous d’une éventuelle migration S/4Hana ?

Cette migration est actuellement en cours : c’est le Projet Pythagore. Il concerne les modules finances, logistique, gestion de projets, production… Notre core-model a une vingtaine d’années et doit être mis à jour.

Une fois que nous avons confirmé que nous allions garder SAP, nous avons lancé le projet de migration en 2023. L’appel d’offre pour un intégrateur est en cours et sera finalisé en Juin. Une phase de conception générale est prévue d’ici la fin de la l’année 2024.

Nous voulons, à l’occasion de la migration, revenir au standard SAP et transformer nos processus en nous appuyant sur SAP.

Comme d’autres DSI, constatez-vous une inflation tarifaire injustifiable de vos prestataires et fournisseurs (licences logiciels et redevances SaaS notamment) ? Quelle réaction avez-vous ?

Nous constatons, comme la plupart des autres entreprises, l’évolution du modèle licence et maintenance vers le modèle de l’abonnement. Et notre dépendance vis-à-vis des fournisseurs dominants s’accroît de fait car migrer coûte cher et reste compliqué. Bien entendu, il peut arriver des hausses tarifaires à tous les niveaux.

Mais Orano est sur des cycles d’activités longs. Nous sommes donc capables de définir nos besoins sur des usages pluri-annuels, ce qui facilite un peu les négociations. Même si l’inflation des coûts pénalise nos choix, nous pouvons bénéficier d’un étalement dans le temps.

Nous sommes très attentifs à ces sujets et soutenons les travaux du Cigref sur le sujet.

La guerre des talents IT est-elle un sujet pour vous ? Comment la traitez-vous ?

Pour y faire face, nous comptons sur un ancrage territorial varié avec nos différents sites et sur les secteurs fonctionnels qui recrutent. De fait, nous vivons une pression forte de la part des talents. Certains profils sont particulièrement compliqués comme les spécialistes SAP, PLM, cybersécurité… du fait de la forte demande.

Nous avons 120 collaborateurs dans l’organisation et 70 collaborateurs Orano au sein du GIE. Nous avons entre 15 et 20 postes ouverts.

Pour terminer, quels sont vos défis actuels ?

C’est le cas partout mais sans doute davantage dès que l’on s’approche du nucléaire, le premier défi est et demeure la cybersécurité.

Ensuite, nous sommes en train de définir le « SI du futur ». Notre vision n’est pas encore arrêtée et doit tenir compte de nos opportunités de développement industriel. De plus, l’IT doit passer du Maintien en Conditions Opérationnelle à l’accompagnement des métiers, avec une capacité à délivrer rapidement des projets.