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Ornikar choisit l’IAG pour sa performance mais avec prudence

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

La scale-up Ornikar s’intéresse à l’IA générative pour doper sa performance mais en gardant à l’esprit la nécessité de la rentabilité et de l’utilité.

Charles Tremblay est directeur IA chez Ornikar. - © Républik IT / B.L.
Charles Tremblay est directeur IA chez Ornikar. - © Républik IT / B.L.

La célèbre scale-up Ornikar est connue pour ses services d’entraînement à l’examen du code de la route et de mise en relation avec des moniteurs de conduite. La stratégie de l’entreprise est d’étendre ses activités en lien avec une cible affinitaire, par exemple avec la vente de contrats d’assurances automobiles. « Aujourd’hui, près de la moitié des candidats au permis de conduire passe leur code avec nous et nous avons accompagné quatre millions de personnes depuis notre création » indique Charles Tremblay, directeur IA chez Ornikar. Comme toutes les autres entreprises, Ornikar a été rattrapée par la vague IA générative liée à l’émergence de ChatGPT. Mais la philosophie de la scale-up est d’investir avec prudence, en lien avec ses moyens limités, sans se priver des bonnes opportunités.

Si Ornikar a mis en place une équipe consacrée à l’intelligence artificielle il y a un peu plus d’un an et demi, il ne s’agissait nullement, au départ, de travailler sur l’intelligence artificielle générative. Charles Tremblay se souvient : « initialement, nous travaillions sur de l’IA prédictive, par exemple pour proposer des tarifs intéressants d’assurances automobiles à des personnes dont le profil montrait de la prudence sur la route ». Le directeur IA est d’ailleurs issu de l’ENSAE et a donc une vision naturelle d’actuaire et de statisticien. L’arrivée un peu brutale de l’IA générative dans le paysage a un peu bouleversé les plans établis. Il s’agissait d’examiner quelles opportunités pouvaient être tirées de cette technologie innovante. De fait, certains projets antérieurs ont subi des décalages.

De la prudence sans négliger les opportunités

Les moyens de l’entreprise, encore au stade de la scale-up, sont par nature assez limités. Impossible de se lancer dans des projets pharaoniques. « La logique est, avant d’investir, d’anticiper le ROI » indique Charles Tremblay. Ce qui peut relever de la simple bonne gestion est trop souvent oublié quand les mots clés à la mode (comme « IAG ») sont prononcés : Ornikar ne voulait pas commettre une telle erreur. Mais l’équipe est jeune et réactive, les moyens budgétaires sont certes limités mais pas inexistants… La stratégie a donc été de générer un maximum de cas d’usages avec un investissement initial le plus faible possible.

Bien des usages pouvaient cependant être anticipés afin d’accroître la performance de l’entreprise. En effet, entreprise de services, Ornikar a de très nombreuses interactions avec ses clients. L’IAG peut en automatiser une bonne partie. Dans le cadre de l’activité d’e-learning, l’IAG peut permettre de personnaliser les parcours facilement et de générer les contenus appropriés selon les lacunes des uns et des autres. Enfin, l’entreprise ne se contente pas d’effectuer une simple mise en relation entre élèves et moniteurs de conduite : elle accompagne les deux dans une démarche d’amélioration continue. L’IAG peut permettre de créer des synthèses à partir de nombreux faits ou rapports afin d’aider à cette amélioration.

Des choix techniques mûrement réfléchis

Les premiers vrais travaux en matière d’IAG ont débuté dans les premiers mois de 2024. Mettre en place ses outils propres, travailler avec des LLM customisés, etc. constituaient des démarches trop lourdes au démarrage. Ornikar a donc eu recours aux LLM génériques du marché. Toujours par prudence et afin de minimiser les risques, les premiers usages n’ont pas été mis en face de clients mais réservés à un usage interne.

De nombreux outils ont été regardés. Si ChatGPT était trop cher dans sa version entreprise, Vertex AI (Google) et Bedrock (AWS) proposent des solutions connectables par API avec un coût au token plus abordable. Sur abonnement, Dust est aussi envisagé pour quelques usages. Pour l’heure, HuggingFace a été écarté à cause du coût de mise en place des modèles propriétaires qu’il propose. GPTforSheets apporte des services de création de texte à partir de données dans un tableur et, inversement, de remplissage de champs à partir d’un texte. Vertex AI (Google) et Bedrock (AWS) s’exécutent dans les instances privées de l’entreprise sur GCP et AWS, ce qui facilite le traitement des préoccupations de confidentialité. Les technologies embarquées dans des SaaS (typiquement Einstein de Salesforce, non-testé par Ornikar) ont, selon Charles Tremblay, comme principal avantage un interfaçage pré-paramétré avec l’existant. Charles Tremblay incite à se méfier, d’une part, de certains SaaS qui revendent cinq fois plus cher un simple appel d’API de LLM génériques sous couvert de services faussement adaptés, d’autre part, d’une prolifération d’add-ons d’AIG en mode shadow IT.

Une démarche progressive

En février 2024, un PoC d’amélioration de l’e-learning avec la version de base de ChatGPT a permis de démontrer que de telles solutions étaient réalisables. Mais ce sont avec les outils retenus en définitive que plusieurs projets ont été réalisés, encore actuellement au stade de démonstrateurs. L’un des premiers a ainsi été une analyse de commentaires sur les réseaux sociaux par tagage de mots-clés prédéfinis avec GPTforSheets. Les moniteurs reçoivent ensuite des synthèses structurées (les élèves apprécient… et n’apprécient pas…). Certains documents, comme les relevés d’informations d’assureurs, sont compliqués à analyser de manière automatique avec une OCR classique. L’OCR augmentée à l’IAG permet justement d’analyser le document et de remplir des champs dans le système d’information (approche « doc2data »). Toujours en matière d’analyse documentaire, un bot permet aux collaborateurs d’interroger la base documentaire interne (RAG, génération augmentée de récupération) en tenant compte des droits d’accès individuels (avec Bedrock sur AWS).

Un cas d’usage au ROI certain est l’analyse d’appels commerciaux. Il s’agit en effet de vérifier que ces appels délivrent bien toutes les informations nécessaires (notamment réglementaires). Auparavant, une entreprise spécialisée et onéreuse était sollicitée pour réaliser les retranscriptions et analyses, en procédant par sondages. Avec Vertex AI, les appels sont d’abord retranscrits en speech-to-text puis en text-to-data avant qu’une synthèse par agrégation soit réalisée. « C’est important d’agréger pour repérer les vrais problèmes » souligne Charles Tremblay.

Des leçons encourageantes

Bien entendu, l’humain reste un recours en cas de difficulté rencontrée par l’IA ou, dans les cas les plus sensibles, pour valider. Mais les différents cas d’usage mis en œuvre ont démontré les apports certains de l’IAG à la performance de l’entreprise. Charles Tremblay pointe cependant : « si dans certains cas, comme l’analyse des appels commerciaux, le ROI est simple à calculer, ce n’est pas toujours aussi facile. C’est parfois une question de perception plus que de calcul. » Pour certains projets, si les métiers voient bien le bénéfice à terme, s’investir pour créer la solution peut amener des réticences.

Le choix et le développement des solutions amènent des attitudes très différentes des habitudes dans la conduite des projets informatiques. La première question est de savoir si un projet doit plutôt être confié à des développeurs informatiques ou à des data scientists. « S’il n’y a pas de travail sur les données et juste de l’appel d’API avec de la création d’interface, il vaut mieux recourir à des développeurs » juge Charles Tremblay. Lorsqu’un projet rencontre une difficulté technique, la tendance habituelle est de chercher à la contourner voire de réaliser des développements lourds. Avec l’IAG, ce n’est pas nécessairement pertinent. Charles Tremblay relève en effet : « certaines évolutions techniques sont très rapides et, en cas de difficulté, il est souvent préférable d’attendre un peu. Il ne faut pas forcément jeter un PoC qui ne marche pas. La mentalité  »je teste, je jette ce qui ne marche pas«  n’est pas adaptée aux projets liés à l’IAG. »