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Comment EDF entend profiter de l’informatique quantique

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

Si l’informatique quantique est un sujet qui fait rêver, EDF est une des rares entreprises à s’y intéresser concrètement. Joseph Mikael, Responsable du projet Informatique et Technologies Quantiques du groupe EDF, fait ici un point d’avancement.

Joseph Mikael est Responsable du projet Informatique et Technologies Quantiques du groupe EDF.  - © EDF
Joseph Mikael est Responsable du projet Informatique et Technologies Quantiques du groupe EDF. - © EDF

Pouvez-vous, tout d’abord, nous rappeler ce qu’est EDF ?

Le groupe EDF est un énergéticien intégré, présent sur l’ensemble des métiers : la production, la distribution, le négoce, la vente d’énergie et les services énergétiques. Le groupe a développé un mix de production diversifié basé principalement sur l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables (notamment l’hydraulique). La production décarbonée est ainsi de 434 TWh, la première au monde. La raison d’être d’EDF est de construire un avenir énergétique neutre en CO2. EDF fournit de l’énergie et des services à environ 40,9 millions de clients et a réalisé un chiffre d’affaires de 139,7 milliards d’euros en 2023.  Le groupe dispose de 56 réacteurs nucléaires.

Quelle est votre fonction et comment s’intègre-t-elle dans l’organisation du groupe EDF ?

Je suis Responsable du projet Informatique et Technologies Quantiques de la R&D du groupe EDF. Il faut savoir qu’EDF a une importante recherche et développement intégrée avec plus de 2000 collaborateurs répartis sur neuf centres de recherche dont six à l’international, qui interviennent pour toutes les divisions du groupe, y compris, via des contrats, avec le gestionnaire de réseau.

Nous disposons, pour cette recherche, de deux supercalculateurs conservés normalement cinq ans avec un renouvellement de l’un tous les deux ans et demi. Comme les supercalculateurs, l’informatique quantique est transverse à toute la recherche et développement.

On parle beaucoup, depuis quelques années, d’informatique quantique. Mais de quoi s’agit-il concrètement ?

L’informatique quantique est issue de l’intuition, dans les années 1980, du physicien américain Richard Feynman, selon laquelle la particule de calcul ultime était la particule quantique. La quantité d’information pouvant être traitée en informatique quantique est sans commune mesure avec l’informatique traditionnelle électronique avec ses 0 (pas d’électricité) et ses 1 (le courant passe). En informatique quantique, si l’on manipule une centaine d’atomes, on peut encoder des bitstrings de taille 2 puissance 100.

C’est depuis l’orée des années 2000 que l’on arrive à manipuler des objets quantiques qui peuvent être dans un état 1, dans un état 0 ou dans les deux à la fois. L’objet quantique peut, par exemple, être un photon qui peut passer dans une fibre s’il est dans l’état 1 ou dans une autre à l’état 0 ou dans les deux à la fois. Idem pour un atome qui peut être dans un état excité, non excité ou les deux à la fois.

Une difficulté est qu’il n’y a pas une seule technologie d’informatique quantique. Il y a autant de manières de créer des ordinateurs quantiques qu’il y a de corps quantiques. On peut ainsi travailler, par exemple, sur des atomes piégés, des photons piégés, etc.

Chez EDF, nous ne parions pas sur sur quelle technologie va s’imposer. Il est possible que plusieurs technologies co-existent et que certaines soient plus adaptées, par exemple, à l’optimisation quand d’autres seraient plus adaptées à la simulation

Une information issue d’un état d’un corps quantique est nommée un qbit. La particularité d’un qbit est de pouvoir connaître une superposition, dans deux états à la fois. Il existe également le phénomène de l’intrication : deux qbits, même distants, peuvent être liés. Quand on l’observe, l’état du corps quantique se fixe (c’est le principe du fameux Chat de Schrödinger).

Quels ordinateurs quantiques équipent EDF ?

A date, il y a peu voire pas, dans le monde, d’entreprise utilisatrice disposant d’ordinateur quantique. Ce sont plutôt des organismes publics qui en disposent. En France, le GENCI (Grand équipement national de calcul intensif) sera équipé d’un ordinateur quantique fourni par Pasqal en septembre 2024. EDF n’a pas prévu d’acheter un tel équipement.

Depuis 2017, IBM met à disposition, via le Cloud, son ordinateur quantique (c’est l’IBM Quantum Experience). D’autres entreprises l’ont fait depuis. Les coûts d’usage sont très élevés : quand un temps d’usage est facturé quelques centimes par heure de HPC dans le Cloud classique, il faut compter des centaines (voire des milliers) d’euros pour un ordinateur quantique.

Des simulateurs ont été développés pour des ordinateurs classiques. Le record est aujourd’hui une simulation de l’ordre de 40 qbits. Nous accédons ainsi à la machine installée au CEA par Atos.

Quel est l’état de l’offre en matière d’informatique quantique ?

Nous avons, en France, de nombreuses start-ups qui développent du matériel d’informatique quantique. Par exemple, sur le plateau de Saclay, il y a Quandela qui travaille avec des photons. Pasqal a une technologie à base d’atomes froids. Il y a aussi C12, Alice et Bob, Quobly…

Nous travaillons avec la plupart. Ces start-ups nous apprennent le calcul quantique et nous leur apprenons le calcul industriel.

Pourquoi EDF s’intéresse-t-il au sujet de l’informatique quantique ?

La transition énergétique, comme l’indiquait Vincent Niebel, accroît considérablement nos besoins en calculs. Le développement de la mobilité électrique fait que l’on peut envisager d’utiliser les batteries des véhicules pour soulager le réseau. Mais, pour faire cela, les calculs nécessaires deviennent extrêmement complexes.

Selon le modèle traditionnel, le flux d’électricité est mono-directionnel : de la centrale au consommateur. Mais, désormais, les flux sont hybrides et peuvent être bi-directionnels car il y a de la production locale injectée dans le réseau (des panneaux solaires de particuliers par exemple) et, demain, du stockage local (batteries des véhicules électriques par exemple). Même avec un supercalculateur, c’est très compliqué d’anticiper tout cela.

Aujourd’hui, les machines ne sont pas opérationnelles. Mais il faut nous préparer car il faut du temps pour se former et pour redévelopper les algorithmes. Il faut tout réinventer. Il ne peut pas y avoir de conversion des algorithmes classiques en algorithmes quantiques. C’est un nouveau paradigme et s’adapter n’est ni facile ni rapide.

Cependant, il faut être conscient que l’informatique quantique sera réservée à des objectifs bien ciblés. Elle ne remplacera pas les supercalculateurs traditionnels.

Quels sont, aujourd’hui, vos usages ?

Pour l’heure, l’informatique quantique reste purement expérimentale. Rien n’est opérationnel. Mais nous avançons plus vite que prévu.

Nous attendons des machines de plusieurs milliers de qbits pour 2026. Et les méthodes inspirées du quantique infusent le développement pour les supercalculateurs même si les deux informatiques restent fondamentalement différentes.

Quel bilan tirez-vous aujourd’hui ?

Nous avons démarré notre travail sur l’informatique quantique en 2018. Nous voulions obtenir des avancées et nous avons affiné nos objectifs au fur et à mesure. Nous avons notamment avancé sur la puissance qui sera nécessaire pour obtenir un réel bénéfice métier concret.

Et nous avons formé une équipe à la pointe de cette technologie reconnue au niveau mondial.

Quelles sont les prochaines étapes, vos prochains défis ?

Il faut être prêt à changer nos prévisions tous les six mois… Mais nous avons plusieurs projets et travaux en cours.

D’abord, avec un laboratoire du CNRS, Quandela et Alice & Bob, nous avons un travail sur l’optimisation énergétique du calcul quantique dès la conception grâce à l’informatique quantique.

Nous travaillons également sur le passage à l’échelle. Il s’agit pour nous de profiter de la puissance de calculs proposée par les différentes start-ups franciliennes pour mettre en parallèle plusieurs machines.

Enfin, il va nous falloir bien comprendre comment intégrer à nos datacenters les machines quantiques.

Un premier ordinateur quantique en France

En attendant l’ordinateur quantique du Genci mentionné par Joseph Mikael, le fournisseur français de cloud OVHcloud a inauguré un MosaiQ développé par Quandela le 18 mars 2024 en présence de Sylvie Retailleau, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de Marina Ferrari, Secrétaire d’État chargée du Numérique, et  de Thomas Skordas, Directeur général adjoint de la DG CNCET de la Commission européenne. Universités (cible principale) et entreprises françaises accèdent désormais au calcul quantique en mode cloud grâce à cet ordinateur. 

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