Vincent Niebel (EDF) : « la transition énergétique exige la transformation numérique »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
DSI du groupe EDF, Vincent Niebel nous explique le rôle de l’IT dans l’activité du groupe, notamment pour préparer la transition énergétique.
Aujourd’hui, qu’est-ce que le groupe EDF ?
Le groupe EDF produit, distribue et fournit de l’énergie et des services associés aux entreprises et collectivités comme aux particuliers. Nous exerçons, à travers nos différentes entités, l’ensemble des métiers de l’énergie.
Dans le domaine de la production, nous sommes acteurs dans les domaines de l’électricité nucléaire, du renouvelable éolien ou solaire, de l’hydraulique. Notre filiale Dalkia propose des services autour des réseaux de chaleur et de froid. Notre mix électrique est aujourd’hui décarboné à 95 % : nous générons 50 grammes de CO² au kWh contre plus de 350 pour l’Allemagne par exemple. Notre parc nucléaire se compose de 56 réacteurs en France et de 15 au Royaume-Uni.
En France, dans le domaine du réseau, c’est d’abord RTE pour le transport électrique à haute tension (plus de 200 kV), et Enedis pour la distribution jusqu’au consommateur final. RTE et Enedis, filiales indépendantes au sein du groupe EDF, disposent de leur propre autonomie de gestion afin de garantir leur neutralité face aux différents producteurs et fournisseurs d’électricité. RTE assure l’équilibrage entre la production et la consommation pour l’ensemble de la France.
En matière de fourniture d’énergie et de services, le groupe détient un portefeuille de 40 millions de clients (30 millions en France). En dehors de l’hexagone, nous sommes implantés au Royaume-Uni (EDF Energy), en Italie (Edison), en Belgique (Luminus) et plus modestement aux Etats-Unis et dans des dizaines de pays.
Le chiffre d’affaires du Groupe est très dépendant du prix de l’énergie : 84 milliards d’euros en 2021, 143Mds en 2022. Le Groupe EDF représente 167 000 salariés dans le monde dont 60 000 pour EDF S.A. .
Comment s’organise l’IT au sein du groupe ?
L’IT représente en tout 6 000 personnes au sein du groupe dont 4 000 à EDF S.A., réparties dans un grand nombre de DSI par métiers ou filiales (une vingtaine) sans oublier des opérateurs transverses comme la DSIT qui gère les logiciels transverses, les infrastructures et les socles technologiques. Le budget global annuel de l’IT est d’environ trois milliards d’euros, dont la moitié pour EDF S.A.
Et quelles sont les grandes caractéristiques de votre architecture IT ?
Nous disposons en propre de deux datacenters de 9000 m² qui hébergent principalement un cloud privé, s’appuyant sur une infrastructure totalement maîtrisée.
Nous avons également recours au Cloud public. Certains services utilisent du SaaS : les services commerciaux, les services RH, l’ITSM… sans oublier Microsoft Office 365. Nous utilisons également AWS et GCP, pour traiter des données non-sensibles, et nous chiffrons systématiquement avec un dispositif de clés privées nos données sensibles. La cybersécurité et la préservation des données sont évidemment nos préoccupations premières. Concernant Microsoft Office 365, tous les mécanismes de chiffrement ont ainsi été activés.
D’une manière générale, j’estime que si le cloud représente un facteur d’accélération, nous nous devons d’en maîtriser la sécurité et la réversibilité. Et nous voulons favoriser l’émergence d’un cloud de confiance.
Pour la même raison, nous menons une politique de souveraineté et de maîtrise du code applicatif au travers, notamment, de l’open-source.
Retrouvez Vincent Niebel
Vincent Niebel sera, avec François Elie (président de l’Adullact), grand témoin sur le Club Disruptor « Achats IT : open-source, une acquisition particulière » le mardi 30 mai 2023. Plus d’information sur ce club.
Quel est votre patrimoine de données spécifiques et quels échanges de données opérez-vous ?
La donnée est au cœur de nos enjeux. Nous échangeons des données avec nos clients aval pour accompagner la transition énergétique, pour le smart homme comme la smart city. En interne, nous traitons des données nécessaires à l’optimisation de toutes nos activités, notamment la maintenance prédictive et l’optimisation (nous disposons de près de 2000 années.réacteurs de fonctionnement). Dans le domaine de la production, nous avons besoin d’échanger avec nos partenaires et développons la notion « d’Entreprise Etendue ». Les entreprises intervenant dans nos centrales forment un premier cercle de confiance. Et nous pouvons aussi échanger avec des entreprises d’un deuxième cercle pour des services numériques de confiance.
Nous sommes fortement investis dans l’association Gaïa-X, dont l’ambition de créer une architecture Data de confiance contribue à normaliser les échanges sécurisés de données au sein d’écosystèmes. Nous participons ainsi au projet Omega-X (projet déjà retenu dans le cadre d’un appel à projets) qui réunit 29 sociétés de 11 pays. Ce projet s’articule autour de 4 cas d’usages : le roaming électrique, la gestion du parc électrique renouvelable, les mini-grids énergétiques, la flexibilité et l’effacement dynamique des pics de consommation. Pour l’ensemble de ces sujets, normaliser les données échangées est indispensable.
En quoi l’IT peut-elle « accompagner la transition énergétique » ?
C’est, en fait, plus que cela : la transition énergétique exige la transformation numérique.
Prenons l’exemple des pics de consommation hivernaux. Enedis a expliqué cet hiver qu’elle pouvait lancer un signal pour décaler la consommation des chauffe-eaux en période de pointe et ainsi diminuer la consommation électrique de la France de 3 à 4 % durant cette période. Cela peut paraître peu mais il s’agit de l’équivalent de deux tranches de centrales nucléaires. Lorsque certaines sources de production d’énergie sont intermittentes (éolien, solaire), les services numériques peuvent ainsi aider à l’équilibre entre consommation et production.
Prenons un autre exemple. Le nombre de véhicules électriques aura fortement augmenté d’ici quelques années. Il nous faudra alors être en capacité de piloter intelligemment la recharge lors du pic de connexion de 19 heures, en particulier en période de grand froid. D’importantes capacités de pilotage numérique et des algorithmes seront ainsi indispensables. On pourrait également imaginer l’utilisation des batteries, encore chargées, pour équilibrer globalement les consommations dans une logique « vehicule-to-grid » (V2G).
On peut également analyser la consommation électrique d’un foyer par des algorithme et l’IA, et l’attribuer à un type d’équipement en fonction de sa « signature de charge ». Cette information est utilisée dans les services digitaux « EDF et Moi » sur le web ou dans nos apps. En suivant nos conseils, des utilisateurs peuvent économiser jusqu’à 10 % de leur consommation en exploitant ces informations.
Nous disposons déjà de jumeaux numériques pour certains systèmes et services existants, et développons nos nouvelles infrastructures avec des jumeaux, dans une perspective d’optimisation de la construction, de pilotage, de la maintenance et de la déconstruction.
Depuis 2017, nous avons lancé une politique groupe autour de la donnée pour l’ensemble de nos besoins (construction, maintenance, optimisation de la production, commerce et services, activités internes…). Aujourd’hui, nous avons déjà plusieurs centaines de cas d’usages déployés. Mais nous souhaitons encore accélérer, et acculturer l’ensemble du groupe aux enjeux et leviers offerts par le numérique et la donnée.
Comme vous l’aurez compris, la donnée, et le numérique, seront au cœur de la transition énergétique. Mais il nous importe que ce numérique soit le plus responsable possible, et le plus éthique. EDF a été la première entreprise à obtenir le label numérique responsable de l’institut du même nom, et s’est doté d’un guide pour l’IA, l’IoT ou encore la conception responsable.
La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?
C’est un sujet pour tout le monde ! Nous avons opéré 300 recrutements externes dans l’IT en 2022. Mais, au final, nous avons eu un peu moins de mal que d’autres, dans des domaines pourtant à forte concurrence (DevSecOps, Cloud, cybersécurité…). Si nos rémunérations sont probablement moins attractives que celles des GAFAM, nous pouvons nous appuyer sur trois leviers : le sens (l’énergie est au cœur de l’actualité), les technologies innovantes que nous mobilisons et maîtrisons (IA, quantique, blockchain… nous cherchons à utiliser les technologies numériques les plus récentes grâce à l’appui de notre R&D et de Task Forces) et le cadre de travail (forte responsabilisation des équipes, et cadre de travail flexible ouvert au télétravail pour deux à trois jours par semaine). Nous organisons la mobilité au sein de la filière IT et avons développé la filière expertise pour permettre aux spécialistes d’évoluer au sein du groupe autrement qu’au travers des filières manager ou chef de projet.
En appui, nous avons des partenariats avec des grandes écoles et nous sommes présents sur de nombreux événements et forums. La mixité est un enjeu pour nous et nous avons déployé de nombreuses actions pour la développer : communication, mécénat de compétences, implication dans des associations, organisation d’événement. Une attention particulière est portée à nos fiches de postes, pour qu’elles soient inclusives. A ce jour, nous avons près de 25 % de femmes dans la filière IT et nous avons l’ambition d’atteindre 36 à 40 % d’ici 2030.
Quels sont vos défis ?
Le premier défi est celui de l’accompagnement numérique de la transition énergétique : faire du numérique un levier de réussite des grands enjeux industriels et défis du Groupe. Cela passe par la donnée, par un numérique performant et par une culture numérique généralisée.
Par ailleurs, nous devons toujours améliorer la résilience de notre socle numérique. A cette fin, nous comptons déployer la méthode SRE (Site Reliability Engineering). Elle vise à optimiser le fonctionnement de l’IT en mettant l’accent sur l’automatisation, sur le rapprochement de l’ingénierie logicielle et de l’exploitation, et sur l’acceptation et le traitement procéduré des erreurs.
Podcast - Le numérique, condition de la transition énergétique
DSI groupe de EDF, Vincent Niebel explique la stratégie informatique de l’énergéticien. Les 6000 experts numériques du groupe sont répartis dans une vingtaine de DSI. Pour Vincent Niebel, la transition énergétique suppose une transformation numérique, point de vue qu’il défend ici.