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Souveraineté Numérique : qui entendra l’appel ?


Le 14 avril 2025, la ministre Clara Chappaz a lancé des initiatives pour relancer la souveraineté technologique européenne comme un appel à projets « Renforcement de l’offre de services Cloud ». Mais sans mesures contraignantes sur les entreprises et administrations, quelle sera la portée de celles-ci ?

Clara Chappaz est Ministre Déléguée chargée de l’IA et du Numérique (photo prise le 27 mars 2025).  - © Républik IT / B.L.
Clara Chappaz est Ministre Déléguée chargée de l’IA et du Numérique (photo prise le 27 mars 2025). - © Républik IT / B.L.

Les mesures prises par l’administration Trump aux Etats-Unis font soudain prendre conscience aux Européens, entreprises, particuliers, administrations et Etats, de leur dépendance bien dangereuse à l’égard des solutions numériques américaines. Les relations tendues avec des fournisseurs tels que VMware, suite au rachat par Broadcom, avaient, de plus, préparé le terrain à une certaine hostilité envers les acteurs oligopolistiques d’Outre-Atlantique. Or, jusqu’à présent, hors des GAFAM, point de salut pour la plupart des entreprises voire des administrations. Début avril, à l’ouverture du FIC à Lille, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a exprimé son inquiétude quant aux dépendances technologiques. Le vent souffle, le vent tourne… si la souveraineté technologique était une éolienne, nul doute que les besoins énergétiques du pays seraient largement couverts. Le 14 avril 2025, Clara Chappaz, Ministre Déléguée chargée de l’IA et du Numérique, a participé à une première « Soirée de la Souveraineté numérique », à Bercy. Elle faisait suite à un Conseil Interministériel du Numérique du jeudi 10 avril. Plusieurs initiatives ont été annoncées à ces occasions.

Malgré la récente déclaration de Patrick Pouyanné, TotalEnergies a une stratégie Cloud qui repose sur Microsoft et AWS avec une cible de 60 % de l’IT sur ces hébergements. « Aux grands patrons qui hésitent, je veux le redire, des solutions européennes, innovantes et compétitives existent, y compris dans le secteur du cloud » a pourtant rappelé Clara Chappaz le 14 avril. Elle a aussitôt ajouté : « Si les grands patrons veulent acheter des solutions françaises, chiche ! Ces solutions ont l’avantage d’être souveraines, protectrices de nos valeurs et de notre patrimoine informationnel. »

Le cloud européen est là… mais les entreprises ne le voient pas

Charles Trenet chantait le rendez-vous amoureux manqué entre la Lune et le Soleil. C’est une parfaite image de la relation ratée entre les entreprises européennes et les clouds de notre continent : chacun veut de l’autre mais ils ne se voient pas. Les fournisseurs européens rappellent à chaque occasion qu’ils veulent des bons de commandes, pas des subventions. La première table ronde de la soirée du 14 avril, « Développer et adopter des offres de cloud souveraines », était animée par Henri d’Agrain, délégué général du Cigref. Elle réunissait Pierre Fabre (un utilisateur d’OVHcloud), Eric Gouy (CFO d’OVHcloud), Damien Lucas (CEO de Scaleway), Antoine Frack (VP Digital & Services de l’industriel Lacroix, utilisateur de Scaleway) et Vincent Champain (DSI de Framatome). La composition même de la table ronde était là pour rappeler que les offres cloud françaises existent et peuvent répondre aux besoins des entreprises. Il ne manque que les bons de commandes.

Digital Workplace Summit - 14 et 15 mai 2025, Deauville

Lors du Digital Workplace Summit, les 14 et 15 mai 2025 à Deauville, l’atelier 6 sera sur le thème « Comment gérer les relations avec les éditeurs oligopolistiques  ? ».

Informations et inscription.

Pour inciter les entreprises à réfléchir à leur stratégie d’achats IT et accepter de ne plus être les otages des oligopoles, l’État ne va pas taxer les prestataires américains avec d’importants droits de douane. Clara Chappaz a pris une autre décision : « j’ai demandé à Michel Paulin de lancer un travail avec les entreprises pour augmenter la part des achats numériques européens sur le modèle de ‘Je Choisis la French Tech’. » Michel Paulin, ancien PDG d’OVHcloud, connaît certes bien le problème mais, face à la surdité et à l’obstination délétère des acheteurs IT, sa mission a-t-elle un sens ? Le même Michel Paulin est impliqué dans une autre initiative présentée par Clara Chappaz : « nous allons lancer le vingtième Comité stratégique de filière ‘Logiciels et Solutions Numériques de Confiance’ le 22 avril avec Michel Paulin ».

Le secteur public, seul bon élève ?

Malgré quelques initiatives malheureuses comme le Health Data Hub, le secteur public se montre en général bon élève dans le cadre de la doctrine ‘Cloud au Centre’ de l’État. Cette doctrine avait été présentée dans nos colonnes par Vincent Coudrin, directeur projet cloud à la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique). Il est vrai que les contraintes réglementaires font, ici, offices de garde-fous. La deuxième table ronde du 14 avril est revenu sur ce sujet du « Déploiement du Cloud dans le secteur public » avec Stéphanie Schaer (directrice de la DINUM), Laurent Robillard (adjoint de la directrice de l’AIFE) et Sébastien Soriano (directeur général de l’IGN).

Club « retrouver la maîtrise de l’IT » le 10 juin 2025

Le mardi 10 juin 2025, Républik IT organise un Club « Dépendance aux fournisseurs transnationaux : retrouver la maîtrise de l’IT ». Le Grand Témoin y sera Emmanuel Sardet, Group CTO et Deputy Group CIO du groupe Crédit Agricole ainsi que président du Cigref.

Informations et inscription.

Jean-Noël de Galzain, président d’Hexatrust, s’est exprimé ici même à l’occasion de l’ouverture du FIC sur la nécessité de ne plus parler de souveraineté mais d’agir. Il a animé la troisième table ronde de la soirée du 14 avril, « Dépendances et souveraineté numérique », qui réunissait Bruno Sportisse (PDG de l’INRIA), la sénatrice Catherine Morin-Desailly, Henri d’Agrain (délégué général du Cigref), Yann Lechelle (PDG de Probabl) et Audrey Herblin (vice-présidente affaires publiques de Mistral AI).

Renforcer l’offre et observer le marché

Pour terminer, Clara Chappaz a annoncé deux autres initiatives. Tout d’abord, une mission de préfiguration d’un ‘Observatoire de la souveraineté numérique’, confiée au Conseil général de l’Économie, va être lancée avec l’objectif de cartographier les dépendances technologiques de la France. Connaître l’état précis de la situation permettra sans doute de faire prendre conscience à tous de la gravité de la situation. Cependant, la situation est tout de même globalement connue par les acteurs du marché.

Enfin, Clara Chappaz a annoncé un appel à projets « Renforcement de l’offre de services Cloud », dans le cadre du programme France 2030, « visant à soutenir l’émergence de solutions européennes compétitives ». Outre les échecs des offres subventionnées Cloudwatt et Numergy au milieu des années 2010, il faut rappeler qu’il existe déjà de nombreux fournisseurs français ou européens proposant des offres destinées aux entreprises (OVHcloud, Scaleway, Outscale, Cloud Temple…). Ces offres ne manquent que d’une chose : des commandes massives de la part des entreprises pour remplacer les commandes faites aux GAFAM. Le programme France 2030 permet de subventionner des projets dans le cadre de la politique industrielle de la France. L’appel à projets est un préalable à toute forme d’aide, permettant de recenser les offres éligibles et les besoins des entreprises les proposant. Le moins coûteux pour l’État serait peut-être de simplement publier un « carré magique » où les offres souveraines seraient placées en haut à droite, là où regardent les acheteurs IT des entreprises.