Thomas Masurel (Danone) : « notre valeur, c’est la proximité avec les métiers »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Cet article est référencé dans notre dossier : Les 15 interviews les plus lues en 2023
Entreprise agro-alimentaire d’envergure mondiale, Danone a une ambition qui nécessite de mettre l’IT au service de son double projet économique et social.
Même si votre entreprise est connue, l’ensemble de ses activités ne l’est pas nécessairement. Pouvez-vous nous représenter Danone ?
Danone est un entreprise agro-alimentaire présent partout dans le monde. Nos trois principaux marchés sont les Etats-Unis, la Chine et la France. Notre chiffre d’affaires est de l’ordre de 28 milliards d’euros par an dont 9 en Europe. Nous sommes 98 000 collaborateurs dans 57 pays dont 6000 en France. Dans notre pays, Danone dispose de toute la chaîne de valeur, de la recherche et innovation à la production et distribution. Nous avons 25 sites dans notre pays dont 13 usines et centres logistiques ainsi qu’un centre de rec herche et innovation. Notons que nos éleveurs partenaires sont tous situés en moyenne à soixante kilomètres de nos usines.
En France, Danone se concentre sur trois grands domaines d’activités. D’abord les produits laitiers frais et végétaux (nous sommes partenaires de 2500 producteurs et agriculteurs car nous tenons à notre approvisionnement local). Dans ce domaine, on trouve des marques iconiques comme Danette, Fjord, Activia… Un deuxième domaine est la nutrition spécialisée couvrant les besoins spécifiques des enfants, des patients et des seniors (Blédina, Nutricia, Gallia…). Enfin, nous avons une activité dans les eaux avec des marques comme Evian, Volvic, Badoit, Salveta…
Depuis deux ans, pour faire face aux enjeux sociaux économiques actuels tout en restant leader sur ses segments, Danone déploie le plan stratégique « Renew Danone ». Il repose sur quatre axes : la restauration de la compétitivité de Danone dans ses catégories et géographies clés ; le développement sélectif de la présence de Danone dans certains segments, canaux de distribution et géographies dont elle est absente ; l’identification et la préparation des axes de croissance du futur ; la gestion active du portefeuille de marques.
Tous les plans d’actions de l’entreprise, y compris dans le numérique, se rattachent évidemment à Renew Danone.
Comment est organisée votre IT ?
Nous avons un modèle permettant d’allier une connaissance business locale avec une « force de frappe » globale. Au niveau groupe, Danone définit des solutions standards permettant de répondre aux enjeux des business units dans les différents pays avec une volonté d’harmonisation et de simplification.
Nous avons donc trois types de solutions. Le premier, c’est une solution globale pour un process global (par exemple notre ERP SAP ECC 6). Le deuxième, c’est une solution globale pour des cas d’usages locaux (Microsoft Office 365 et solutions Adobe par exemple). Enfin, le troisième, c’est la solution locale pour un usage local (la paye, la relation avec les agriculteurs partenaires…). Nous privilégions toujours les solutions globales par soucis de simplification et d’harmonisation sauf lorsqu’une spécificité locale le nécessite comme par exemple pour la gestion de la paye.
La direction IT et Data France a comme mission de travailler en proximité avec les équipes métiers, de maximiser le potentiel des solutions groupe au niveau local, de déployer des solutions spécifiques si nécessaire et, quoiqu’il arrive, de garantir un service de qualité. Notre valeur ajoutée est la connaissance métier du fait de la proximité évoquée précédemment. Dans tous les cas, si un utilisateur a un besoin, il se tourne vers l’IT du pays et c’est notre mission de répondre à ses attentes, le cas échéant en s’appuyant sur les équipes du groupe.
Quelles sont les grandes caractéristiques de votre architecture IT ?
Pour les solutions globales opérées par le groupe, la tendance est au move 2 cloud afin de gagner en vitesse et d’avoir un modèle de delivery centré sur les usages des solutions plus que sur la technologie. Si une version SaaS d‘une solution existe, nous optons en principe pour celle-ci. Sinon, on l’héberge chez nos partenaires ). Ce mouvement est toujours en cours.
Pour les solutions locales, là encore, si c’est possible, nous optons pour le SaaS. Sinon, nous hébergeons dans des infrastructures groupe. La France ne dispose pas de ses propres datacenters, l’intégration des applications entre elles nécessitant bien évidemment une approche globale.
Vous disposez d’un SAP ECC 6. La migration S/4Hana est-elle d’actualité ?
Le projet est effectivement dans notre feuille de route mais n’est pas lancé même s’il est certain que le coeur du SI de Danone sera demain S/4Hana.
Dans le cadre de Renew Danone, un tel projet doit avoir une valeur ajoutée business. Nous ne faisons pas de montée de version ou de migration sous la seule contrainte technique. Un tel chantier suppose en effet que le métier s’implique fortement et on ne peut pas mobiliser des équipes s’il n’y a pas un incrément de valeur pour le métier. La seule exception à ce principe serait s’il y avait un gain substantiel d’efficacité via une harmonisation ou une simplification.
Quels sont vos grands projets actuels dans ce cas ?
Nous menons un chantier pour aider les forces de vente sur le terrain, en particulier dans le domaine de la nutrition spécialisée. C’est un secteur avec une forte réglementation qui nécessite une approche spécifique. En 2022, nous avons déployé un Salesforce en Retail mais, sur la nutrition spécialisée, c’est une implémentation différente, adaptée aux spécificités propres sectorielles, que nous réalisons cette année.
Dans la gestion et l’optimisation de notre politique de promotions, nous nous équipons de la solution de Kantar avec ses fonctionnalités d’intelligence artificielle.
Enfin, nous avons de beaux sujets sur la data. Nous voulons inverser le ratio d’effort entre la collecte de données et l’exploitation, l’analyse de ces données. Il faut passer moins de temps à collecter, enrichir, nettoyer, mettre à disposition les données. A l’inverse, nous devons passer plus de temps à exploiter la donnée et à en tirer de la valeur concrète et mesurable. Nous voulons aussi aller autant que possible vers le self BI et rendre autonomes nos interlocuteurs métiers pour démocratiser au maximum le recours aux datas dans la prise de décision.
Comment traitez-vous les données aujourd’hui ?
Nos fondations s’appuient actuellement sur un entrepôt Snowflake hébergé sur Azure, une ingestion via Informatica, une brique data science portée par Databrick et une exploitation des données avec Microsoft PowerBI. Les utilisateurs disposent de catalogues de données et de reportings ainsi que de nombreuses ressources / formations en fonction de leur profil. Cette plate-forme couvre en effet de multiples usages, de la simple visualisation à la construction de solutions analytiques en mode self-service en passant par l’approfondissement de questions business via des algorithmes de calcul ou toute simplement Excel en première intention. Notre objectif est que l’utilisateur final soit « empowered », qu’il n’ait plus besoin de solliciter l’IT pour exploiter les données dont il a besoin tout en assurant que cela se fasse dans les meilleures conditions car il n’est pas question, par exemple, de démultiplier la même donnée x fois.
Nous formons des data owners et des data champions dans les services métiers. Bien sûr, les données étaient déjà utilisées auparavant mais nous essayons d’avoir d’avantage de transversalité entre activités et d’harmoniser/automatiser les processus entre les catégories.
La data quality est, vu notre domaine, un sujet important car vecteur de confiance. Dans l’alimentaire, la qualité des données sur les produits est primordiale et Danone a à cœur que le consommateur ait accès en toute transparence à l’intégralité de ces informations. Notre mission chez Danone, est d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre. Nous souhaitons donc être exemplaire, notamment au niveau de la traçabilité « carbone » que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau produit. Grâce à la simulation basée sur la data, il est possible d’identifier les meilleurs scénarios en termes de bilan carbone selon l’endroit où un produit est fabriqué et sa zone de distribution. C’est également en cela que notre expertise répond à l’ambition de l’entreprise d’un business plus durable.
Concrètement, comment faites-vous ?
Le point de départ est d’avoir de la donnée de qualité et ce sur l’ensemble du cycle de vie de cette donnée. La donnée Produit en est un bon exemple. Il faut aussi s’assurer de disposer d’une définition unique du produit, savoir de quoi l’on parle (contenu, contenant, distribution , medias…). Si l’on veut pouvoir mesurer des évolutions, il faut garder les mêmes définitions et les mêmes outils de mesure.
Bien entendu, il est essentiel de disposer d’une seule « source de vérité » pour chaque donnée. Cela signifie mettre la donnée au bon endroit, sur une plate-forme unique, pour tous les usages.
Concernant les données que nous publions sur nos produits dans le cadre de nos engagements, nous nous appuyons aussi sur des tiers de confiance qui vont certifier que ce qui est publié est correct et respecte les directives comme la « Circular Footprint Formula » alias CFF au niveau européen.
Enfin, nous publions des datas vers nos partenaires distributeurs pour qu’ils puissent utiliser les bonnes données sur nos produits. Pour cela, nous utilisons le logiciel de syndication Equadis.
La data est-elle une arme pour défendre vos positions face à la croissance des marques distributeurs ?
La data nous amène à mieux connaître nos consommateurs et, clients-distributeurs et les résultats de nos actions marketing. Ces données nous permettent de cibler au mieux les besoins des consommateurs comme d’optimiser nos investissements médias. Elle nous permet aussi de mieux communiquer sur la qualité et les bénéfices de nos produits, que ce soit au niveau de leur recette que de leurs ingrédients. Tenir compte de données extérieures comme la météo est important pour certaines catégories, comme l’eau par exemple.
Quant aux données opérationnelles, elles permettent d’optimiser la production, la livraison, etc… Enfin, la data nous permet d’innover en termes de services complémentaires aux produits comme les conseils sur la nutrition spécialisée. Parfois, on s’approche d’une relation de type B2C.
Dans le cadre de votre politique de responsabilité sociale et environnementale, quelles sont vos pratiques en matière de Green-IT ?
Notre informatique, comme dans beaucoup d’entreprises, s’appuie sur beaucoup de partenaires. Les leviers strictement internes sont parfois limités. Le premier des axes de travail est donc la collaboration avec nos prestataires pour diminuer leur empreinte environnementale. Dans les appels d’offres, la RSE fait clairement partie des critères d’évaluation.
Un autre point essentiel est, bien sûr, de mesurer les impacts environnementaux et ce de manière régulière, avec des audits, pour voir les évolutions.
Nous avons aussi une approche « Tous responsables ! ». Nous invitons nos collaborateurs à adopter des petits gestes du quotidien pour diminuer notre empreinte environnementale.
Et puis il faut adresser les vrais sujets. Ainsi, ce qui fait l’empreinte carbone d’un email n’est pas son stockage ou son transit sur le réseau (par rapport à des videos par exemple) mais le matériel émetteur et récepteur. L’une des actions à fort impact est donc de prolonger la durée de vie des matériels. Dans le cadre d’un appel d’offres en cours sur la téléphonie, nous proposerons du matériel reconditionné à nos utilisateurs. Nous ne l’imposerons pas mais nos collaborateurs seront incités à choisir du reconditionné.
Enfin, nous suivons les usages pour assurer l’adéquation des infrastructures avec ceux-ci. Nous évitons d’aligner nos infrastructures sur les pics d’activité comme par le passé, c’est un atout important des solutions SaaS. Une telle démarche nécessite d’avoir intégré cette approche dès la conception des solutions, ce n’est pas toujours simple.
D’une manière générale, l’IT fait partie intégrante de notre feuille de route Danone Impact Journey, notre démarche de développement durable articulée autour de trois piliers : la santé, la nature ainsi que nos collaborateurs et communautés. Pour chacun de ces piliers, Danone s’est fixée de nouvelles priorités et des objectifs à moyen et long terme, se concentrant sur les axes dans lesquels l’entreprise peut apporter le plus de valeur..
La guerre des talents et la féminisation sont-elles des sujets chez Danone ?
La guerre des talents est une réalité pour tous les DSI aujourd’hui. La féminisation et, plus globalement, l’inclusion et la diversité sont depuis toujours des valeurs fortes pour Danone. Le fait que nous soyons une entreprise à mission est un atout. l’an dernier nous fêtions d’ailleurs le cinquantième anniversaire du discours d’Antoine Riboud (ancien PDG fondateur du groupe Danone, à l’époque BSN) à l’Université du MEDEF (à l’époque CNPF) à Marseille sur la double dimension sociale et économique de l’entreprise : « La croissance ne devra plus être une fin en soi, mais un outil qui, sans jamais nuire à la qualité de la vie, devra au contraire la servir ». Ce double projet est plus que jamais d’actualité et notre stratégie Renew Danone souhaite s’y inscrire en totale cohérence.
Au-delà de perpétuer l’héritage de nos fondateurs, cette stratégie ambitionne de relever les enjeux actuels et futurs en accélérant sur l’innovation dans tous les domaines d’activité de l’entreprise tout en capitalisant sur un portefeuille produit historique. Tout cela est extrêmement motivant pour les talents de l’entreprise et ceux qui souhaitent la rejoindre.
Ajoutons que l’entreprise est « people centric » avec une vraie politique de formation et d’évolution. Les collaborateurs peuvent avoir une véritable carrière internationale. Concernant le point de la féminisation, avoir des équipes mixtes est un véritable facteur de performance clé pour Danone. Nous sommes une entreprise leader dans ce domaine reconnue par exemple par l’observatoire Skema de la féminisation des entreprises et bien classée dans le baromètre d’Equileap.
Pour terminer, quels sont les défis que vous aurez à relever dans les prochains mois et années ?
J’en vois deux principaux. Tout d’abord, il nous faut accélérer la transformation digitale de Danone. Toute entreprise est aujourd’hui d’une certaine manière une entreprise « Tech ». Il faut pour cela être pragmatique et nous concentrer sur les 20 % qui peuvent être faits tout de suite et apporter 80 % de la valeur plutôt que de viser 100 % mais dans cinq ou dix ans seulement. Cette règle des 80/20 doit aussi s’appliquer dans nos processus de décision : il faut savoir prendre des décisions sur 80 % des données et accepter les risques associés. Accélérer, c’est aussi améliorer le processus de conception de nos produits et solutions, aller sur le terrain pour vérifier leur conformité aux attentes des équipes métiers.
Ensuite, l’agilité. Nous allons passer à la vitesse supérieure dans ce domaine, là aussi de manière pragmatique. Nous préférons démarrer petit et concret avant de passer à l’échelle et d’accélérer plutôt que d’attendre le « grand soir ». Pour cela, l’IT et le métier doivent bien sûr travailler ensemble. Cette collaboration est la clé de toute la transformation numérique de Danone.
Podcast - Danone organise son IT du global au local
Danone, entreprise agroalimentaire mondiale spécialisée dans les produits laitiers et « plant based », l’alimentation spécialisée et l’eau, réalise environ 28 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 9 en Europe. Thomas Masurel, Directeur IT & Data France de Danone, revient ici sur l’organisation de l’IT dans le groupe. La DSI locale est là pour comprendre les enjeux locaux, accompagner les équipes métiers et maximiser la valeur des outils Core Model. La DSI locale est le point de contact unique pour les utilisateurs. Elle engage sa responsabilité sur l’ensemble des services IT & Data.