Décideurs it

Stéphane Deux (Transdev) : « co-construire sert les intérêts de tout le monde »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Transdev a une organisation fortement décentralisée par la nature même de son activité. Stéphane Deux, Directeur Digital & IT de Transdev, explique les conséquences IT.

Stéphane Deux est le Directeur Digital & IT groupe de Transdev.  - © Républik IT / B.L.
Stéphane Deux est le Directeur Digital & IT groupe de Transdev. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter le groupe Transdev ?

Nous sommes spécialisés dans le transport délégué de personnes. Nos clients sont des puissances publiques (collectivités locales, Etats…). En France, nous n’opérons donc pas de TGV (open-access, non-subventionné) mais nous nous positionnons sur les TER (comme le contrat remporté en région PACA par exemple). Nous opérons tous les modes de transports collectifs : métro, train, bus, car, ferry, taxi, vélo en libre-service… Notre activité est donc par nature constamment en appels d’offres pour des contrats de cinq ans ou plus.

Notre actionnariat est stable : 66 % de la Caisse des Dépôts et Consignations, 34 % du groupe multiservice allemand Rethmann. Il nous permet de penser en temps long.

Nous réalisons aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de sept milliards d’euros mais, en Novembre, nous avons lancé l’acquisition de First Transit en Amérique du Nord qui génère 1,2 milliard de dollars de chiffre d’affaires.

Pour des raisons contractuelles, chaque concession est opérée par une société dédiée qui reprend les actifs et les ressources humaines affectés à la concession.

Du coup, comment est organisée la DSI et, plus généralement, la fonction IT ?

Nous avons une structure fédérale : groupe, pays et local, avec des prises de décisions à chaque niveau. De même, nos actifs peuvent être autant locaux que centraux ou au niveau pays. Nous appliquons un principe de subsidiarité. Les fonctions corporate emploient ainsi seulement entre 200 et 250 collaborateurs dont 65 à la DSI.

Bien sûr, la recherche d’efficience entraîne des tendances à la standardisation, à la mutualisation, au cloud… Et ces tendances poussent à remonter du local vers le central. Mais, dans tous les cas, toute décision devra se faire dans la recherche du bénéfice terrain. Nous n’imposons jamais rien contre le terrain.

J’ai l’habitude de décrire notre IT avec le sigle BIS : business, infrastructure, support.

Les infrastructures, ce sont les datacenters, le cloud, la bureautique collaborative (Microsoft 365), le réseau, la sécurité… Cette couche est la plus centralisée. Pour les filiales à 100 %, c’est fortement unifié au niveau groupe, avec, par exemple, une seule instance mondiale Microsoft 365 (pour le Chili, l’Irlande et une partie de nos activités en Allemagne, l’unification se terminera en 2023).

Les fonctions support/transverses (ERP, SIRH sauf la paie…) ont vocation à utiliser une solution groupe mais ce n’est pas encore partout le cas. Si le SIRH Me@Transdev, implémentation de Cornerstone, est déployé au niveau mondial, l’ERP Microsoft Dynamics est déployé dans seulement quelques pays pour l’instant (pas encore la France). Comme une paye multinationale n’existe pas, nous avons une solution de paie par pays.

Enfin, la couche « business » est dédoublée. Certains actifs nous sont propres : gestion de l’exploitation, services opérationnels, gestion de la maintenance des installations et des matériels roulants… Historiquement, ces outils étaient des implémentations locales. Aujourd’hui, autant que possible au fur et à mesure des renouvellements, nous standardisons et recourons au SaaS de plus en plus. Pour la gestion de la relation voyageurs (réclamations, objets perdus…), nous avons une solution groupe en cours de déploiement mondial. La deuxième partie concerne des actifs qui nous sont confiés par le concédant, que nous devons maintenir en conditions opérationnelles et transmettre au concessionnaire suivant (ou le garder si c’est nous le suivant !). C’est notamment le cas de la billetique, du système d’information voyageurs, du pilotage des trains… Pour ces systèmes, la mutualisation est, par nature, rarement possible.

La donnée métier est, chez vous, par nature locale. Comment l’exploitez-vous ?

Si la donnée est locale, c’est aussi toujours pour un usage local. Et ce même si l’on réalise des comparatifs entre deux contrats et leur exécution. Pour nous, la data est un sujet prioritaire et nous voulons en tirer de la valeur métier. Mais, au sein des chantiers de transformation digitale, ceux consacrés à la donnée sont les plus complexes car ils sont multidimensionnels.

Les indicateurs que nous réalisons servent d’une part à des comparatifs entre contrats mais aussi,d’autre part, à suivre les éventuels écarts entre un prévu et un réalisé afin de piloter notre exécution contractuelle (nombre de kilomètres parcourus, nombre de passagers…).

Moins classiquement, sans doute, nous étudions également des données de mobilité (flux de personnes anonymisées). Ces études servent à prévoir le trafic selon les moments afin d’adapter notre offre aux besoins. Et nous les utilisons aussi dans le cadre de notre devoir de conseil auprès de nos commanditaires, notamment pour proposer des évolutions du plan de transport selon l’apparition de nouveaux équipements, de lotissements, etc.

En tant qu’opérateur de transport, nous réalisons aussi des études qui sont plus courantes. Par exemple, nous pratiquons la maintenance prédictive des véhicules en fonction de la réalité de l’usure des pièces .

Et n’oublions pas des outils très opérationnels utiles pour les collaborateurs de terrain. Par exemple, quand on pilote une flotte de véhicules électriques, il faut, en plus des plannings d’usage des véhicules et du planning des chauffeurs, un planning des mises en charges tenant compte des réalités du réseau électrique.

Autant que possible, nous cherchons à mutualiser les développements opérés en fonction des attentes du commanditaire. Il y a des spécificités dans chaque contrat. Et c’est même de plus en plus complexe. Nous créons même, désormais, des outils très opérationnels et terrain exploitant le patrimoine data.

Entreprise de transport, l’empreinte environnementale et plus généralement la RSE sont nécessairement des sujets pour vous. Quel est le rôle de la DSI en la matière ?

Bien évidemment, comme ailleurs, nous avons les deux aspects classiques de la question : IT for green et Green IT.

L’IT for Green, c’est la contribution de la DSI à l’optimisation de l’empreinte environnementale et à la RSE du groupe. Par exemple, nous aidons les équipes métiers à réaliser les rapports extra-financiers à partir des données internes.

Quant au Green IT, il s’agit d’optimiser l’empreinte environnementale de la DSI elle-même. Celle-ci est, grosso-modo, divisible en trois parties inégales : 70 % pour les terminaux, 20 % pour le stockage (datacenters, cloud, …) et 10 % pour le reste. Nous allons d’abord nous focaliser sur ce qui est le plus important, donc les terminaux puis, dans un second temps, le stockage. Bien sûr, nous faisons preuve de pédagogie auprès des utilisateurs pour qu’ils conservent leurs terminaux le plus longtemps possible. En fin de cycle de vie, nous optimisons le recyclage. Dans les axes de progrès, il y a la mise en œuvre du réemploi des terminaux des usages les plus exigeants vers des usages moins exigeants. Une telle approche est non seulement écoresponsable mais aussi plus responsable économiquement, donc à 100 % gagnant.

Concernant l’infrastructure, nous prévoyons désormais dans nos contrats des critères d’écoresponsabilité, parfois avec une mise en œuvre pratique déléguée au fournisseur.

Côté usages, il y a des changements qui sont aisés et avec de multiples bénéfices. Par exemple, il faut éviter d’envoyer des documents en pièce jointe par mail et privilégier le partage d’un document stocké. Cela évite une duplication du document avec les difficultés pour savoir quelle version est la bonne. Adopter cette bonne pratique est donc non seulement écoresponsable mais permet aussi un gain substantiel d’efficacité. Nous communiquons auprès des utilisateurs à ce sujet.

Une autre de vos particularités est la grande décentralisation. Du coup, comment organise-t-on la cybersécurité dans un tel contexte ?

Ce n’est pas simple ! Pour les systèmes centralisés, il n’y a pas de question : c’est la DSI corporate qui s’en charge. Mais nous devons protéger toutes les couches, même locales. Pour cela, nous animons des communautés de responsables.

J’ai travaillé dans des entreprises très décentralisées et d’autres très centralisées. En fait, dans les deux cas, il faut se reposer sur des communautés et bien expliquer à chacun le pourquoi de chaque décision. Même si la structure est centralisée, avec une hiérarchie verticale, une règle ne sera pas bien appliquée sur le terrain si elle n’est pas comprise.

Il faut responsabiliser les bons acteurs aux bons niveaux. Cela veut dire aussi donner du sens aux actions.

La première des communautés, c’est bien sûr celle animée par la RSSI groupe avec un RSSI de chacun des principaux pays et les RSSI partagés pour les pays plus petits. Nous avons ainsi pu trouver des moyens astucieux pour couvrir tous les pays même avec une activité de petite taille.

Quand je dis « communautés », je ne parle pas de « salons de thé » ! Il s’agit de communautés de co-construction des feuilles de route. Cela a un double effet bénéfique : chaque RSSI a exprimé ses besoins et a contribué aux besoins du groupe. Co-construire la convergence sert les intérêts de tout le monde. Cette approche constitue un réel succès chez nous. Nous avons d’abord eu cette approche sur les CIO et les CISO et nous sommes en train de la dupliquer sur d’autres communautés (CTO, responsables workplaces…).

Quels sont vos défis des prochains mois et années ?

Il y a une règle absolue : « fix the basics ». Vous ne pouvez pas être crédible et reconnu si les fondamentaux ne marchent pas et ne sont pas optimisés. Il nous reste des éléments à mutualiser et optimiser, à passer du multilocal au central.

En deuxième lieu, les programmes de transformation digitale encore en cours. Nous avons fini le chantier workplace mais nous n’avons pas terminé celui sur la protection des données. Ce chantier, c’est 5 % de technologie, 95 % de comportements. Il nous faut aussi monter la maturité digitale de chacun et poursuivre la digitalisation des métiers supports.

Un défi qui me tient à coeur est la féminisation de nos métiers. Pour moi, il faut commencer par le haut : ce sont des femmes responsables qui attireront des collaboratrices. Nous accueillons ce mois-ci une CIO aux Pays-Bas et une CISO en Allemagne. Cela nous aidera aussi à relever le défi de l’embauche des talents aux compétences rares (cybersécurité, DevSecOps…).

Je souhaite également achever la mise en place d’un support « follow the sun » en nous appuyant sur nos implantations à travers le monde. Il s’agit de basculer, selon le moment, entre les différentes implantations qui, chacune, travaille aux horaires de bureau. En cumulé, nous obtiendrons ainsi un service 24/7 sans aucune astreinte en dehors des heures de journée.

Enfin, il s’agit d’optimiser les coûts de notre filiale Transdev Business Information Solution, la filiale du groupe qui fournit les solutions IT au niveau corporate et pour la France.

Stéphane Deux (Transdev) : « notre SI peut être analysé en trois couches »

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