Décideurs it

Samir Amellal (Auchan Retail) : « l’intégration de Casino a accéléré l’évolution de notre IT »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Auchan Retail a intégré 94 magasins et un entrepôt rachetés à Casino. Samir Amellal, CIO et Global CDO d’Auchan Retail, en explique les modalités IT.

Samir Amellal est CIO et Global CDO de Auchan Retail. - © Auchan Retail
Samir Amellal est CIO et Global CDO de Auchan Retail. - © Auchan Retail

Aujourd’hui, que représente le groupe Auchan Retail ?

Auchan Retail est un groupe de grande distribution possédant tous les formats, de la supérette à l’hypermarché. Historiquement, en France, nous possédions surtout des hypermarchés. Le groupe est présent dans douze pays dont onze en propre et un, en Afrique, en franchise. Les plus importants en parts de chiffre d’affaires sont la France (plus de la moitié du chiffre d’affaires du groupe) et l’Espagne. Le groupe réalise un chiffre d’affaires de 32,3 milliards d’euros grâce à près de 154 000 collaborateurs dont 62 000 en France.

Sur nos 2354 points de ventes, 687 se situent en France. Par ailleurs, nous disposons d’un site e-commerce unique (pour les drives, le Click&Collect, la livraison…) qui propose les produits disponibles dans la zone géographique du client.

En intégrant une partie du groupe Casino, nous avons pu développer le format supermarché et petits hypermarchés. Ce sont des formats qui, aujourd’hui, sont davantage porteurs que les grands hypermarchés en banlieue.

Quels sont les grands principes d’organisation de votre fonction IT ?

S’il existe aujourd’hui des parties communes mutualisées, historiquement, Auchan Retail dispose d’un système d’information par pays. Cet état de fait a son origine dans des choix business : les directions générales de pays ont une assez forte autonomie pour définir leurs priorités business locales et font donc varier les SI locaux pour s’y adapter.

Aujourd’hui, les infrastructures sont partiellement mutualisées et, d’une manière générale, nous cherchons à accroître la part de ce qui est mutualisé. Il s’agit aussi de compenser une dette historique de gouvernance. Trop longtemps, la conception et le pilotage de nos processus ont été très diffus et chaque responsable métier pouvait spécifier ses propres processus.

Quels sont les grands principes techniques de votre architecture IT ?

Nous avons beaucoup de développements propres mais cela ne nous empêche pas d’intégrer des solutions d’éditeurs, parfois fortement personnalisées voire dévoyées. Depuis mon arrivée, l’une de mes missions est aussi de remettre un peu d’ordre dans le patrimoine applicatif. Mais, de ce fait, nous avons une capacité interne importante à réaliser des développements.

Nous n’avons cependant pas de grande solution transversale. Si nous utilisons des modules des ERP SAP ou Oracle, les gestions logistiques Manhattan WMS et Meti, par exemples, ces différentes solutions sont interfacées entre elles. Cette approche a évidemment quelques inconvénients et nous sommes actuellement en train de faire évoluer notre IT.

Nous avons une IT trop complexe parce que nos processus métiers sont trop complexes. Désormais, nous voulons avoir un seul patron par famille de processus et une gouvernance plus claire. Jadis, la DSI avait, avec les métiers, une relation clients-fournisseur : elle produisait ce que chacun lui demandait et le résultat n’était pas toujours très simple à maintenir.

Il y a encore 15 à 20 % du patrimoine applicatif qui est hébergé sur des infrastructures situées en magasins, en particulier BOK (le back-office caisses). Notre intention est de réduire au maximum ces infrastructures en magasins, notamment en recourant au cloud et au edge computing. Il s’agit à la fois d’être résilient et d’avoir une gestion intelligente des flux de données. Par exemple, l’an dernier, nous avons décommissionné les AS/400 qui traitaient la logistique aval, certaines applications métiers, une partie de la descente des prix depuis le central… Les grilles tarifaires sont, chez nous, définies centralement et descendues en magasin, chaque magasin pouvant se positionner sur la grille. Les prix sont ensuite synchronisés avec les étiquettes en rayon.

Nous allons reparler de la reprise de Casino. A part cela, quels sont vos projets actuels ?

Notre sujet du moment, c’est la simplification de l’ensemble de nos processus et, par ricochet, la simplification de nos outils.

Un exemple parmi d’autres, c’est la simplification du parcours d’encaissement. Nous avons bien sûr les caisses classiques, les caisses en self-service, le click-and-collect, le drive, le scanning sur l’application pour smartphone… A chaque fois, nous voulons que l’usage d’un canal d’encaissement soit facile d’usage autant pour les clients que pour les collaborateurs. Pour accroître la facilité, nous cherchons à simplifier. Mais, bien entendu, nous devons aussi veiller, notamment dans les canaux en self-service, à limiter la démarque inconnue. Or si nous demandons à notre personnel de contrôler une proportion de paniers, cela ne simplifie pas le parcours d’encaissement. Nous mettons donc en place des caméras, des balances, etc.

Par ailleurs, nous sommes en train de faire évoluer notre site e-commerce. Ce site dispose d’une seule série de référentiels (catalogue produits, stocks…) mis à jour toutes les nuits avec les stocks de tous les magasins puisque les clients vont être servis via un magasin donné dans leur zone géographique. Nous utilisions pour remonter les données l’outil Fredhopper que nous avons aidé à faire évoluer mais il n’était plus adapté à la dimension actuelle du e-commerce au sein du groupe, avec des incidents trop nombreux. Nous sommes donc en train de préparer une migration vers une solution proposée par Google.

Votre grand sujet récent, c’est donc l’intégration de magasins Casino. D’un point de vue métier, qu’est-ce que cela a signifié ?

Nous avons repris 94 magasins, essentiellement des supermarchés et quelques petits hypermarchés, et un entrepôt, surtout dans le centre et le sud-est de la France. Nous avons réalisé trois vagues d’intégration d’une trentaine de magasins à chaque fois à raison d’une vague par mois sur trois mois (mai, juin et juillet 2024).

La migration d’enseigne s’est traduite par une fermeture d’environ une semaine de chaque magasin. Le changement n’était pas qu’informatique, bien entendu, puisqu’il s’agissait de reconfigurer les magasins pour les passer aux standards Auchan, y compris en termes visuels et esthétiques.

Comment cela s’est-il passé sur le plan informatique ?

Tout a changé, même le câblage réseau, à l’exception de la téléphonie ! Outre qu’il y avait souvent de la vétusté et qu’il fallait réaliser une mise à niveau technique, la reconfiguration physique des magasins impliquait d’adapter le câblage aux nouvelles dispositions des mobiliers et des équipements.

Nous avons déployé nos applications en effectuant, lorsque c’était nécessaire, de la reprise de données (données sur le personnel, quelques stocks…), avec éventuellement un peu de reformatage et de retraitement. Mais, d’un point de vue IT, il n’y a pas eu « intégration ». Il faudrait plutôt parler d’ouverture de 94 magasins sur trois mois. La vraie difficulté résidait dans la quantité de magasins à ouvrir (30 magasins sur dix jours, rappelons ce chiffre ! Et cela trois fois pour les trois vagues !) : il fallait fortement industrialiser de manière à tenir les délais et enchaîner. Chaque jour de fermeture d’un magasin est évidemment un jour sans chiffre d’affaires.

Dans les rachats précédents, nous avions repris les IT, ce qui nous avait conduits à avoir plusieurs systèmes d’informations, un pour les supermarchés et un pour les hypermarchés.

L’intégration de Casino a accéléré l’évolution de notre propre IT. Par exemple, nous avons pu, à cette occasion, avancer plus vite sur la convergence entre les SI dédiés aux hypermarchés et aux supermarchés.

Nous avons eu connaissance de l’hypothèse de la reprise de ces magasins environ six mois en avance. Nous avons donc pu progressivement préparer l’intégration en fonction de l’avancée du dossier. Nous avons accéléré certaines évolutions vers le SI cible pour éviter de déployer du Legacy qu’il aurait ensuite fallu changer. Cela dit, parfois, nous avons tout de même été contraints de procéder à quelques contournements en attendant une sortie définitive du Legacy. Les anciens magasins Casino, de ce fait, sont pionniers dans l’usage de notre SI cible et permettent de le valider. Le SI cible va ensuite être déployé dans les magasins historiques d’Auchan.

Pourquoi tout a-t-il changé sauf la téléphonie ?

Nous avons récemment changé notre téléphonie au niveau groupe, avec une solution ToIP sans fil fournie et installée par HubOne. Mais le résultat ne nous donnait pas satisfaction. Nous avons donc décidé de ne pas déployer cette solution sur les magasins repris de Casino puisque ces magasins disposaient d’une téléphonie opérationnelle.

Mais la configuration de notre installation n’était pas optimisée selon une étude que nous avons fait mener, ce que HubOne a reconnu. Nous sommes en train d’achever des tests d’une mise à niveau sur deux magasins. Si les tests amènent des résultats satisfaisants (ce qui est apparemment le cas), alors nous déploierons cette solution dans l’ensemble de nos magasins.

L’une des grandes difficultés, c’est bien sûr que nos magasins sont souvent des cages de Faraday.

Quels sont vos enjeux du moment ?

J’en ai identifié trois.

Tout d’abord, c’est le « back to basic ». Il s’agit de passer d’une relation client-fournisseur à une meilleure gouvernance. Il faut refocaliser l’IT sur son métier. J’ai notamment recréé une direction des opérations et mis en œuvre les bonnes pratiques adéquates de gestion tant du quotidien, en développant l’observabilité, que des déploiements. Nous constatons déjà une forte baisse du nombre d’incidents et nous sommes aujourd’hui en mesure de régler les problèmes qui surviennent avant même que les métiers ne s’aperçoivent de leur survenue.

Notre deuxième enjeu, c’est de gérer une dette technique très importante qui s’est accumulée au fil des années. Nous voulons surtout nous débarrasser rapidement des 15 % de la dette technique qui génèrent 80 % des problèmes. Nous comptons atteindre cet objectif avant la fin du premier trimestre 2025. La reprise de magasins Casino nous a beaucoup aidé à ce niveau, par exemple en nous faisant avancer sur la convergence hypermarchés/supermarchés.

Enfin, nous devons régler notre dette fonctionnelle. Notre IT est complexe parce que les responsabilités étaient diffuses. Guillaume Darrasse, directeur général du groupe et président France, a bien compris le problème et soutient fortement le renforcement de la gouvernance. Patrice Moulin, directeur général délégué et directeur financier du groupe, m’aide aussi beaucoup.

Et, pour nous tourner vers l’avenir, quels vont être vos prochains défis ?

Nous avons besoin d’une vision technologique. Notre principal défi, c’est que l’entreprise soit toujours adaptable à tous les changements qui surviennent : évolution des concurrents, problèmes géopolitiques… Sans IT, on ne peut rien faire aujourd’hui. Il faut donc que l’IT soit capable, elle aussi, de s’adapter très vite, d’être très flexible. Nous avons conclu un partenariat important avec Google et Microsoft pour l’adoption du Cloud. Et, côté applicatifs, nous misons sur une architecture headless, à base d’API et basée sur le Cloud.