La data au coeur de l’évolution du retail
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
La distribution a dû se réinventer à l’occasion de la crise Covid. Les effets de la révolution demeurent, au bénéfice des clients, comme souligné lors d’une réunion du CPI-B2B.
Jusqu’à la crise sanitaire liée à la pandémie Covid, certains distributeurs ou certains secteurs de la distribution pouvaient tenter de freiner leur digitalisation, même quand des projets étaient plus ou moins en prévision. Le monde d’après, c’est celui du commerce hybride associant le commerce digital et les magasins physiques. L’hybridité n’est cependant pas simple à mettre en œuvre, comme l’ont souligné les intervenants à la réunion du CPI-B2B (Club de la Presse Informatique B2B) du 21 septembre 2022 : Guillaume Jonglez (directeur Retail Transformation chez Oracle EMEA), Bruno Husson (responsable du marché Retail chez Mitel), Arnaud Chiffert (responsable commercial Retail & CPG chez Snowflake), Anne Sourdin (spécialiste du marché Retail chez Dell Technologies) et Eric Bornet (directeur commercial France chez Juniper Networks).
La distribution a connu une forte complexification depuis quelques années, le phénomène ayant commencé avant le Covid et se poursuivant aujourd’hui. Guillaume Jonglez a ainsi observé : « le retail a évolué, d’une part, de la masse à la personnalisation et, d’autre part, avec une multiplication des canaux et des modes de contact. Même la logistique s’est complexifiée car, aujourd’hui, la livraison n’est plus d’un entrepôt vers un magasin mais vers, certes, toujours, un magasin, auquel il faut ajouter les domiciles des clients, des relais, des casiers… » La crise sanitaire a aussi pointé la difficulté, dans un secteur où les marges opérationnelles sont réduites, à affronter le quotidien tout en finançant le moyen-long terme. Or les investissements sont bien nécessaires pour suivre des habitudes des consommateurs qui varient de plus en plus vite. « La personnalisation, ce n’est pas seulement le produit ou le prix mais aussi la livraison et les services connexes ; le digital a entraîné beaucoup plus d’exigences, à un niveau de plus en plus haut, de la part des consommateurs » a souligné Anne Sourdin.
Pour avoir une chance de « suivre » le consommateur sur ce qu’il désire, il est nécessaire de récolter les datas révélant les comportements et leurs tendances afin de les modéliser et de prédire leur évolution grâce à l’IA. Tout n’est cependant pas prévisible. Par exemple, personne ne pouvait prédire la survenue de la crise sanitaire. Sauf que, en fait, ce que la crise a accéléré et amplifié était déjà en germes. Tous les distributeurs n’étaient ainsi pas prêts à basculer sur du e-commerce et ceux qui le pratiquaient déjà ont, de ce fait, été avantagés. Bruno Husson a observé :« avec la fin de la crise, les consommateurs retournent en magasin et les canaux physiques et e-commerce cohabitent désormais ». Mais l’hybride va se nicher au sein même des canaux et les cycles d’achat sont également de plus en plus hybrides. Par exemple, les consommateurs cherchent de l’information en ligne, vont aller voir en magasin puis commander sur une boutique e-commerce avant de se faire livrer en casier. Autre exemple : le drive, c’est la facilité du digital (je commande en ligne) et la rapidité du physique (une heure plus tard, je vais chercher mes articles).
Les flux de données ont besoin d’infrastructures
Pour mettre en œuvre le e-commerce ou le commerce hybride, personnaliser le service et digitaliser, il y a une clé de voute : la data. « Pour la collecter, il faut des moyens techniques et notamment des réseaux » a relevé Eric Bornet. Il a poursuivi : « le confinement a donné du temps pour déployer les infrastructures nécessaires, d’autant que l’existence d’un réseau wifi clients dans un magasin est un facteur majeur de la qualité d’une expérience client ». Les vagues projets qui pré-existaient en la matière avant 2020 ont été brutalement accélérés, déclenchant une vague d’investissements massifs en 2020-2021.
L’infrastructure data elle-même a fait l’objet d’importants investissements. « Tous les retailers ont accéléré leurs projets de digitalisation et de data car ceux qui étaient prêts et ont bien résisté au Covid veulent garder leur avance, les autres investissent pour les rattraper » a observé Arnaud Chiffert. Cependant, les anciennes habitudes peuvent laisser des traces gênantes, par exemple lorsque des distributeurs se constituent des sur-stocks de précaution, entraînant de ce fait des sur-production et donc des renvois de produits et du gâchis, contraire à la volonté de développement durable. Et le digital n’est pas synonyme de miracle porteur de valeur. Guillaume Jonglez a ainsi pointé : « les distributeurs n’ont pas les moyens d’investir sur toutes les technologies ; par exemple le ‘smart miror’, un miroir qui permet, en réalité augmentée, de se voir avec un article que l’on envisage d’acheter, vêtement ou accessoire, est un outil de communication mais, concrètement, n’est jamais véritablement déployé parce que le bénéfice commercial est nul. »
La distribution ne sera plus jamais comme avant
La révolution en cours n’est pas juste une concurrence accrue entre acteurs. La répartition des taches et de la valeur est également en jeu, avec les flux de données comme ciment au nouveau tissu économique. Ainsi, Amazon est certes un distributeur mais c’est surtout un fournisseur de technologie et de services logistiques. Du coup, les producteurs peuvent aussi devenir, grâce à ce prestataire, distributeurs sur une marketplace, pourvu qu’ils sachent envoyer les données sur leurs offres disponibles et récupérer dans leur SI les commandes avant d’en gérer le suivi. De la même façon, parler de commerce hybride n’est pas parler de canaux juxtaposés. Il faut bien que l’ensemble communique grâce à la data.
Bruno Husson a ainsi plaidé : « un centre de contact appelé par un client doit savoir ce qui se passe dans toute la chaîne de valeur afin de pouvoir répondre au client, quelque soit le canal employé ». Si le contact s’opère grâce à un bot, celui-ci doit avoir accès, de la même façon, à toutes les données. Quand un bot n’est pas capable de répondre, il doit « passer la main » à un humain comme s’il faisait suivre à un collègue. Mais l’IA doit ensuite analyser les échanges et les réactions des humains afin de s’améliorer et de savoir quoi répondre la fois suivante dans une situation similaire.