Jérôme Zoïs (ADMR) : « 50 % de nos moyens IT sont consacrés au Ségur Numérique »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Le spécialiste des services à la personne ADMR digitalise son fonctionnement interne et ses relations usagers. Les enjeux considérables, amplifiés par le cadre du Ségur Numérique, sont ici explicités par Jérôme Zoïs, DSI de l’Union Nationale de l’ADMR en plus des détails sur sa stratégie.
Pouvez-vous nous présenter l’ADMR ?
L’ADMR est un réseau associatif d’aide à la personne à domicile. Nous avons, en tout, 94 000 salariés dont 60 000 intervenants et 81 000 bénévoles sur tout le territoire métropolitain, tous rattachés à l’une des 2 600 associations de proximité au plus près des usagers, même en milieu rural isolé. Nous accompagnons ainsi 720 000 usagers.
Notre coeur d’activité est le service et le soin aux seniors. Mais nous réalisons aussi de l’accompagnement de personnes handicapées, du soutien aux familles en difficultés en matière d’enfance et de parentalité, de l’entretien de la maison (ménage, jardinage…)…
Les 2 600 associations de proximité sont regroupées par fédérations départementales qui sont elles-mêmes réunies au sein de l’Union Nationale. L’Union Nationale mutualise les fonctions support (émission des 100 000 bulletins de paye chaque mois…) avec des outils nationaux.
Quel est le rôle et l’organisation de la DSI de l’Union Nationale ?
La DSI fixe la stratégie IT. L’Union Nationale dispose d’une filiale ESN qui décline cette stratégie en termes opérationnels.
Cette ESN est éditeur des principales solutions IT qui nous permettent de gérer la planification d’activité. Quand il n’y a pas de valeur ajoutée à créer nous-même une solution, elle intègre les offres du marché. Par exemple, nous utilisons Primobox pour l’hébergement des bulletins de paye. Enfin, elle assure aussi l’accompagnement et la formation des utilisateurs. En tout, nous utilisons une quarantaine d’applications pour couvrir tous nos métiers. La plupart sont hébergées dans les deux datacenters de l’ESN et proposées en SaaS à nos associations. Il reste quelques applications on premise qui sont en cours de migration. Evidemment, une telle approche facilite le déploiement même si, quand il y a un problème, tout le monde est simultanément impacté. Nous validons donc soigneusement les évolutions en amont en verrouillant des programmes de tests. Enfin, nous sommes en train de remplacer les multiples systèmes de messagerie et la bureautique par Microsoft Office 365. La migration devrait être terminée d’ici un an.
Comment gérez-vous la cybersécurité dans un contexte de forte décentralisation ?
C’est un problème très classique que nous prenons en compte depuis longtemps. L’ADMR a une culture ancienne de la protection des données personnelles qui s’appuie aujourd’hui sur un DPO national et un réseau de relais locaux. Nous disposons d’un réseau IP/MPLS unique pour relier tous nos sites avec des outils de filtrage.
La cybersécurité est un chapitre important de notre schéma directeur 2024-2027. Nous voulons, à cette occasion, accroître notre veille pour être davantage réactif. Nous allons également développer la sensibilisation des utilisateurs avec des webinaires : c’est un format qui marche bien dans le cadre de parcours pédagogiques obligatoires. N’oublions pas que les 60 000 intervenants se connectent tous les jours au système d’information national avec leur smartphone ! Pour les responsables IT, nous prévoyons des formations plus lourdes, en MOOC, ainsi qu’un site documentaire de référence. Un autre axe d’action est le développement de capacités d’audit de nos fédérations pour vérifier la mise en œuvre des bonnes pratiques. Enfin, nous allons renforcer notre PCA/PRA en réalisant davantage de tests de reprise.
Comment menez-vous la digitalisation de la relation usagers ?
Même si nous travaillons sur ce sujet depuis longtemps, il y a un nouveau contexte général posé par le Ségur Numérique avec de nouvelles attentes de l’Etat.
Désormais, tous les usagers doivent prendre leur santé en main grâce au numérique. Il s’agit donc de permettre à chaque usager d’accéder à toutes les données sur leur santé au sens large (médical comme médico-social notamment). Toute l’information gérée par tous les établissements intervenant sur cette santé au sens large doit donc remonter dans Mon Espace Santé. Le principe posé est donc celui d’une digitalisation native de l’information.
Nous avions anticipé cette tendance en créant un espace usager et nous travaillons donc actuellement à sa connexion avec Mon Espace Santé. Pour l’instant, cet espace usager est déployé sur le tiers du réseau de l’ADMR, notre objectif étant d’achever le déploiement pour 2025.
L’espace usager est celui où toute l’information sur chaque usager est regroupée. On va notamment y trouver la planification des actions en temps réel et la gestion des livraisons de repas. L’aspect administratif est important : contrats, factures électroniques… Nous y avons inclus des outils de communication et enfin le cahier de liaison numérique qui arrivera prochainement. Celui-ci est le support des transmissions entre professionnels qui interviennent chez un usager, avec une différenciation des droits d’accès selon leur profil (notamment : accès aux informations médicales ou non). Il s’agit d’un suivi exhaustif.
Vous intervenez auprès de publics, notamment les seniors, pas nécessairement familiers du numérique…
De fait, très peu de seniors accèdent au dossier. Ce sont les aidants (familiaux en général) qui en ont besoin. Le traditionnel cahier de liaison, posé sur la table du salon, était tout sauf sécurisé. Et puis, quand l’aidant est à 500 kilomètres, consulter un cahier papier posé sur la table du salon de l’usager n’est pas pratique.
Le principe est que les données de cet espace appartiennent à l’usager. C’est lui qui est censé gérer les droits d’accès. Mais nous avons mis en place des profils d’aidants familiaux. Cet outil est le trait d’union entre l’association, l’usager et l’aidant. Le numérique est indispensable pour assurer ce lien.
Bien entendu, la question de la sécurité et de la confidentialité a été centrale dans le projet dès le départ.
N’oublions pas que notre propre génération vieillit et qu’elle sera bientôt concernée par ce type d’outils.
Une autre digitalisation est évidemment celle qui concerne directement les personnels internes. Comment la menez-vous ?
Tous les intervenants sont équipés de smartphones professionnels durcis sous Android, adaptés au métier, fournis par Crosscall. Nous avons une bonne collaboration avec ce fabriquant sur sa feuille de route. Pour nos intervenants, les smartphones sont de véritables bureaux mobiles.
Comme tout le monde, les intervenants sont habitués au numérique pour leur usage personnel. Il nous faut juste accompagner la numérisation professionnelle. Par exemple, utiliser Whatsapp, c’est très bien à titre personnel mais inadéquat à titre professionnel. Nous avons donc mis en place une messagerie instantanée sécurisée certifiée pour les données de santé (en l’occurrence basée sur Talkspirit).
Les smartphones professionnels intègrent les outils de planification, de centralisation de l’information… avec un principe directeur : toute l’information doit être nativement numérique. En amont de la conclusion d’un contrat, nous avons aussi des outils d’évaluation de l’usager et de son domicile. A partir du ressenti de la situation par un usager, nous avons des outils prédictifs et de vigilance. Si c’est justifié, une alerte peut être déclenchée pour traiter une situation (par exemple un oubli manifeste d’un médicament).
Une tendance forte (dans la logique du Ségur Numérique) est une meilleure coordination des acteurs intervenant chez un même usager : aide à domicile, infirmier, médecin, etc. Des outils appropriés commencent à être développés au niveau régional et une réflexion nationale est en cours.
Enfin, nous avons créé un espace numérique salarié qui intègre le règlement intérieur, les notes de service, les congés, le lien vers le coffre-fort électronique avec les bulletins de paye… Auparavant, les aides à domicile devaient faire parfois des kilomètres pour aller juste chercher leur bulletin de salaire. De ce fait, nous avons une adhésion à 90 % du bulletin électronique. Quand on explique pourquoi et comment, le numérique marche et est adopté !
Etant acteurs de l’économie sociale, la RSE est-elle une priorité pour vous ?
Bien sûr et c’est même un pilier de notre stratégie. Nous en avons toujours fait. Simplement, aujourd’hui, nous posons un nom sur nos actions et nous communiquons autour. Nous avons une attention systématique sur nos achats et nos consommations : c’est un réflexe pour nous.
Nous avons aussi externalisé notre centre d’appels de niveau 1 à l’ANRH qui emploie du personnel en situation de handicap. Enfin, nous portons également une grande attention au bien-être de nos salariés.
Quels défis avez-vous à relever ?
Le Ségur Numérique a posé un cadre réglementaire que l’on doit appliquer. 50 % de nos moyens IT sont consacrés à cela, pour répondre aux exigences fonctionnelles, à celles en cybersécurité, etc.
Un autre défi est lié à la réforme sectorielle des services en autonomie avec la mise en place d’un point d’entrée unique pour coordonner tous les intervenants. Un outil de coordination est au coeur de cette réforme.
Nous avons un enjeu stratégique fort pour le recrutement. Pour optimiser notre processus, nous allons mettre en place un ATS (Applicant Tracking System) qui permet de suivre tout le processus et les candidatures. Nous sommes actuellement en consultation sur ce sujet et nous prévoyons un déploiement entre fin 2023 et 2024.
Une autre tendance est le développement de la télémédecine et, plus largement, de la télésanté. A terme, il est probable qu’il y aura des tablettes au domicile des usagers pour mieux les accompagner en 24/7, y compris avec de l’IA pour aider les usagers à distance en se basant sur notre capital de connaissance.
D’une manière générale, mieux capitaliser sur la data autant pour le reporting que pour la prise de décision est un axe des prochaines années.
Nous devons également mettre en œuvre de meilleures formations au numérique pour que les outils soient réellement et bien utilisés.
Enfin, nous lançons un chantier pour remplacer notre ERP Finances maison. Celui-ci est très résilient mais il est techniquement obsolète. Nous voulons couvrir toute la gestion (notamment la comptabilité, les achats…) avec un seul outil. Les financeurs apprécient de pouvoir tracer et contrôler les actions réalisées.
Podcast - Le Ségur Numérique, moteur de la digitalisation du médico-social
Jérôme Zoïs, DSI de l’Union Nationale de l’ADMR (94 000 salariés, 85 000 bénévoles, 2700 structures locales, 70 000 utilisateurs du SI), revient sur l’impact du Ségur Numérique. Ce nouveau cadre réglementaire donne de nouveaux droits aux usagers/patients, appelés à prendre en main leur santé au sens large, d’abord par un vecteur numérique. Mais ces nouveaux droits nécessitent que les structures du secteur médico-social s’adaptent et transmettent les informations requises via un dossier usager informatisé. Le Ségur Numérique est ainsi le moteur d’une digitalisation collaborative du secteur médico-social.
Sur le même sujet
- Chadi Mraghni (O2) : « la confiance permet l’agilité sur un projet complexe »
L’entreprise de services à la personne O2 compte sur la digitalisation de ses processus pour accroître son efficacité.