Décideurs it

Jean-Noël Olivier (Bordeaux) : « un numérique responsable est un numérique choisi, pas subi »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Directeur général au Numérique et au Système d’Information de Bordeaux (ville et métropole), Jean-Noël Olivier détaille ici sa stratégie. Green-IT, IT for Green, inclusion, logiciels libres… les approches sont systématiquement à la fois pragmatiques et engagées.

Jean-Noël Olivier est DG au Numérique et au Système d’Information de Bordeaux (ville et métropole). - © Bordeaux Métropole
Jean-Noël Olivier est DG au Numérique et au Système d’Information de Bordeaux (ville et métropole). - © Bordeaux Métropole

Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Bordeaux Métropole et votre fonction ?

Bordeaux Métropole comprend 28 communes avec Bordeaux en ville cœur. La règle y est la mutualisation à la carte. Ainsi, à ce jour, ce sont déjà 18 communes qui mutualisent le numérique (dont Bordeaux). Je suis donc Directeur général au Numérique et au Système d’Information pour Bordeaux Métropole, Bordeaux et 17 autres communes.

Le numérique est porté de façon globale, à ce titre je suis membre du Comité Exécutif. J’ai en charge bien évidemment l’IT interne mais aussi l’aménagement numérique du territoire, l’inclusion numérique, l’information géographique…

Toutes les données sont donc sous ma responsabilité, du producteur (géomètre et topographe) au consommateur : la préfiguration d’un jumeau numérique territorial.

Que représente l’IT aujourd’hui à Bordeaux Métropole ?

Nous fournissons des services à 19 000 utilisateurs pour 800 000 habitants, sans oublier les personnes qui ne font que passer. Evidemment, nous avons un important Legacy issu de l’héritage de 18 DSI communales. Nous avons dénombré 1600 applications métiers sur le territoire dont 250 pour la ville de Bordeaux et 200 à la Métropole ! Nous travaillons évidemment sur un objectif de convergence.

Cette IT sert tous les métiers, de la billettique des transports en commun à la vidéoprotection de la voie publique en passant par la gestion des musées, des piscines et des cimetières sans oublier le pilotage d’un pont levant et 290 écoles maternelles ou primaires ! Nous couvrons environ 400 métiers, parfois de façon partenariale comme avec l’Education Nationale sur la refonte de l’IT des écoles.

Sur le plan des infrastructures, nous avons fait le choix de mutualiser les datacenters. Nous disposons de plusieurs salles sur l’agglomération aménagées en cloud hybride, avec débord sur le cloud public. Mais nous avons beaucoup travaillé sur la réversibilité : le Cloud public n’est pas interdit à l’exclusive condition d’en garder la maîtrise. Nous avons aussi quelques SaaS.

Le Green-IT est-il une priorité ?

De façon globale, le projet de mutualisation est aussi un projet de consolidation. La promesse, c’est 30 % de gain d’énergie sur la consolidation et 30 % supplémentaires avec le cloud hybride. Nous mesurerons le moment venu si la promesse a été respectée. Nous n’avons donc évidemment aucun dogme d’arrêt du numérique mais, à l’inverse, nous ne voulons pas de technologie pour la technologie.

De manière plus générale, nous avons une démarche très volontariste avec des critères forts lors des appels d’offre et sur l’ensemble des achats IT. Depuis deux ans, nous avons mis en place une démarche de numérique responsable, c’est à dire de numérique choisi, pas subi. Nous sommes conscients de l’importance du numérique mais nous voulons déployer des technologies utiles. L’impact du déploiement d’une technologie doit être justifié par le service rendu. Et si le service attendu n’est pas au rendez-vous, il faut savoir débrancher. Grâce à une start-up nantaise, nous évaluons d’ailleurs en temps réel l’impact de nos équipements et services.

D’ici quelques années, nous avons l’ambition d’être un territoire neutre en carbone.

L’IT peut aussi être un acteur d’éco-responsabilité avec la dématérialisation mais celle-ci a été critiquée pour son aspect discriminatoire par l’ancien Défenseur des Droits Jacques Toubon. Quelle est votre approche ?

Aujourd’hui, notre approche est de faire attention à ne jamais laisser quelqu’un sur le côté. Notre approche est inclusive : il y aura toujours une alternative au numérique pour nos concitoyens. Et, le cas échéant, il y a 48 conseillers numériques installés dans la métropole dans le cadre de France Relance pour accompagner les citoyens dans leur usage du numérique.

Il faut se méfier des idées préconçues. La « fracture numérique » n’est pas forcément uniquement là où on le croit trop souvent. Certes, les personnes âgées ont souvent des difficultés. Mais il y a des jeunes qui jouent sur console des heures chaque jour tout en ayant une vraie phobie de la e-administration ou peuvant être perdus pour réaliser une déclaration fiscale en ligne. C’est pourquoi nous impliquons davantage le citoyen dans la conception des services et nous allons renforcer le développement de services simples accessibles sur smartphones.

Et, donc, pratiquez-vous l’IT for Green ?

Nous avons une mobilisation transverse autour de la donnée pour apporter une compréhension du territoire et un accompagnement de la décision politique. Il faut savoir que les métropoles manipulent beaucoup de données mais celles-ci sont souvent trop silotées pour exprimer toute leur valeur.

Pour prendre un exemple, nous avons en ce moment une expérimentation autour des îlots de chaleur en été. Nous associons les capteurs (IoT), le ressenti des passants, etc. pour savoir où planter des arbres. Nous mettons donc un outil numérique à la disposition des métiers.

Nous menons également une autre réflexion autour de notre patrimoine bâti pour en optimiser les consommations et les pertes énergétiques dans le cadre du Décret Tertiaire.

Je vais terminer avec un troisième exemple significatif. Nous disposons de données pour optimiser les transports et favoriser les mobilités douces en combinant transports en commun, vélos, trottinettes… Il faut évidemment mettre le numérique au service de cette transition. Le numérique doit apporter de la valeur pour limiter notre empreinte environnementale et la data permet, en la matière, de mieux comprendre pour mieux décider.

Avez-vous une politique favorable au logiciel libre ?

En la matière, j’ai l’impression qu’on se trompe souvent de combat. Surtout que « logiciel libre » ou « open-source » deviennent des labels que certains éditeurs ou prestataires brandissent en étendards mais en s’éloignant du principe de base qu’est la création de communs numériques en collaboration avec une communauté. Pour nous, les deux clés majeures sont la résilience IT et la réversibilité.

La politique de Bordeaux est de développer des communs numériques en les mettant à disposition d’autres. Je viens d’ailleurs de créer une direction des communs numériques. Notre priorité est l’interopérabilité et la normalisation des échanges : nous devons fédérer des communautés sur cela. L’objectif est de pouvoir changer notre IT brique par brique, sans aucune dépendance vis-à-vis de quiconque.

Le combat n’est pas sur la bureautique mais sur l’IoT, sur les services numériques, sur la baisse de l’impact de services apportés par des tiers… Par exemple, dois-je laisser Google Waze gérer la circulation sur mon territoire ? Il est plus important de lutter pour l’ouverture des données que pour la bureautique. Et, surtout, l’important est de ne pas être dépendant de quelques fournisseurs, d’où l’importance clé de l’interopérabilité.

Une fois que celle-ci sera acquise, on pourra, sans surcoût, basculer sur des communs numériques.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, bien sûr que c’est un sujet ! Nous sommes une grosse entité et un gros donneur d’ordres.

Il faut se souvenir qu’il y a deux fois moins d’ingénieurs formés que des besoins prévus de ce type de profils. Le marché est concurrentiel, avec une inflation des salaires. Et le marché est volatile : avant, les gens venaient faire toute leur carrière, toute leur vie, dans la fonction publique. Ce n’est plus le cas.

Nous avons une politique volontariste en faveur de l’apprentissage avec une vingtaine d’apprentis à la direction générale du numérique. Nous devons nous mettre en capacité de faire évoluer notre système d’information avec des compétences sur notre territoire afin de garder la maîtrise de notre IT. C’est la condition nécessaire de notre résilience et de la continuité de nos services malgré des talents de plus en plus rares et disputés.

Quels sont vos prochains défis ?

Notre avons un plan stratégique qui repose sur un principe, la résilience des territoires, et quatre leviers de changement.

Tout d’abord, la simplification des services numériques pour les citoyens, les entreprises et, en interne, nos agents. Les applicatifs doivent être sans couture et nous devons sortir du mille-feuille applicatif.

Le deuxième, c’est la data et la capacité à en libérer le potentiel au service de la compréhension des territoires et de l’éclairage de la décision politique.

Bien entendu, il y a la responsabilité numérique. Il nous faut être en capacité de maîtriser les impacts pour avoir un numérique utile et inclusif.

Enfin, le dernier levier est l’ouverture et la collaboration. Nous voulons être en capacité de créer des communs numériques, de favoriser l’émergence de services numériques en garantissant l’indépendance et la souveraineté de nos collectivités. Nous participons ainsi à de nombreux travaux européens, notamment sur la normalisation de la smart-city. Il nous faut absolument réduire notre dépendance aux fournisseurs pour éviter d’être coincé cinq ou dix ans avec chacun.

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