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Jean Laborde (FNAC Darty) : « la data, c’est formidable, mais il faut en tirer la valeur business »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Directeur digital de FNAC Darty, Jean Laborde a une approche à la fois métier et IT, notamment pour le e-commerce. Il détaille ici ses convictions et ses réalisations.

Jean Laborde est directeur digital de FNAC Darty. - © Républik IT / B.L.
Jean Laborde est directeur digital de FNAC Darty. - © Républik IT / B.L.

Quelle est aujourd’hui la situation de FNAC Darty, plus de cinq ans après la fusion ?

En effet, la fusion entre la FNAC et Darty a été annoncée à l’été 2016 et la nouvelle organisation a été mise en place en 2018. Un seul lieu abrite aujourd’hui les sièges unifiés des deux enseignes. Nous avons donc deux enseignes, un groupe, une organisation centrale unique. Toutes les directions fonctionnelles (IT, achats, logistique, etc.) sont au service des deux enseignes.

Le groupe est présent dans cinq pays (France, Espagne, Portugal, Belgique, Suisse) avec 25 000 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 7,9 milliards d’euros.

Vous n’êtes pas DSI mais directeur digital. Quelle est la différence ?

Je suis hybride, à la fois business et IT. Je suis rattaché à Olivier Theulle avec mes collègues en charge d’une part des SI marchandises et corporate, d’autre part de la production et des infrastructures (bureautique, datacenters, réseau…). Je suis en charge des plates-formes e-commerce, du CRM, de la data et des systèmes de vente. Pour le e-commerce, je dois à la fois le gérer et le développer mais aussi construire et faire fonctionner les plates-formes techniques.

Quand le directeur du commerce discute avec les différents canaux, il le fait avec les directions des magasins et avec moi pour le e-commerce. La politique de prix est transverse, omnicanale, donc je n’y contribue pas : on ne peut pas proposer des prix différents dans les magasins et en ligne. C’est la même chose pour l’animation commerciale (promotions…).

Le groupe a la volonté de faire croître considérablement le chiffre d’affaires du e-commerce. Aujourd’hui, nous réalisons 26 % du chiffre d’affaires et 40 % des flux en e-commerce, l’objectif étant de passer, respectivement, à 30 % et 50 %.

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture IT ?

Nos infrastructures sont essentiellement dans nos propres datacenters infogérés, notamment par Kyndryl et Atos. Et le coeur de notre système d’information a été réalisé sur mesure. Nous estimons en effet que les solutions du marché arrivent trop tard, après nos besoins. Par exemple, notre market place date de 2008, dix ans avant le boum. Notre approche omnicanale date, elle, de 2012 avec les mêmes produits gérés identiquement sur tous les canaux. Trop longtemps, les magasins ont vu le e-commerce comme un concurrent mais cela change.

Sur le plan technologique, Darty est plutôt Java et open-source tandis que la FNAC est plutôt .Net/SQL Server. FNAC et Darty ont deux SI différents même s’il y a quelques convergences groupe comme la supply-chain. Petit à petit, nous faisons converger les process et les briques applicatives (comme la monétique magasins ou le paiement e-commerce).

Nous évoluons certes progressivement vers le Cloud mais sans nous emballer. Dans les infrastructures on premise, la limitation ennuyeuse, c’est le manque d’élasticité instantanée. Mais les pics majeurs (avec le caricatural Black Friday notamment) pose des problèmes majeurs à toutes les directions (logistique, commerce…), pas seulement l’IT. Une triplement d’activité, nous savons gérer. Un décuplement comme avec le Black Friday, moins. Même Amazon a du mal à gérer. C’est pourquoi tout le monde essaie de lisser davantage sur une semaine à quinze jours avec des garanties de prix.

L’un des apports du cloud public est la cybersécurité. Comment gérez-vous ce point ?

Depuis 2018, nous avons un plan stratégique de cybersécurité avec un triplement du budget. La cybersécurité, confiée à Jean-Luc Cerdan, est rattachée à la gouvernance générale sous la responsabilité d’Olivier Theulle. Bien entendu, nous avons tous les outils classiques et nous disposons d’un SOC.

Etant à la fois IT et business, la résilience est clairement votre sujet…

C’est bien entendu un sujet central. Nos datacenters sont évidemment totalement redondés. En magasins, en dehors de la monétique, le fonctionnement peut être totalement déconnecté. Chez Darty, comme les flux sont moins importants, la monétique peut fonctionner avec des boîtiers 4G mais c’est trop compliqué pour la FNAC. Nous avons bien sûr opté pour une logique multi-opérateurs et nous essayons d’avoir un double accès fibre sur tous nos magasins, les plus importants disposant d’un SD-Wan. En cas de très gros problème, nous sommes capables de déployer à J+1 des boîtiers 4G en magasins.

Quelle est votre approche de la data ?

Mon rôle est aussi de structurer la plate-forme data du groupe. Pour tirer parti des nouvelles technologies (comme l’IA) et bénéficier d’une grande scalabilité, nous hébergeons nos données dans le Cloud public. L’an dernier, nous avons migré notre datawarehouse chez Google Cloud Platform avec Teradata Vantage afin de conserver ce qui avait été créé sur la version on premise de Teradata. Nous exploitons les données avec Big Query. Le reporting Legacy est toujours sur Microstrategy mais nous utilisons de plus en plus Google Studio et il a aussi un peu de Qlik, de Tableau, etc. De même, nous sommes en train de migrer notre datalake Hadoop/MapR sous Big Query.

Nous utilisons aussi Tableau pour notre offre Data as a Business MyRetailLink. Notre régie publicitaire propose bien sûr de la publicité sur nos sites web comme en magasin (PLV, écrans digitaux…). Mais elle commercialise aussi la data en tant que telle, en Data as a Business. Les entreprises qui distribuent leurs produits dans nos enseignes peuvent acquérir en self service des données sur leurs ventes par magasin et lancer des campagnes d’activation en fonction des données fournies puis mesurer l’efficacité des dites campagnes. La vente de données génère aujourd’hui un véritable chiffre d’affaires.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, bien sûr. Le contexte était compliqué jusqu’en 2022 avec de vraies difficultés de recrutement.

La Digital Factory est sous ma responsabilité et comprend 200 personnes en 20 squads à la fois pour les sites FNAC que Darty. Nous y mixons les salariés internes et les prestataires mais nous avons du mal à atteindre un taux suffisant d’internes pour garantir la conservation des connaissances et permettre les rotations des collaborateurs sur différents sujets.

J’ai cependant bon espoir d’un retour à la raison. Outre-Atlantique, 70 000 experts techniques ont été licenciés et l’atmosphère a changé. Chez nous, les levées de fonds ralentissent et les start-ups doivent serrer les boulons. A contre-cycle, nous devrions regagner en attractivité vis-à-vis des candidats. Même s’il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, nous voulons être plus offensifs pour renforcer nos équipes.

Côté féminisation, nous aimerions accroître la proportion de femmes dans nos effectifs techniques de développeurs. Côté products owners, il y a plus de femmes que d’hommes.

Quels sont les défis que vous devrez relever dans les prochains temps ?

Nous avons d’ores et déjà une forte automatisation avec 60 000 livraisons applicatives à la FNAC et 5000 chez Darty en 2022, avec entre 20 et 30 000 tests automatisés. Il faut tout de même que nous menions notre transformation et notre évolution vers le cloud mais au bon rythme. Darty doit être davantage modularisé. Notre SI est en grande partie en architecture micro-services mais il nous faut achever l’évolution. La bonne question à laquelle il faut répondre, c’est ce que nous pouvons attendre du Cloud. Même on premise, les nouvelles applications et les nouveaux modules sont en technologies cloud natives.

Même si le recours au cloud public coûte cher, nous devons achever l’hybridation du module de navigation de Fnac.com pour permettre de déborder sur le cloud en cas de besoin. Mon sujet, en fait, c’est de trouver le bon compromis entre le cloud public et le on premise. Mais personne ne parvient à nous convaincre que le cloud nous reviendra moins cher.

Ce que nous allons chercher dans le cloud, SaaS ou PaaS, c’est l’innovation mise au point par les hyperscalers. Mais il n’est pas question d’une bascule massive et rapide, même si je sais que, demain, tout s’y passera. Nous n’avons aucune volonté de lift and shift par exemple : nous n’avons pas de datacenters à fermer pour le justifier.

Cependant, pour la data, nous aurons achevé notre migration dans le cloud à la fin de l’été car nous avons besoin de fortes puissances de calcul (notamment pour l’IA) dont nous ne disposons pas on premise.

La data, justement, constitue un deuxième défi. Parce que la data, c’est formidable, mais il faut apprendre à en tirer de la valeur business. Il faut respecter l’ordre PPDA : People, Process, Data, Algorithms. Les algorithmes doivent avoir une utilité dans les process opérationnels.

Enfin, nous avons petit à petit à nous diriger vers un SI commun à toutes les enseignes. L’omnicanalité est une réalité depuis des années mais notre sujet, aujourd’hui, est le multi-enseigne. Par exemple, la carte de fidélité FNAC peut donner parfois des avantages chez Darty et la service DartyMax de réparation des produits vendus est aussi vendu par la FNAC. Mais le SI reste encore aujourd’hui très dual.

Podcast - FNAC Darty : quand l’omnicanal ne suffit plus

Directeur digital de FNAC Darty, Jean Laborde explique pourquoi l’omnicanalité n’est plus suffisante dans l’approche de ce groupe de distribution de produits culturels, techniques et électroménagers. Les clients ne se contentent en effet plus de parcours associant différents canaux mais aussi différentes enseignes. Les conséquences sont considérables.

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