Ishan Bhojwani (DINUM) : « plus de deux cents intrapreneurs ont créé des start-ups d’Etat »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
La nouvelle promotion de start-ups d’État va recevoir plus de 2,5 millions d’euros via le programme FAST sous l’égide de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique) pour soutenir les Politiques Prioritaires du Gouvernement. En tant que chef du département incubateur de services numériques de la DINUM, Ishan Bhojwani est le responsable de Beta.gouv.fr mais aussi des programmes Entrepreneurs d’Intérêt Général et Accélérateur d’Initiatives Citoyennes. Il nous explique ici les tenants et aboutissants des initiatives prises avec les start-ups d’État dans la foulée du colloque du 18 septembre 2023.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est exactement une « start-up d’Etat » ?
Une start-up d’État, c’est avant tout et essentiellement une équipe qui travaille selon des méthodes inspirées des start-ups et qui créé un service numérique pour répondre à un problème de politique publique. La réponse doit bien sûr avoir le plus d’impact concret possible.
La start-up d’État est organisée autour d’un agent public intrapreneur (conseiller Pôle Emploi, agent ministériel, enseignant, soignant…) qui connaît son métier et veut résoudre un problème en lien avec celui-ci. Il va être entouré d’experts (spécialistes du numérique issus de la DINUM comme des développeurs ou des designers, experts du déploiement…). Va s’adjoindre à la start-up elle-même un coach, externe à l’équipe, et qui est là pour aider l’équipe à prendre du recul sur le projet et à bien s’organiser. Il intervient seulement un jour de temps en temps. Le coach est souvent externe à la fonction publique même si nous cherchons à internaliser de plus en plus cette fonction en nous appuyant sur l’expérience acquise.
Le coach externe est en principe un ancien entrepreneur qui a envie de mettre à disposition d’une œuvre d’intérêt général ses compétences de lancement d’un service numérique en constituant une équipe, levant des fonds, préparant une feuille de route… Bref, il a l’expérience de ce que l’intrapreneur d’État va devoir faire. La « levée de fonds », cela correspond chez nous à aller chercher des financements et convaincre les comités d’investissement.
Budgétairement, comment fonctionne une start-up d’État ?
Une start-up d’État, je l’ai dit, est une équipe. Donc elle n’a pas de personnalité juridique propre. L’intrapreneur reçoit de sa hiérarchie une lettre de mission pour lui permettre de se consacrer à son projet à hauteur d’un certain nombre d’heures par semaine (en général au moins un mi-temps). Budgétairement, la start-up est portée par un incubateur, soit celui de la DINUM, soit celui d’un ministère. Il existe à ce jour 202 start-ups d’État et la DINUM ne peut évidemment pas toutes les porter.
Dans certains ministères, il y a ainsi une « Fabrique » qui va porter la start-up, pour commencer pour une période de six mois. La start-up présente ensuite ses résultats, ses impacts avérés, ses besoins pour continuer… devant un comité d’investissement présidé par un directeur général du ministère concerné. Là, c’est stop ou encore. Si c’est un échec ou si le projet n’est pas suffisamment prioritaire ou impactant, on stoppe. Sinon, on continue, on renforce voire on pérennise. En général, technologiquement, le produit de la start-up ne peut pas être directement intégré au SI pré-existant et donc, même pérennisé, va demeurer en tant que tel.
Qu’apporte le FAST ?
Le Fonds d’Accélération des Start-ups d’État et de Territoires est doté, selon les années, d’un budget autour de trois à quatre millions d’euros. L’équipe DINUM ne peut pas tout suivre et tout financer. Quelques pépites vont donc être accompagnées spécifiquement avec un soutien d’expertises de la DINUM (juridique, design…).
L’an dernier, par exemple, le FAST a soutenu Jeveuxaider.gouv.fr. Cette plate-forme de mises en relation entre des bénévoles volontaires et des associations s’est avéré très utile, notamment, pour gérer certaines crises. Avant Fast, le service était aux alentours de 300 mises en relations par jour, aujourd’hui aux environs de 700.
Concrètement, puisque nous parlons d’équipes composées d’agents publics déjà rémunérés, à quoi sert cet argent ?
Comptablement, l’argent est transféré au ministère concerné par la start-up. C’est une dotation budgétaire spécifique. De fait, les salaires de l’intrapreneur et de son équipe, les coûts de l’hébergement des serveurs, les locaux pour réunir l’équipe, etc. sont déjà pris en compte. Il s’agit donc bien de financer de la prestation externe, le plus souvent par des bons de commandes sur des marchés déjà négociés par les ministères. Aujourd’hui, nous avons des contrats de ce type plutôt avec des communautés de freelances, moins avec des ESN.
La règle absolue du FAST, c’est qu’il ne finance jamais plus de la moitié du coût d’un projet de start-up d’État. La base reste un financement par le ministère concerné. La DINUM ne se substitue en aucun cas au dit ministère.
Quel bilan peut-on dresser à ce programme de start-ups d’État ?
Sur Beta.gouv.fr/startups https://beta.gouv.fr/startups/ , nous donnons tous les chiffres en toute transparence. Ainsi, il y a 202 start-ups d’État existantes. 38 ont été pérennisées. 13 services sont en phase de transfert, ce qui signifie que le service, à présent disponible pour tous et mature, rejoint une structure propice à sa pérennisation définitive. 66 services sont en accélération et 85 en construction (création de l’équipe et premiers tests). Enfin, 37 problèmes sont dits « en investigation », c’est à dire que l’intrapreneur est accompagné pour comprendre un irritant ou un problème de politique publique et proposer une solution qui pourra, le cas échéant, impliquer la création d’une start-up d’État (ou pas).
Quand une start-up est un succès sur lequel s’accordent la DINUM et le ministère concerné et que nous constatons un impact significatif sur de nombreuses personnes, le respect de critères qualitatifs (par exemple l’accessibilité effective) et la disponibilité sur tout le territoire français, la DINUM peut attribuer à une start-up d’État un label « impact national ». Au 1er janvier 2023, 18 start-ups avaient ainsi été labellisées. Cette année, nous devrions en labelliser sept ou huit de plus.
Qu’implique, pour les start-ups d’État, le concept de « politique prioritaire du gouvernement » (PPG) ?
Le gouvernement a défini sept grands axes prioritaires durant le quinquennat : le plein emploi, la planification écologique, l’égalité des chances, la santé, la transformation publique et le renouveau démocratique, la sécurité publique et la souveraineté nationale. Ces sept axes se déclinent en une soixantaine de politiques prioritaires qui, elles-mêmes, donnent naissance à des chantiers. Par exemple, dans ces chantiers, on trouve le développement du covoiturage ou de l’apprentissage ainsi qu’aider à mesurer le calcul de l’empreinte carbone.
L’idée est de concentrer les moyens sur les chantiers correspondant aux PPG et en utilisant le numérique à cette fin. Pour recevoir un financement FAST, il faut désormais s’inscrire dans une PPG.
Par exemple, un agent de préfecture a eu l’idée, pour lutter contre l’artificialisation des sols et atteindre le fameux zéro artificialisation nette, de récupérer les données issues des relevés de l’IGN et de les mettre à disposition des collectivités locales. Mon Diagnostic Artificialisation a ainsi été utilisé à ce jour par 20 000 fois par des collectivités pour tester des projets d’aménagement et les mesures d’accompagnement. L’outil permet de visualiser l’évolution de la consommation d’espace depuis dix ans et de réaliser une cartographie de l’artificialisation, de la renaturation de friches ou de vérifier si on peut utiliser une friche déjà artificialisée pour mener le projet.
Quelles sont les prochaines étapes et défis à relever ?
Dans notre colloque du 18 septembre, nous avons annoncé les lauréats de la nouvelle session FAST. Il faut maintenant que les start-ups répondent aux attentes.
Puisque nous parlons de start-ups d’État, il faut bien admettre que les intrapreneurs sont amenés à faire un métier un peu différent de celui auquel ils pensaient en devenant agents publics. La DINUM a donc voulu, en quelque sorte, reconnaître cette nouvelle compétence acquise. Comme nous sommes organisme certificateur, nous avons créé la certification « concevoir un service numérique ». Nous avons déjà certifié cinq premiers agents.
Notre grand défi reste tous les chantiers où nous n’avons pas trouvé d’intrapreneur pour créer une start-up d’Etat.
Nous avons, en partie pour résoudre ce problème, fait évoluer le programme des Entrepreneurs d’Intérêt Général pour leur permettre de devenir ces experts qui nous manquent en création de start-ups d’État. Leur engagement prend la forme d’un contrat de projet qui peut durer jusqu’à six ans. Il est probable que certains (tous ne le désirent pas) obtiennent un CDI de droit public. Notre but, en la matière, est d’internaliser l’expertise.
Podcast - C’est quoi une start-up d’État ?
Ishan Bhojwani, chef du département incubateur de services numériques de la DINUM, explique ici ce qu’est une start-up d’État, comment elle est constituée et financée. Une start-up d’État est avant tout une équipe constituée autour d’un intrapreneur fonctionnaire pour répondre à un problème rencontré par un service public. Le financement est porté par un incubateur d’État. Selon les résultats, la start-up est pérennisée ou non.
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