Elisabeth Humbert-Bottin (GIP-MDS) : « le numérique, ce n’est pas magique »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Le GIP-MDS simplifie les déclarations sociales des entreprises depuis l’an 2000 et a mis en œuvre la DSN. Elisabeth Humbert-Bottin, son directeur général, revient ici sur ce que la DSN (Déclaration Sociale Nominative) a changé : la donnée de paye est désormais une référence fiable et unique.
Pouvez-vous nous présenter le GIP MDS (Groupement d’Intérêt Public Modernisation des Déclarations Sociales) ?
Le GIP-MDS a été créé en 2000 sous l’impulsion du Medef, qui voulait simplifier la vie des entreprises, et à l’initiative de la Direction de la Sécurité Sociale au Ministère des Affaires Sociales, pour mettre en œuvre le portail unifié de déclarations sociales dématérialisées Net-Entreprises. Lorsque l’idée d’un portail unique a émergé, elle a un peu bousculé les projets des organismes qui pensaient développer chacun le leur.
Pour aller à l’essentiel de notre histoire, notons qu’en 2004 a été ajouté une passerelle avec impots.gouv.fr. En 2005 est arrivée la DADS-U, une déclaration sociale unifiée. Les entreprises ont apprécié et la dématérialisation a bondi en quelques mois de 10 % à 60 % des déclarations pour atteindre 1,2 millions de télédéclarations par mois. Au fil des années, la DADS-U a couvert le périmètre d’un nombre croissant de déclarations mais c’était une pure norme technique de transmission, pas une norme sémantique. Les déclarations destinées aux uns et aux autres étaient donc juxtaposées avec, parfois, la même information répétée plusieurs fois selon le destinataire de la section concernée.
C’est ainsi qu’est arrivée, en 2010, l’idée d’une norme sémantique unique, la future DSN (Déclaration Sociale Nominative). Celle-ci est rentrée dans la Loi avec la loi de simplification des démarches administratives de 2012. Les entreprises volontaires ont testé la DSN dès 2013. En 2014, nous avons ouvert la possibilité d’une transmission par EDI/API au lieu du simple dépôt d’un fichier à plat. Et la première DSN obligatoire est apparue en 2015. En 2017 a été achevée la généralisation au secteur privé à peu près en même temps que nous créions une identité numérique unique pour les entreprises et que nous ajoutions à la DSN le système PasRAu (Passage des Revenus Autres) pour les revenus différents des salaires. De 2018 à 2022, la DSN a été progressivement généralisée dans le secteur public. Elle couvre désormais 70 déclarations. En 2018, nous avons également mis en place deux choses : le portail d’information des salariés MesDroitsSociaux.gouv.fr et le retour automatisé des accusés de réception à l’attention des logiciels de paie. En 2019 ont été ajoutés le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et, dans le retour d’information, le taux d’imposition personnalisée.
A ce jour, où en est-on avec la DSN ?
A ce jour, ce sont 70 procédures qui sont unifiées dans la DSN. Le périmètre des entreprises privées est entièrement couvert. C’est aussi le cas dans la fonction publique. Il ne reste qe quelques très rares exceptions liées à des régimes très spécifiques comme celui, par exemple, de l’Opéra de Paris ainsi que le cas des particuliers employeurs. Mais, dans ce dernier cas, les procédures sont déjà unifiées et dématérialisées avec le CESU (chèque emploi-service universel).
Toutes les procédures ne sont pas incluses dans la DSN. Par exemple, la déclaration d’activité partielle (chômage technique, NDLR) est hebdomadaire et ne peut pas être incluse en l’état dans la DSN mensuelle.
En quoi la DSN a-t-elle été une révolution ?
Il s’agissait de sortir d’une logique où chaque organisme de sécurité sociale décidait de sa propre norme qu’il imposait aux entreprises. Avec la DSN, nous partons de la paie et tous les organismes doivent s’adapter à cette source unique de données. Le cas échéant, l’organisme doit désormais calculer certaines données à partir des données élémentaires de la paie au lieu d’attendre que l’entreprise fournisse ce qu’il veut. En soit, ce changement constituait une révolution culturelle.
Certains organismes ont parfois tendance à revenir à leurs propres normes, pour des besoins internes, des évolutions réglementaires ou parce que les acteurs changent sans maîtriser l’historique. Il faut être vigilant et les accompagner pour résister à ces tentations d’inflation de la norme.
Du coup, comme vous partez désormais de la paye, la qualité des données transmises s’est-elle améliorée ?
Le problème, pour vous répondre, est que la qualité n’était pas vraiment mesurée auparavant… On peut estimer que 50 à 70 % des déclarations initiales étaient de bonne qualité et il y avait donc des rectificatifs ultérieurs.
Aujourd’hui, la qualité est avérée dans plus de 95 % des cas.
D’un point de vue IT, qu’implique la DSN ?
Le système de collecte des DSN a toujours très bien fonctionné sans gros bug. Il est évidemment surveillé comme du lait sur le feu tant les enjeux sont considérables. Nous traitons en effet, chaque mois, 30 millions de lignes provenant de 2,3 millions de transmetteurs pour la seule DSN. Pour PasRAu, il n’y a que 5000 transmetteurs mais 70 millions de lignes.
Nous avons un système très élaboré de supervision.
Nous tentons de prévenir les déposants si le système est au ralenti afin d’éviter qu’une absence d’accusé de réception entraîne des dépôts multiples qui accroîtraient d’autant le problème.
Pour les entreprises, quel est votre apport de valeur ?
Les résultats de l’enquête de satisfaction sont toujours très positifs. Nous simplifions grandement la vie quotidienne des entreprises. Mais nous pourrions aussi leur restituer de la valeur et c’est un point qui apparaît dans notre nouvelle feuille de route. Par exemple, à partir des données que nous collectons, nous pourrions fournir des indicateurs pour que les entreprises se comparent aux autres d’un même secteur ou d’une même zone géographique. Nous avons des groupes de travail qui réfléchissent actuellement sur ce qui pourrait se faire.
Mais, comme la DSN marche bien, tout le monde a tendance à tout demander à la DSN… Aujourd’hui, quand une réforme apparaît, il suffit de modifier un seul système alors qu’avant il fallait ajuster un nombre important de systèmes.
Le passage à la DSN n’a pas toujours été de tout repos dans les entreprises. Quelles leçons peut-on tirer de ce chantier sur la question de la qualité des données ?
Avant, la paie et les déclarations sociales étaient traitées différemment. Celui qui effectuait les déclarations sociales se débrouillait pour que « ça passe » en retraitant des données issues de la paie.
Mais, à partir du moment où l’on part directement de la paie, celle-ci doit être de la qualité nécessaire en amont, y compris au niveau des nomenclatures à utiliser (par exemple, la typologie de contrats : CDD, CDI…). Les entreprises ont donc dû travailler sur la qualité et les systèmes de paie sont devenus des références de données fiables.
Mais, du coup, pour nous, il faut savoir rester dans la logique de la paie.
Nous avons ainsi connu un échec : l’intégration de la CVAE (Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises) à la DSN. En effet, celle-ci implique de répartir les sommes collectées avec une répartition « consensuelle » entre les communes autour du site d’implantation qui obligeait donc à ajouter une information n’ayant aucun sens sur la paie. Seule la commune de l’établissement de rattachement est en effet celle indiquée dans la paie.
Quelles leçons tirez-vous, d’un point de vue méthodologique, du chantier de convergence qui a été mené entre tous les organismes de sécurité sociale ?
La méthode, c’est qu’il faut de la méthode !
Dès lors que l’on a décidé que la référence serait la paie, il ne faut jamais lâcher le principe. Or, de nouveaux acteurs qui ne sont pas toujours au fait de l’exigence de la norme, au sein des organismes ou des services de l’Etat ont parfois tendance à vouloir répondre à leurs besoins sans tenir compte de la réalité des données traitées.
Au moment du chantier DSN, nous avons ainsi recensé les données collectées par chaque organisme et nous les avons interrogés sur l’intérêt de la collecte de chaque donnée, sur l’objectif de celle-ci. Parfois, nous avons pu faire le ménage : certaines données n’étaient collectées qu’à des fins de statistiques qui n’avaient plus de sens, d’autres étaient collectées sans que plus personne ne se souvienne dans quel but… Et les organismes ont ainsi accepté l’idée d’effectuer les calculs à partir de données initiales élémentaires de paie au lieu de demander aux entreprises d’effectuer ces calculs.
L’accompagnement et la pédagogie vis-à-vis de nos membres font partie de notre méthodologie. Et comme les acteurs changent, nous devons être dans une démarche continue de pédagogie.
Maintenant que le déploiement de la DSN est achevé, quelles sont les prochaines étapes et vos enjeux du moment ?
Le coût du « run » a d’ores et déjà dépassé le coût du « build », preuve que, effectivement, la solution entre en maturité. Mais les enjeux sont énormes et il nous faut toujours continuer de garantir un parfait fonctionnement.
Nous avons aussi à poursuivre l’extension de la DSN et y intégrer encore d’autres démarches en normalisant les déclarations à partir des données de la paie.
De même, nous devons continuer à former et informer sur ce qu’est la DSN et ce qu’elle n’est pas, notamment pour éviter les dérives et garantir la fiabilité des données. Il faut que chacun comprenne bien que le numérique, ce n’est pas magique. La vraie data, c’est la donnée au sens sémantique, ce qu’elle signifie réellement. On ne peut pas dériver sur le sens des données.
Le numérique doit, enfin, permettre de rester dans une empreinte carbone raisonnable. Si nos applications sont gourmandes avec deux millions d’utilisateurs, ça n’ira pas ! Et, sur la partie sociétale, il nous faut publier des indicateurs qui permettront de progresser, comment les différences de salaires entre hommes et femmes par exemple.
Elisabeth Humbert-Bottin (GIP-MDS) : « la première valeur de la DSN est la simplification »
La DSN (Déclaration Sociale Nominative) a forcé les entreprises à disposer de données de paye fiables et respectant les nomenclatures standardisées. Tout ce travail sur la qualité de la donnée a profondément changé les choses dans les entreprises mais aussi côté organismes sociaux. Cela ne s’est pas fait sans mal, mais en apportant de vraies simplifications. Un chantier demeure : comment les données collectées peuvent-elles à présent apporter aux entreprises de la valeur ajoutée ?
Sur le même sujet
- Jean-Baptiste Courouble (URSSAF-CN) : « nous associerons les expertises pour mutualiser un cloud »