Bernard Giry (Région Ile-de-France) : « pour les digitaliser, nous révisons toutes nos procédures »
Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance
Directeur général adjoint à la transformation numérique de la Région Île-de-France, Bernard Giry détaille ici sa stratégie. Ses compétences couvrent l’IT, le numérique, l’innovation et la data. Parmi les grands chantiers en cours, le numérique dans les lycées est particulièrement important. Mais la transformation numérique de la région va nettement plus loin, notamment pour tirer partie des opportunités offertes par le partage de données et les API publiques.
Pouvez-vous nous présenter la Région Ile-de-France en tant que collectivité territoriale ?
Notre région comprend douze millions d’habitants et notre collectivité s’appuie sur 10 500 agents dont 2000 dans notre siège de Saint-Ouen, surtout en soutien des politiques publiques, le solde essentiellement dans les lycées (cantines, services techniques…). Notre budget est de cinq milliards d’euros par an, environ 20 % étant consacrés aux lycées.
Nos principales compétences sont les lycées, la formation professionnelle (nous formons 120 000 demandeurs d’emplois par an), les transports et le développement économique. Nous avons une activité de soutien à la recherche. Enfin, la Région réalise le schéma directeur de la région d’Ile-de-France (SDRIF), une sorte de plan d’occupation des sols au niveau régional et qui sera ensuite décliné par chaque commune.
Même si les transports sont dans les compétences d’une région, Ile-de-France Mobilités est un établissement séparé, contrairement à ce que l’on peut constater dans d’autres régions. La présidente d’Ile-de-France Mobilités est cependant la présidente de la Région Ile-de-France.
En tant que directeur général adjoint à la transformation numérique de la Région Île-de-France, quel est votre périmètre ?
Cette direction générale adjointe a été créée en janvier 2022. Elle couvre trois grands domaines.
La premier, c’est évidemment la DSI. Celle-ci s’occupe des infrastructures, du réseau, de la bureautique, des applicatifs métiers… pour la région elle-même.
Ensuite, il y a tout ce qui relève du numérique et de l’innovation pour les lycées et la formation professionnelle. Cela comprend notamment les infrastructures des lycées, l’équipement des élèves, les applicatifs en lien avec les usagers (bourses, cantines, inscriptions, suivi des demandeurs d’emploi…).
Enfin, nous avons un important domaine data : décisionnel, open-data, SIG, IA… et RGPD. Le DPO me rapporte (auparavant, il relevait de la direction juridique).
La cybersécurité est un sujet transverse dans son pilotage même si le RSSI lui-même est rattaché au DSI.
Quelles sont les grands choix guidant votre architecture ?
Nous avons deux grandes parties dans notre système d’information.
D’abord, concernant le siège. Nous avons un datacenter public régional hébergé par le GIP Val d’Oise Numérique avec le soutien d’un partenaire, Euclid, qui gère ce datacenter. Au moment où le GIP s’est constitué, il se trouve que nous cherchions un hébergement pour notre datacenter et la région a donc été le premier client du GIP. Aujourd’hui, Val d’Oise Numérique héberge aussi des serveurs de l’INSERM, d’universités, de villes, de départements… Le GIP propose autant de l’hébergement de baies que des services plus évolués. A côté de ce datacenter, nous recourons aussi au cloud d’Outscale lorsque nous avons besoin de l’élasticité du Cloud. Par exemple, nous y hébergeons Ile-de-France Smart Services (jumeau numérique et usine à services numériques).
Notre bureautique collaborative est, depuis quatre ans, sous Microsoft Office 365. Cette solution nous convient pour l’instant. Lors du déménagement du siège depuis le septième arrondissement de Paris vers Saint-Ouen, nous avons eu besoin d’un recours massif au télétravail, d’où ce choix. De ce fait, lors de la crise sanitaire Covid, nous étions prêts.
L’autre grande partie de notre système d’information concerne évidemment les lycées avec la plate-forme de services pour lycéens MonLycée.Net réalisée avec Worldline pour en garantir la sécurité. Le recours au cloud nous garantit l’élasticité nécessaire. La bureautique, pour les lycées, est au choix de chacun Microsoft Office on premise ou bien Libre Office.
Nous avons évidemment à faire des arbitrages entre les déploiements dans le cloud et ceux dans notre datacenter. Le datacenter nous apporte surtout de la résilience. Et en conserver un nous permet de conserver des compétences de gestion d’infrastructures en interne.
Nos efforts ne portent pas sur l’infrastructure ou la bureautique mais plutôt sur des applicatifs métiers importants comme le SIRH, le SI Finances (avec l’ERP Coriolis d’Atos sur lequel nous réfléchissons actuellement soit à un remplacement soit à une évolution)… Aujourd’hui, les gros sujets, ce sont avant tout la suppression de la dette technique et l’APIsation en profitant des API proposées par l’État.
Justement, quels sont les liens entre votre SI et les autres SI publics, notamment des services d’État ?
Notre ERP Coriolis est bien évidemment connecté aux systèmes de la DGFiP pour émettre, par exemple, nos mandats de paiement.
L’enjeu, aujourd’hui est de, à la fois, faciliter la vie de nos usagers (parents de lycéens…) et lutter contre la fraude, au travers du fameux « Dites-le nous une seule fois » : il s’agit de ne plus avoir sans cesse à fournir des justificatifs de situation. Grâce aux API fournies par la DGFiP, nous pouvons ainsi récupérer les quotients familiaux et ne pas demander aux familles de justifier de leurs revenus pour obtenir des aides, le bon tarif de cantine, etc. Nous sommes en excellents termes avec la DINUM pour profiter de toutes les API mises à disposition par l’État.
Nous gérons environ 400 procédures liées à des dispositifs d’aides, pour les particuliers, les entreprises et les associations. Nous sommes en train de revisiter toutes ces procédures pour les simplifier en obtenant un maximum d’informations via les API d’État. Nous voulons aussi proposer aux usagers un suivi en temps réel de leurs dossiers.
Tout cela implique d’urbaniser notre système d’information.
Constatez-vous, comme les entreprises privées, une inflation injustifiable de tarifs de la part de fournisseurs informatiques ? Quelle est votre réaction ?
Oui, nous faisons le même constat que tout le monde ! Microsoft Office 365, HP Aruba… à chaque fois, c’est +20 % ! L’euro a baissé par rapport au dollar et les éditeurs américains ont augmenté les prix. Les directions locales des éditeurs n’ont aucune autonomie de décision en la matière.
Même si 60 % de nos achats IT sont européens et même si, dans le secteur public, beaucoup d’éditeurs sont français, nous subissons de telles hausses durement sur nos budgets. Les éditeurs français aussi profitent de la situation pour augmenter leurs tarifs. Dans un cadre budgétaire contraint, la maîtrise des coûts est très difficile. Nous avons très peu de marges de manœuvre.
Notre réaction, c’est donc avant tout d’optimiser l’existant, de limiter les licences, de décommissionner ce que l’on peut. Nous apportons une plus grande attention, notamment, sur la gestion des licences en vérifiant que les seules les personnes ayant un besoin d’un produit aient une licence de celui-ci, notamment en supprimant les licences des partants.
Pour l’heure nous pouvons toujours arbitrer entre SaaS et on premise. Cela nous permet certaines optimisations. Mais, in fine, nous avons aussi dû accroître notre budget.
Quelle est la place du logiciel libre dans votre IT, ce qui peut constituer une réponse à une dépendance envers certains fournisseurs ?
Actuellement, cette place du logiciel libre est faible dans les services du siège.
Par contre, elle est forte dans les lycées. MonLycée.Net est basé sur des produits open-source.
Pour l’instant, nous n’avons pas de politique dirigée et volontariste en faveur du Logiciel Libre même si nous soutenons le pôle de compétitivité Systematic.
Vous avez déjà évoqué les évolutions de l’IT dans les lycées. Comme c’est la rentrée, pouvez-vous détailler ce qui est fait ?
La région gère 470 lycées pour le tiers des élèves du secondaire en France. Nous menons une vraie transformation numérique à leur profit.
La première étape, cela a été de leur fournir une vraie infrastructure. En 2016, seulement 29 % des lycées (dont 100 % des lycées parisiens, donc peu ailleurs) étaient dotés d’un accès Internet très haut débit (THD). Il n’y avait évidemment pas de Wi-Fi. Aujourd’hui, 100 % des lycées sont équipés en THD et Wi-Fi avec un pilotage centralisé.
Deuxième pan : l’équipement individuel. Aujourd’hui, nous gérons un parc de 500 000 PC parce que nous avons voulu doter chaque lycéen d’un portable. Du coup, nos salles informatiques doivent évoluer puisque chacun a son propre terminal. Nous équipons également les 28 000 salles de classe d’outils numériques (tableaux interactifs…).
L’ENT MonLycée.Net est en train d’évoluer pour devenir une plate-forme de services. Nous tirons ainsi les conséquences de la crise sanitaire Covid. Elle intègre désormais un drive, une messagerie, etc. Et l’outil ProNote de Docaposte va y être intégré pour être généralisé dans tous les lycées de la région, avec pilotage centralisé. Bien entendu, nous avons de gros enjeux de sécurité et de disponibilité sur cette plate-forme.
Actuellement, nous travaillons sur la maintenance et le maintien en conditions opérationnelles de toute notre IT, dont les 5000 serveurs répartis dans les lycées. Nous voulons tous les administrer à distance, centralement. La démarche générale est, comme pour les élèves, de faire entrer chaque lycée sur une plate-forme de services centralisée. Bien sûr, le cloud a ici un intérêt évident pour la disponibilité et l’élasticité. Il faudra toujours disposer d’équipes pour intervenir sur le matériel (changer un switch…) mais la tendance est bien de virtualiser les serveurs de lycées dans le cloud puis, à terme, d’en faire de même pour les terminaux des élèves afin que chacun ne soit doté que d’un client léger géré centralement. Le but est de pouvoir intervenir rapidement et beaucoup plus facilement. Un marché est en cours sur ce point.
La prochaine phase, c’est donc de passer à une logique de salle informatique virtuelle, à distance et administrée centralement. Cependant, les lycées garderont des salles informatiques au sens physique mais dédiées à de l’enseignement professionnel sur des machines plus puissantes.
Vous avez la formation dans vos compétences régionales. Malgré tout, la guerre des talents est-elle un sujet ?
Complètement ! Le salaire est bien sûr l’un des problèmes. L’État commence à déplafonner, il y a la possibilité de recruter des contractuels mais start-ups et grands groupes passent souvent avant nous dans les recrutements. Nous essayons surtout d’être attractifs sur notre « coeur historique », en statut fonction publique, notamment avec les gros projets.
Nous mettons en avant l’intérêt de ces projets pour que les juniors puissent acquérir une vraie expérience.
Nous proposons aussi du télétravail avec deux jours par semaine et vingt jours flottants. La formation professionnelle permet aussi d’accompagner des jeunes. Et nous pouvons garantir une autonomie et des prises de responsabilité.
Du coup, quels sont vos défis actuels ?
J’en vois deux principaux.
D’abord, nous avons un défi sur le rythme de la transformation numérique avec d’un côté la pression politique, et, de l’autre, la pression sociale et la résistance au changement. J’assume que nous avons dû débuter lentement afin de bien gérer les contraintes et embarquer tout le monde pour permettre maintenant une accélération exponentielle de notre transformation numérique. Pour la data, par exemple, nous pensons aujourd’hui que le grand datalake où l’on met tout par défaut n’est plus pertinent. Nous menons des projets data avec les métiers qui le veulent.
Le deuxième défi n’est pas moindre. Il s’agit de travailler sur nos outils avant de les faire évoluer au bon rythme. Et, une fois que l’on a une belle feuille de route, il faut savoir saisir les opportunités et résister aux crises, y compris les crises de cybersécurité.
Sans que cela soit encore actuellement un véritable défi, il va falloir se poser la question de comment on peut bénéficier des avancées de l’IA dans le secteur public. Nous y avons réfléchi et nous avons trouvé huit cas d’usages réels. Nous avons passer des marchés d’innovation. Par exemples : guider les usagers dans les multiples aides disponibles, assister les équipes de MCO pour les aider dans leurs travaux et relations utilisateurs… Nous nous préoccupons aussi de conserver le patrimoine régional et nous travaillons avec la start-up Beewant qui nous fournit un moteur d’analyse d’images pour une sémantisation automatisée des images avec une recherche reposant sur un questionnement en langage naturel. Avec la start-up Fullsoon, nous travaillons à lutter contre le gaspillage alimentaire dans les cantines. Nous travaillons aussi sur un moteur de recherche d’actes administratifs.
Nous avançons, nous regardons ce qui marche ou pas et ce n’est qu’ensuite que nous fixerons notre doctrine.
Podcast - Vers la saison 2 de la transformation numérique des lycées franciliens
En tant que directeur général adjoint à la transformation numérique de la Région Île-de-France, Bernard Giry doit notamment s’occuper du numérique dans les lycées franciliens, environ le tiers des lycées en France. Le sujet est d’abord une question d’infrastructure mais l’applicatif, notamment l’ENT, est évidemment essentiel. Cet ENT accroît aujourd’hui ses fonctionnalités. Enfin, la « saison 2 » de la transformation numérique des lycées est celle du cloud et de la centralisation du maintien en conditions opérationnelles. Le niveau d’exigence en lycées est aujourd’hui similaire à celui des entreprises.