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Baladji Soussilane (Air Liquide) : « nous avons remis le numérique au centre du jeu »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

L’industriel Air Liquide a réorganisé son numérique en rapprochant IT, data et digital sans perdre une vision long terme au service de la stratégie de l’entreprise. Baladji Soussilane, vice-président Digital and IT Group d’Air Liquide, explique ici ses approches et sa stratégie. Cloud, IA, data, simplification du SI… Les projets ne manquent pas.

Baladji Soussilane est vice-président Digital and IT Group d’Air Liquide. - © Républik IT / B.L.
Baladji Soussilane est vice-président Digital and IT Group d’Air Liquide. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter ce qu’est Air Liquide aujourd’hui après plus de 120 années d’existence ?

Air Liquide est un leader mondial des gaz, technologies et services pour l’industrie et la santé. Nous produisons des petites molécules essentielles à la vie, la matière et l’énergie comme l’oxygène, l’azote, ou l’hydrogène, etc. Nous sommes, par nos activités, au centre de la décarbonation de l’industrie, notamment en proposant des modes d’énergie les plus décarbonés possibles.

Pour l’essentiel, nous fournissons nos gaz, technologies et solutions aussi bien à de petites, moyennes et grandes entreprises, mais aussi auprès des professionnels de santé (hôpitaux…). Toujours dans la Santé, nous assurons, sur ce marché, un service direct au patient. Nous leur fournissons notamment des services digitaux à forte valeur ajoutée, pour l’apnée du sommeil par exemple.

Avec 67 100 collaborateurs, notre Groupe est présent dans 73 pays et a réalisé un chiffre d’affaires de près de 30 milliards d’euros en 2022.

Comment s’organisent les fonctions liées au numérique ?

Depuis une dizaine d’années, Air Liquide a connu un important développement du numérique avec une forte place accordée à la data et au digital. Notre Groupe est, depuis toujours, tourné vers l’innovation. A mon arrivée, I’IT et le digital ont été réunis pour en accroître les synergies. En procédant ainsi, nous avons remis le numérique au centre du jeu et nous sommes rapprochés encore plus des métiers. Nous avons aussi renforcé notre collaboration avec la R&D du Groupe, en particulier sur l’innovation digitale et l’IA.

Nous avons établi une feuille de route claire, avec la Direction Générale et les métiers. Cette feuille de route est alignée avec le plan stratégique Advance du groupe. Ce dernier repose sur quatre piliers : réaliser une performance financière solide, décarboner la planète, contribuer au progrès par l’innovation technologique et agir pour tous. Le Digital et l’IT se mettent évidemment au service de ce plan.

La fonction numérique que je dirige regroupe : les infrastructures, les applications, le digital, les régions et le pilotage global. Une attention particulière est portée à la cybersécurité, dont je gère l’aspect opérationnel ; la politique sécurité et les tests sont rattachés à la Direction de l’audit et contrôle interne. Nous disposons de procédures et, en cas d’alerte de cybersécurité, nous avons chacun ainsi la marche à suivre. Et nous procédons à des tests réguliers.

Quels sont vos grands choix technologiques ?

Pour la messagerie et le collaboratif, nous avons fait le choix, il y a plusieurs années, de Google Workplace. C’était la solution la plus intéressante et la plus mature à l’époque de notre choix. Nous étions parmi les premiers à avoir une stratégie « cloud first ». Notre fonctionnement est raisonné. Plus de 70 % de notre SI est dans le cloud (principalement AWS), ce qui nous apporte de l’agilité, de la flexibilité, de l’innovation… Nous utilisons toujours le cloud pour ce qu’il peut apporter de plus. Il est tout à fait exclu de procéder à du “lift & shift” exclusif. Pour les un peu moins de 30 % restants, il s’agit d’un choix voulu, par exemple pour des applications en lien avec des données sensibles, que nous préférons traiter différemment.

Notre stratégie actuelle est de simplifier et d’harmoniser notre IT en accroissant la part du transversal, du mutualisé. Nous avons notamment un programme en cours pour réduire significativement le nombre d’ERP aujourd’hui trop nombreux. L’essentiel est sous SAP, mais nous avons aussi du Microsoft Dynamics 365 et un ERP maison pour quelques filiales, qui nous donne davantage d’agilité que les ERP du marché.

Quels sont vos grands projets ?

Le premier, c’est donc la refonte de nos ERP.

Le deuxième concerne l’IA et la data. En à peu près dix ans, nous avons développé une maturité globale autour de la data et formons 300 ingénieurs métiers et IT à la data science. Notre innovation digitale se nourrit du terrain, au plus proche de nos clients, et ce afin de développer les cas d’usage les plus pertinents. Un exemple typique, c’est l’optimisation de l’organisation des tournées de camions. Nos livraisons de gaz liquides représentent chaque jour l’équivalent de deux fois la distance terre-lune ! Avec nos systèmes de prévision de la demande et d’organisation des tournées, nous gagnerons 10 % de kilomètres à horizon 2025 ! Nous développons en interne ou en partenariat de l’loT pour obtenir de la data sur des températures, des niveaux de remplissage de citernes, etc. Nous utilisons aussi la data pour optimiser la maintenance des installations industrielles, le mix énergétique pour fabriquer ou livrer nos gaz… La combinaison data, IA et loT maximise la valeur que l’on peut tirer de chacune de ces technologies.

Aujourd’hui, le pilotage des usines s’effectue en partie à distance à partir de centres dédiés grâce au développement des usines 4.0. Nous avons une meilleure sécurité et fiabilité. Aucune décision n’est prise par l’ordinateur. Les options sont analysées et présentées, pour une action humaine exclusivement.

Nous avons huit centres de pilotage dans le monde mais toujours du personnel sur place, dans chaque usine, pour non seulement réaliser des gestes opérationnels mais aussi participer à la codécision avec le centre de pilotage.

Actuellement, tout le monde parle de l’IA générative mais, pour nous, la valeur sera maximisée en faisant collaborer IA classique et IAG. Il faut utiliser des données plus propres, avec des règles de gestion claires. Nous avons identifié des utilisateurs-clés pour nous aider à définir des cas d’usages et les bénéfices métiers apportés par ceux-ci. Nous prendrons le temps qu’il faut pour identifier ce qui est pertinent et quelle architecture technique il faut mettre en œuvre pour tirer de la valeur et trouver de l’efficience métier.

Encore une fois, notre approche est raisonnée, toujours pragmatique, et de long terme, sans précipitation. Nous nous assurons que le choix que nous allons faire est le bon. Nous ne suivons pas une mode.

Vu votre secteur d’activité, l’IT4Green et le Green-IT sont-ils des sujets pour vous ?

Oui, bien sûr. Ainsi, nos choix d’architecture et nos partenariats technologiques s’appuient sur de grands acteurs ayant une vraie volonté de décarbonation (par exemple dans la conception de leurs datacenters).

Au regard de nos activités, nous sommes un important consommateur d’énergie. Nous avons donc à optimiser notre mix énergétique pour le rendre le plus écologiquement responsable possible. Et cela suppose d’utiliser de la data, de l’IT, de l’IA…

Nous devons également connaître l’empreinte environnementale des molécules produites, ce qui implique de mesurer de bout en bout, à chaque étape de la production et de la distribution, cet impact. Parmi les solutions, une blockchain pourrait garantir une information fiable, authentifiée.

Dans nos préoccupations, il y a l’IA générative. L’utiliser peut impliquer d’enchaîner de nombreuses étapes et consommer beaucoup de ressources. Nous essayons, dans nos cas d’usages, d’ajuster au mieux cette consommation de ressources pour être le plus frugal possible.

D’une manière générale, on peut dire que la performance des usines, y compris la performance énergétique, repose sur la data. La RSE et la data font partie de l’ADN du Groupe.

Comme d’autres membres du Cigref, constatez-vous une inflation excessive sur l’IT ?

Oui, nous constatons exactement la même chose que les autres membres du Cigref, tant sur le cloud que dans les modèles licences et maintenance.

La majorité de nos systèmes sont sur le cloud voire en SaaS. Nous en tirons d’importants bénéfices (simplicité, flexibilité…). Il est vrai toutefois que c’est un travail constant de dialogue continu avec nos grands fournisseurs afin que nous nous comprenions mieux. Nous optons pour une stratégie de sourcing et de simplification de notre SI pour y faire face.

Bien entendu, connaître le spectre complet des offres des fournisseurs permet, là encore sur le long terme, de mieux négocier et de rééquilibrer les choses.

Pour nos ERP, nous avons trois produits : du Microsoft, du SAP et aussi du conçu maison. Nous ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier, tout en sachant qu’il faut aussi atteindre une certaine masse critique.

Donc, oui, les prix augmentent mais ce n’est pas une fatalité.

Autre sujet du moment : la guerre des talents. Etes-vous concernés par les difficultés de recrutement ?

Bien sûr, c’est un vrai sujet aussi pour nous. Mais nous sommes dans une DSI au centre du jeu, un axe de compétitivité du Groupe. Nos projets passionnants sont évidemment un facteur facilitant pour attirer et retenir nos talents. Notre taux de rétention est très honorable grâce à nos projets. Et notre culture d’entreprise, qui associe respect et inclusion, excellence, diversité et mobilité, est aussi un facilitateur. Chez nous, la mobilité n’est pas un vain mot : dès trois ans dans un poste, chacun peut se déclarer mobile. Et nous veillons toujours à la revalorisation et au développement des compétences.

Il faut bien reconnaître que les entreprises industrielles ne sont pas spontanément évoquées par les talents numériques qui cherchent un poste. Mais nous répondons à la recherche de quête de sens, par exemple sur l’optimisation de l’empreinte environnementale. Alors, nous avons parfois des départs, évidemment, mais nous sommes capables de recruter rapidement et les meilleurs.

Pour le digital et l’IT, nous cherchons avant tout des personnes à l’esprit « bien câblé » mais pas nécessairement sortant des plus grandes écoles. Nous cherchons l’agilité intellectuelle, l’adaptabilité, la passion et la capacité d’écoute. Et puis il peut y avoir des mouvements entre les différentes activités du groupe et l’IT/data, et dans le monde entier.

Quels sont vos défis actuels ?

Chaque grand programme (la data, la simplification des ERP…) est un défi !

Mais on pourrait résumer tout cela en un seul défi : continuer de faire d’Air Liquide un endroit où l’IT et le digital sont des “business enablers”, encore et toujours plus au service des métiers, et, in fine, de nos clients, patients et collaborateurs.

Podcast - Chez Air Liquide, le long terme s’associe à l’agilité du digital

Groupe industriel âgé de plus de 120 ans, Air Liquide est habitué à réfléchir sur le long terme. Comment associer cette philosophie avec le digital, dont l’agilité est une caractéristique fondamentale ? Baladji Soussilane, vice-président Digital and IT Group d’Air Liquide, l’explique ici.

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