Société Générale et Crédit du Nord : comment est né le réseau SG
Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage
Une fusion hors norme qui est aussi une fusion informatique : les deux réseaux bancaires français Société Générale et Crédit du Nord sont devenus SG.
Des réseaux bancaires qui refondent voire mutualisent leur informatique entre banques régionales, c’est déjà arrivé plusieurs fois en France, du Crédit Agricole à BPCE. La création du réseau SG par la fusion des deux réseaux Société Générale et Crédit du Nord (neuf banques régionales) se démarque cependant à plusieurs égards, même si la banque en ligne du groupe, Boursorama, reste en dehors du périmètre de l’opération. Cette fusion est non seulement une consolidation informatique mais aussi une évolution du SI de la Société Générale, base du système cible, et une consolidation simultanée des fonctions et du SI groupe pour les fonctions supports (comptabilité, SIRH…). Plus de deux millions de clients des neuf banques régionales du réseau Crédit du Nord ont basculé sur le SI cible en deux week-ends pour rejoindre les dix millions du réseau Société Générale, les clients pouvant être des particuliers, des professionnels ou des entreprises. Le 20 juin 2023, le groupe bancaire a présenté à la presse le bilan de la création du nouveau réseau bancaire, SG, décliné sous les marques régionales.
L’ensemble des neuf banques régionales du réseau Crédit du Nord utilisaient un SI commun, ce qui a simplifié les opérations de migration informatique. La fusion juridique des deux réseaux a été réalisée le 1er janvier 2023. Les bascules informatiques des clients du Crédit du Nord, elles, ont eu lieu sur deux week-ends : les 11-12 mars 2023 et les 13-14 mai 2023. 20 % de la clientèle Crédit du Nord, correspondant à quatre banques pilotes, ont migré sur le premier week-end, les cinq plus importantes (pour 80 % de la clientèle) sur le deuxième. Pour ces deux week-ends, 2000 collaborateurs étaient mobilisés sur le site des Dunes, à Fontenay-sous-Bois. Cette double-opération spectaculaire, ayant entraîné un arrêt des systèmes centraux des réseaux Société Générale / Crédit du Nord / SG du vendredi soir au lundi matin 6h, n’est cependant que la partie émergée de l’iceberg sur laquelle le groupe bancaire a énormément communiqué auprès de ses clients.
Un réseau bancaire unique avec des promesses fortes
En amont de cette double-opération, il y a en effet eu trente mois de préparation. Début 2021, les dates de bascule ont été arrêtées et, ensuite, un rétro-planning a été défini pour que tout se passe dans les temps. Le choix de faire la bascule à mi-mois visait à ne pas perturber les opérations sensibles de début et fin de mois (comme les virements de salaires). Et, en aval, des contrôles approfondis avec quelques corrections vont avoir lieu encore quelques temps. « Nous sortirons du mode projet seulement à la fin juin 2023 » a confirmé Bruno Delas, chief operating officer du Réseau SG France. L’opération de fusion informatique a été baptisée Yoga. Elle s’est décomposée en trois projets distincts : Yoga Conso (consolidation des bases clients sur un système unique), Yoga Cible (évolution du SI de la Société Générale pour créer le SI cible de SG) et Yoga Corporate (consolidation des systèmes centraux supports comme SIRH, comptabilité…).
L’évolution du SI cible est liée à l’évolution des processus métiers. Le réseau Crédit du Nord avait en effet des manières de faire sensiblement différentes de la Société Générale. Le nouveau réseau SG a comme promesse d’apporter le meilleur des deux anciens. Par exemples, les prises de décisions (obtention d’un crédit par exemple) vont être au plus près du terrain, les professionnels vont avoir un seul chargé de clientèle au lieu d’un pour leur métier et l’autre pour leur foyer, etc. Ces évolutions sont liés aux pratiques du Crédit du Nord. A l’inverse, la banque privée est en totalité logée dans une entité propre (comme à la Société Générale). A cela s’ajoutaient des produits bancaires ou assurantiels qui étaient propres au Crédit du Nord. La préparation du SI cible a donc consisté, d’une part, à ajouter les produits spécifiques au Crédit du Nord, d’autre part à mettre en place les nouveaux processus. Il fallait également implémenter l’existence des marques régionales, le nom « SG » se voyant complété par les noms des anciennes banques régionales du réseau Crédit du Nord, variables selon les zones géographiques.
Un gros travail technique à industrialiser
Ensuite, les données clients du système source du Crédit du Nord ont été extraites, converties au format cible et chargées dans le SI cible. Pour cela, le groupe bancaire s’est appuyé sur l’usine de migration de données mise à disposition par Capgemini. Les premières données migrées étaient celles du coeur bancaire auxquelles, ensuite, ont été raccrochées les données des systèmes périphériques. Bien évidemment, les migrations ont été plusieurs fois testées sur des systèmes « à blanc », totalement déconnectés du système bancaire et de l’inter-bancaire afin de pouvoir faire tous les tests nécessaires sans conséquences. Bruno Delas a relevé : « il y avait 50 000 tâches à réaliser par 2000 personnes en 48 heures ». Les premiers tests nécessitaient cinq jours. Après les optimisations indispensables pour rentrer dans un week-end, une bascule a réussi pour la première fois dans les temps impartis en novembre 2022.
La première étape, le vendredi soir, consistait à mettre en cache toutes les transactions qui allaient arriver durant le week-end. « Nous avions besoin d’une stricte stabilité des données » a confirmé Bruno Delas. Une fois la migration techniquement opérée, des testeurs venus des métiers devaient en effet comparer les données de l’ancien système et du nouveau, avec un écran sur chacun des systèmes, ce qui impliquait une absence de toute transaction avant la validation pour comparer ce qui était comparable. A cette certification statique s’est ajoutée une certification dynamique : en faisant tourner le SI résultant sur un système-fantôme déconnecté, le fonctionnement des transactions et autres opérations a été vérifié.
Le Crédit du Nord n’est pas encore encore totalement disparu…
Mais les clients du Crédit du Nord ont des opérations régulières de prélèvements et de virements. Or, comme ils rejoignaient un nouveau réseau bancaire, leurs coordonnées bancaires (IBAN, BIC, RIB) changeaient. La Société Générale a donc fait en sorte de maintenir des tables d’équivalence pour assurer une conversion à la volée des coordonnées bancaires durant dix-huit mois. De même, les cartes bancaires du Crédit du Nord ont vu leur validité préservée le temps qu’elles soient renouvelées. Ce renouvellement nécessite en effet plusieurs mois.
Fin juin 2023, les systèmes informatiques du Crédit du Nord seront débranchés. Et leur contenu évidemment archivé. Bruno Delas s’est souvenu : « à l’époque d’une opération similaire chez BPCE, il y a une quinzaine d’années, il existait environ 15 000 données unitaires par client. La forte complexification des systèmes bancaires fait que, une fois dédoublonnées, il y a aujourd’hui 27 000 données unitaires par client. » Les entrepôts de données du Crédit du Nord sont archivés et accessibles sur requête spécifique (par exemple si un client veut un relevé de compte datant de cinq ans). L’historique n’a été intégré au système cible qu’en fonction des besoins (par exemple pour la lutte anti-fraude).
D’importants enjeux humains
Outre la migration des systèmes supports (SIRH, comptabilité…), les collaborateurs des deux réseaux bancaires étaient directement concernés par la mutation des process métiers et les évolutions des logiciels de leur travail quotidien. La Société Générale a un historique de forte centralisation, le Crédit du Nord d’une fédération de banques locales. La logique résultante va être une forte régionalisation qui se met en place petit à petit. Les collaborateurs ont donc été formés aux nouveaux outils et un coaching par 3000 collaborateurs de la Société Générale a été mis en place pour l’accueil des personnels du Crédit du Nord. Les agences bancaires des deux réseaux vont également fusionner au fil des mois, sur les trois prochaines années, avec des déménagements du lieu de travail de nombreux salariés. 3700 départs volontaires nets sont également programmés, en plus des nombreuses réaffectations pour tenir compte des changements dans les processus métiers.
La lourdeur des tâches de cette fusion peut faire douter de la pertinence de la stratégie adoptée. Les coûts n’ont pas été dévoilés mais la banque admet que « cela coûte un peu d’argent ». Or, selon Bruno Delas, « la migration va être rentabilisée en trois ans ». Le système d’information unique ainsi que les regroupements d’agences doivent permettre au groupe d’économiser 450 millions d’euros par an dès 2025. L’un des objectif du nouveau système est aussi de faciliter la croissance des relations clients digitales, ce qui est évidemment source d’efficience. Le bilan définitif ne pourra cependant être clairement tiré qu’à l’issue de la transition en cours, prévue pour fin 2025.