Pourquoi La France Mutualiste multiplie les cas d’usages de l’IA et de l’IAG
Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage
Institution ancienne, La France Mutualiste se transforme tant du point de vue métier qu’IT. Les contacts clients sont désormais assistés par IA avec les technologies de Zaion. Claudia Nogueira, chef de projet, et Lionel Bonnet, DSI de La France Mutualiste, reviennent ici sur la stratégie actuelle de la mutuelle et les projets menés autour de l’IA.
Pouvez-vous nous présenter La France Mutualiste ?
Lionel Bonnet : Nous sommes un groupe mutualiste créé il y a plus de 130 ans par Léon Guillot avec l’ambition de permettre à tous les Français de construire leur retraite. Nous avons été longtemps connus pour la RMC, la Retraite Mutualiste des Combattants, voulue par les pouvoirs publics au profit des anciens combattants.
Depuis le début des années 2000, nous menons donc une diversification vers les produits d’épargne grand public comme les Assurances Vie et le PERI (Plan Epargne Retraite Individuel). Cette transition est un succès et, aujourd’hui, plus de la moitié de nos bénéficiaires ont souscrit à un produit de ce type. Notre mutuelle étant d’origine militaire, nos adhérents-clients appartiennent encore beaucoup à ce milieu, militaires partis en OpEx et leurs familles. Nous voulons élargir notre horizon de distribution tout en cultivant notre ADN historique.
Aujourd’hui, La France Mutualiste rassemble et accompagne plus de 230 000 adhérents-clients. Notre chiffre d’affaires s’établit à 468 millions d’euros à fin décembre 2023, en hausse de 9,35 % par rapport à 2022. Nous disposons de 535 collaborateurs et 260 bénévoles.
La France Mutualiste et Malakoff Humanis ont signé en décembre dernier un protocole d’accord en vue de leur rapprochement.
Comment est organisée la DSI ?
Lionel Bonnet : La DSI comprend 70 personnes et est composée de quatre départements : l’un pour la technique avec le CTO, un pour la data, un autre avec la cybersécurité (le RSSI m’est rattaché) et le dernier pour le support du quotidien et la gestion du poste de travail. Nous avons la chance de disposer de collaborateurs très compétents, très investis et très attachés à notre entreprise. Chez nous, les valeurs ne sont pas juste une affiche placardée au mur. Toute la DSI est rassemblée sur le même étage et tout le monde se connaît.
Vos activités étant anciennes, vous devez disposer d’un important Legacy. Quels sont vos grands choix techniques ?
Lionel Bonnet : Nous n’avons pas de mainframe. Nous disposons d’environ 120 applicatifs de technologies très hétérogènes en environnements Linux, Unix ou Windows. Nous avons nos propres datacenters gérés en interne : nous louons des emplacements et ce sont nos collaborateurs qui assurent l’installation des serveurs et qui les gèrent. S’il y a un problème, ce sont les équipes de la DSI qui descendent dans la soûte. De ce fait, il n’y a aucune « boîte noire » chez nous : nous maîtrisons tout, nous savons qui fait quoi.
Le prix à payer de cette forte maîtrise est aussi que certains savoirs sont très individuels. Nos équipes bénéficient d’une logique de promotions internes. Quand je suis arrivé, nous avions 25 prestataires de 25 sociétés de services différentes. Nous avons donc eu la volonté de « ranger nos affaires ».
Pour la RMC, nous avons des logiciels maison en Cobol/Oracle/Unix.
Lorsque nous avons pris le virage de la diversification, nous avons adopté une logique de progicialisation. En effet, ailleurs dans notre secteur, le poids de la réglementation est très important et sa gestion peut ainsi être assurée par l’éditeur pour l’ensemble de ses clients. Il n’est pas rare que, ailleurs dans notre secteur, la moitié du budget des projets soit mobilisée pour cette constante mise en conformité, seulement le solde permettant de traiter les besoins métiers. Chez nous, nous préférons que notre budget projets serve seulement les métiers en gardant toujours la maîtrise. Par exemple, l’outil de contrôle sur la fraude au changement de RIB a été développé en interne en maîtrisant l’ensemble du processus, technique et métier.
Nous n’avons pas d’ERP global mais plusieurs produits comme un CRM, la gestion financière Sage, etc.
Aujourd’hui, la DSI a trois grandes priorités. D’abord, c’est la base incontournable, le maintien en conditions opérationnelles. Ensuite, nous devons honorer la feuille de route de la trentaine de projets métiers. Enfin, nous devons réussir la transformation de la DSI.
Qu’entendez-vous par la transformation de la DSI ?
Lionel Bonnet : Cette transformation porte sur six thématiques. Il s’agit d’abord de l’excellence opérationnelle, puis de l’innovation, de la data pour laquelle nous avons besoin de plus d’agilité et de dépasser les rapports régaliens, la cybersécurité, les PCA/PRA et enfin la gouvernance technologique avec la lutte contre les obsolescences.
L’excellence opérationnelle, c’est par exemple d’automatiser des processus trop manuels afin d’éviter une trop grande dépendance à des individus précis. C’est aussi la mise en place de trains de mises en production programmées après la batterie de tests, notamment d’intégration et de non-régression, avec passage systématique en pré-production avant la mise en production. D’une manière générale, il s’agit, en fait, d’industrialiser les processus.
Cette industrialisation nous a aussi amené à créer une usine digitale pour fabriquer nos outils digitaux avec une équipe dédiée et en massifiant le recours aux prestataires pour mieux maîtriser les coûts. Notre développement au-delà de notre produit historique amène aussi un rajeunissement de notre cible et il faut le prendre en compte.
Côté innovation, nous avons mis en place une gouvernance avec les métiers. Nous créons des démonstrateurs pour prouver la faisabilité, la viabilité et la pertinence des idées.
L’axe data est certes important mais n’est, pour l’instant, pas encore une priorité, plutôt au stade des réflexions.
Evidemment, la cybersécurité est un sujet très important. Nous sommes en train de mettre en place un vrai SOC externalisé et de faire mener un audit exhaustif par un tiers de l’ensemble du périmètre IT.
Concernant les PCA/PRA, nous voulons identifier les applicatifs les plus clés et formaliser les procédures en cas d’incident grave. Il s’agit de savoir quoi faire, quelles stratégies de contournement adopter.
Reste le sujet de la gouvernance technologique avec la lutte contre les obsolescences. Nous avons, comme tout le monde, un problème de dépendance vis-à-vis d’éditeurs qui font évoluer leurs logiciels et cessent de maintenir leurs anciennes versions. De ce fait, nous avons l’obligation de régulièrement monter en versions avec les coûts associés. Nous voulons mettre en place une véritable feuille de route prévisionnelle des migrations afin de mieux les anticiper et les coordonner.
Pourquoi la gestion des appels est-elle un défi important pour La France Mutualiste ?
Claudia Nogueira : La plupart de nos adhérents sont des personnes séniors qui ont peu recours au self-care et préfèrent contacter des conseillers humains. Notre centre de contacts traite ainsi 175 000 appels téléphoniques par an. Le canal téléphonique est donc un objet d’investissements.
Auparavant, les appelants devaient utiliser leur clavier téléphonique pour naviguer dans une arborescence de choix importante afin d’être mis en contact avec la bonne personne. Le serveur vocal interactif classique atteignait donc ses limites. Notre idée était de disposer d’un robot qui allait directement comprendre une demande exprimée oralement. A partir de la reconnaissance de mots, l’outil devait router vers le bon service ou bien délivrer un message oral de type « foire aux questions ». Par exemple, quand l’appelant veut juste obtenir une information relative à son contrat, telle que le montant de ses versements, aujourd’hui, ce callbot lui donne. La première mise en place a eu lieu en 2019 et ce callbot est amélioré tous les ans.
Par exemple, depuis quelques semaines, nous avons mis en place l’IA émotionnelle avec la reconnaissance de l’âge de l’appelant. Le débit de parole est ainsi adapté, plus ou moins rapide selon l’âge de l’appelant.
L’outil fonctionne mieux avec les seniors qu’avec les jeunes ! En effet, les seniors parlent comme avec un répondeur et donnent donc beaucoup d’informations, ce qui facilite le travail de l’IA. Les jeunes sont moins diserts.
Bien sûr, à chaque appel, la reconnaissance de l’appelant avec l’identification de son numéro permet de connecter l’appel à son profil. Nous pouvons ainsi apporter des réponses adaptées.
Enfin, suite à des campagnes de courriers, nous pouvons constater une forte croissance du nombre d’appels. Pour accélérer le contact, nous pouvons inclure une question initiale type « appelez-vous pour tel sujet ? ».
Pourquoi avoir choisi les technologies de Zaion ?
Claudia Nogueira : Cette entreprise est réellement 100 % française. Très souvent, chez ses concurrents, on trouve toujours un peu d’IBM, de Google ou de Microsoft dans les briques technologiques. Là, le LLM est français, fait maison. En 2019, un call-bot de cette qualité était, de plus, très rare, les chat-bots étaient plus fréquents.
Comment cet outil est-il intégré à votre SI ?
Claudia Nogueira : Zaion propose un SaaS. Il est intégré au SI via API, plus exactement une connexion à notre CRM ainsi qu’à un puits de données téléphonie qui permet de transférer le bon appel à la bonne personne.
Vous avez récemment ajouté le module Autosummary de Zaion. Qu’en faites-vous et pourquoi ?
Claudia Nogueira : Nous avons lancé un pilote auprès des gestionnaires de contrats d’assurances-vie. La voix est traitée par Zaion, qui ne conserve aucun enregistrement, et l’IAG fabrique plusieurs comptes-rendus de l’appel : un court résumé, un relevé des idées principales et un compte-rendu complet. Pour l’instant, comme nous en sommes au pilote, il n’y a pas d’intégration au CRM et les textes sont copiés-collés par les conseillers dans notre CRM. Et nous demandons systématiquement, par un questionnaire en ligne, aux conseillers si les comptes-rendus sont fidèles. Pour l’instant, ils en sont très satisfaits. Mais, bien sûr, les conseillers peuvent modifier le texte. Zaion supprime les discours parasites (par exemple quand l’appelant va discuter de la météo avec son conseiller) mais si une information importante a ainsi été supprimée, le conseiller peut donc la réintroduire.
L’appelant peut s’opposer à la conservation de l’enregistrement de sa conversation. Seuls les comptes-rendus demeurent dans nos systèmes dans ce cas.
Quel bilan tirez-vous de cet usage de l’IAG pour traiter les appels clients ?
Claudia Nogueira : Les transcriptions sont très fidèles. Les comptes-rendus sont désormais normalisés et synthétiques. Outre l’important gain de productivité de nos collaborateurs, les agents apprécient d’être déchargés d’une tâche rébarbative. La qualité et l’exhaustivité des comptes-rendus s’est également améliorée.
Aujourd’hui, il est beaucoup plus simple pour un conseiller de reprendre un dossier qui comprend des informations complètes.
Quelles évolutions voyez-vous à ce projet ?
Claudia Nogueira : Nous allons mener l’intégration directe au CRM et élargir son usage à tous les métiers.
Podcast - Les conséquences IT de la diversification de La France Mutualiste
Lionel Bonnet, DSI de La France Mutualiste, rappelle d’abord ici l’histoire de la France Mutualiste et ses conséquences en matière IT. Parmi ces conséquences, le développement du canal digital est probablement la plus importante, en lien avec le rajeunissement et l’élargissement de la clientèle visée.
Podcast - La France Mutualiste : l’IA en appui des conversations téléphoniques clients
Claudia Nogueira, chef de projet à La France Mutualiste, a mis en œuvre les technologies de l’éditeur français Zaion pour plusieurs projets successifs en lien avec les appels téléphoniques des clients. Elle détaille ainsi le premier projet, éviter les choix multiples successifs, et le dernier en date, le résumé automatique.