Tribune - Le numérique a besoin de tous ses cerveaux et de toutes ses énergies, pas de la moitié
Forte de plus de vingt ans d’expérience dans le secteur technologique et ancienne ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno livre ici un plaidoyer vibrant pour une alliance active entre femmes et hommes dans la construction du numérique de demain.
Cette tribune ouvre une série de prises de paroles de femmes de la Tech.

Il y a quelques mois, le patron de Meta a créé la polémique en appelant à davantage « d’énergie masculine » dans son entreprise. Effet d’annonce ? Provocation virile ? Effet de zèle ? Peu importe. Le malaise est réel.
Depuis plus d’une décennie, les experts alertent sur les conséquences d’un numérique majoritairement conçu, financé et dirigé par des hommes. Quand les enjeux de recrutement sont si importants, quand notre souveraineté numérique est impactée et quand plus d’une étudiante sur trois dans la tech se dit découragée d’y faire carrière (GenderScan, 2024), l’urgence ne relève plus de l’idéologie, mais du bon sens.
Face à ces injonctions caricaturales à « remuscler » la tech, on peut sourire jaune. Ou s’indigner. Mais surtout, on peut agir. Et poser la seule question qui vaille : comment mobiliser les hommes autour d’un projet numérique réellement inclusif, durable et à la hauteur des enjeux du XXIe siècle ?
Quel avenir peut-on construire sans 50 % des talents disponibles ?
Quel avenir peut-on construire sans 50 % des talents disponibles ?
Alors même que le numérique structure nos vies personnelles et professionnelles , les femmes restent largement sous-représentées dans les métiers techniques, les postes de direction et les lieux de pouvoir.
Et pourtant, nous continuons d’avancer à cloche-pied vers l’avenir, en ignorant la moitié des talents qui pourraient le façonner.
Soyons lucides : nous ne corrigerons pas ce déséquilibre sans les hommes.
Nous ne corrigerons pas ce déséquilibre sans les hommes !
Pas comme soutiens discrets ou alliés symboliques, mais comme acteurs engagés, conscients de leur rôle et de leur responsabilité dans cette transition.
Aujourd’hui, le secteur fonctionne avec à peine 30 % de femmes. Dans les filières techniques, ce chiffre tombe parfois à 15 %. Et dans la cybersécurité, moins de 12 %. Résultat : des algorithmes biaisés, des innovations conçues sans la moitié des usagers, des décisions prises dans des cercles trop homogènes.
Ce n’est pas un sujet de femmes. C’est un enjeu de société.
Un monde qui se prive de la moitié de ses talents affaiblit sa capacité à innover, à comprendre, à inclure.
Certains hommes l’ont compris et beaucoup de femmes ont avancé. Certaines ont codé, dirigé, transformé. Mais le plafond de verre ne tombera pas sans la mobilisation active des hommes. Ceux qui forment, recrutent, investissent, promeuvent. Ceux qui tiennent encore les clés.
Ce déficit de mixité ne se résorbera pas sans actes concrets et déterminés.
Il faut du courage, des décisions, de la constance. Nous avons besoin d’hommes qui ouvrent les portes, transmettent les codes, questionnent les normes, et contribuent à un numérique à l’image du monde : divers, complexe, vivant.
La mixité n’est ni un gadget ni un supplément d’âme.
La mixité n’est ni un gadget ni un supplément d’âme. C’est un levier de compétitivité !
C’est un levier de compétitivité, un accélérateur d’innovation, un atout de résilience économique. Elle élargit les perspectives, limite les angles morts et permet de mieux répondre aux besoins de toutes et tous.
Que faire concrètement ?
Les solutions existent, à condition d’être portées avec sérieux :
— Former massivement les jeunes filles au numérique, dès le plus jeune âge, et leur faire découvrir la diversité des métiers au sein des entreprises.
— Fixer des objectifs de mixité clairs dans les filières techniques et les postes à responsabilité.
— Mettre en place des dispositifs de mentorat croisés, avec l’engagement des hommes.
— Conditionner certains financements à des critères de diversité réels.
— Visibiliser des rôles modèles féminins et masculins qui incarnent un leadership inclusif.
— Former les dirigeants à reconnaître leurs biais et transformer leurs pratiques.
La transformation ne sera pas uniquement culturelle. Elle sera politique, stratégique, collective.
La transformation ne sera pas uniquement culturelle. Elle sera politique, stratégique, collective.
À la fondation Femmes@numérique, nous croyons au pouvoir des alliances véritables : entre femmes et hommes, entreprises et institutions, générations et cultures. Des alliances exigeantes, durables, porteuses de changement.
Parce que le XXIe siècle ne pourra pas se faire avec des logiciels du passé.
Et parce qu’il est temps, plus que jamais, que les hommes et les femmes s’engagent ensemble pour un numérique plus responsable, plus éthique et plus humain.