Alice Guehennec (Sodexo) : « nous accélérons grâce à la démultiplication des forces »
Depuis la scission avec Pluxee, Sodexo s’est recentré sur les services sur site. Alice Guehennec, Group Chief Tech Data, Digital & Innovation Officer du premier employeur privé français dans le monde, nous explique la nouvelle structuration de l’IT.

Pouvez-vous nous présenter Sodexo aujourd’hui, après la scission avec Pluxee ?
Sodexo est aujourd’hui un groupe spécialisé dans les services sur sites avec deux métiers : la restauration (66 % du chiffre d’affaires) et le facilities management (34 %). Cette dernière activité regroupe les services d’entretien des bâtiments, ce que l’on appelle le hard FM, et l’ensemble des services pour les occupants de ces bâtiments, le soft FM (accueil, gestion du courrier, nettoyage). Certains clients, notamment les grands groupes internationaux ou les acteurs du service de l’énergie nous demandent parfois d’opérer l’ensemble de ces services FM dans le cadre de contrats globaux.
Nous réalisons aujourd’hui un chiffre d’affaires de 23,8 milliards d’euros grâce à nos 423 000 salariés, ce qui fait de nous le premier employeur privé français dans le monde. Nous sommes présents dans 45 pays sur 27 000 sites et nous servons 80 millions de consommateurs chaque jour.
Notre groupe est très international : 47 % de l’activité est en Amérique du Nord contre 35 % en Europe (dont la France) et 18 % dans le reste du monde (Amérique latine, Asie-Pacifique). Nous opérons dans des univers très divers : comme les lieux de travail (entreprises, administrations), la santé et les services aux séniors les écoles et les Universités et enfin le divertissement grâce à notre entité SodexoLive !, présente sur des sites exceptionnels (Stades, Bateaux Parisiens, Pré Catelan, lounges d’aéroports, restaurants de la Tour Eiffel…) que sur des évènements prestigieux comme les Jeux Olympiques et Paralympiques ou encore le SuperBowl 2025, et même le CES à Las Vegas.
Quelle est votre organisation IT ?
En tant que Group Chief Tech, Data, Digital & Innovation Officer (TDDI) de Sodexo, mon rôle est de piloter l’ensemble des domaines liés à la Tech, ce que les Américains appellent « Chief Technology Officer » qui n’a pas le même sens qu’en Europe.
Mes n-1 sont, d’une part cinq responsables de domaines Groupe et d’autre part sept responsables de divisions régionales, dans lesquelles l’organisation se décline de la même façon qu’au niveau du Groupe.. Chaque responsable de région est à la fois rattaché à l’organisation TDDI groupe et à la région. Au niveau groupe, 5 responsables de domaine me reportent : Thierry Renard Group CIO, responsable des applications et des infrastructures, Maxime Marembaud, Group Chief Digital, AI & Innovation Officer, responsable à la fois du Digital et de l’IA. Antonio Abi Saad, Group Chief Data Officer, Alain Rogulski, Group CISO et, enfin, Thomas Dancie, Group Chief Transformation Officer.
Depuis mon arrivée, nous avons fait évoluer le fonctionnement entre les régions et le siège, et avons mis en place avec les équipes un mode de travail « Glocal » ou global distribué. Aujourd’hui, chaque région se spécialise dans un domaine et sert les autres régions. Par exemple, le SI Food (Microsoft) est construit et maintenu par les équipes TDDI en Amérique du Nord. L’ERP Finances-Achats (Technologie Microsoft) est piloté par l’Asie tandis que son équivalent sous SAP est maintenu par l’Europe.
Pour les infrastructures, c’est le même principe.
Nous avons un centre d’expertise en Inde (en partenariat avec TCS) qui assure la maintenance pour toutes les régions sur l’infrastructure et les applications. Cela permet aux équipes internes de se recentrer au maximum sur la modernisation de notre SI, sur la Data, sur la partie Digital & IA et sur l’accompagnement des ambitions du groupe (croissance profitable, innovation, optimisation opérationnelle…). Ce modèle glocal nous permet d’accélérer grâce à la démultiplication des forces.

Vous séparez donc la data et l’IA ?
En effet, le pré-requis pour pouvoir élaborer de bons produits d’IA à l’échelle, est de disposer d’une data de qualité. Et construire une data de qualité est un métier en soi.
Tous les SI métiers alimentent donc notre plateforme data sur laquelle se connectent les applications. Le Chief Data Officer a cette responsabilité de mettre à disposition de tous une data propre et de qualité.
Ma conviction est que beaucoup d’entreprises échouent à déployer l’IA à l’échelle parce qu’elles échouent à mettre à disposition des données de qualité.
Quelles sont les grandes lignes de votre architecture ?
Le SI est découpé en 3 couches principales. Tout d’abord une couche SI métier composée de grands ERPs sur chacun des domaines métiers, ensuite une couche Digital & IA elle-même construite sur un principe de modularité et enfin une couche Data qui fait l’interface entre les SI métiers et la partie Digital et IA.
Votre filiale Sodexo Live ! a-t-elle un SI particulier ?
Chaque métier a des particularités et des offres qui lui sont propres. Gérer un centre de convention ou un stade avec, par exemple, une billetterie, s’appuie donc sur la mise en place d’un SI spécifique. Pour les fonctions transverses (RH, finance…), Sodexo Live ! utilise les systèmes communs.
Une organisation exceptionnelle a été mise en place pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Nous avons construit un SI spécifique, d’une part pour des raisons métiers (4 000 personnes ont été recrutées uniquement pour cet événement) et d’autre part pour renforcer la cybersécurité avec un cloisonnement strict. En avril 2024, nous avons également effectué un exercice de cyber-crise qui nous a permis de renforcer notre niveau de préparation pour l’évènement.
Evidemment, ce type de projet permet de tirer beaucoup d’enseignements. Et la première leçon à retenir, c’est qu’il est vraiment primordial de bien se préparer à l’avance.
Ce contexte exceptionnel a été une grande fierté pour nous tous et amis en exergue l’esprit d’équipe et de service de Sodexo, toutes les équipes ont été totalement solidaires.
Nous avons déjà couvert le carve-out de Pluxee de son point de vue mais quelle est votre vision ?
Ce carve-out, était parfaitement logique d’un point de vue marché, afin de créer deux pure-players sur leur métier respectif : Sodexo sur le secteur de la restauration et des services sur site et Pluxee sur le secteur des avantages salariés.
La séparation a engendré un très gros chantier pour les équipes TDDI avec la mise en place d’une gouvernance dédiée pour mener à bien ce projet en un temps record. Nous avons conclu des accords de collaboration pour les services rendus par Pluxee à Sodexo et vice-versa. Il reste quelques découplages à finaliser.

Quels sont vos grands projets du moment ?
En 2023, j’ai été recrutée pour accélérer la transformation digitale du groupe. Cela passait par refocaliser les équipes internes sur les nouveaux projets et mettre en œuvre l’organisation présentée précédemment. Cela se traduit par une expansion de la Data & AI Factory en trois Data Factories d’une part (pour collecter et structurer les données autour du Core Data Model) et trois Digital & AI Factories d’autre part. Ces six factories sont réparties dans les différentes régions du Groupe et travaillent ensemble.
Nous avons, côté Tech, trois cibles : le consommateur (B2C), le client (B2B) et nos opérations internes (B2O). Nous avons une stratégie et des projets à délivrer sur chacune de ces cibles.
Commençons par le consommateur…
En cible, nous visons 10 % du chiffre d’affaires réalisé avec le consommateur via les canaux digitaux. Par exemple, commander une pause-café, un petit-déjeuner, un déjeuner, un diner ou encore recharger son compte via les applications mises à disposition, etc.
Dès lors, nous avons un lien direct avec nos consommateurs, ce qui nous permet d’améliorer nos services grâce à la donnée recueillie. Ainsi, nous pouvons leur faire des recommandations sur la réduction de leur empreinte carbone, ou sur la diététique… De nombreux projets à base d’IA et d’IAG sont envisagés à ce niveau. Par exemple, nous testons les boutiques sans caisse utilisant la reconnaissance automatisée des articles choisis.
Et concernant vos clients ?
Pour nos clients, le pilotage de la performance de notre service est très important. Nous leur fournissons bien sûr des tableaux de bord standards ainsi qu’un accès direct aux données. Mais nous développons surtout de nouveaux services d’aide à la décision basés sur l’IA/IAG permettant d’avoir un dialogue plus stratégique. Par exemple : optimiser les espaces et l’ouverture de nos services en fonction de la prédiction de la fréquentation ou des événements planifiés, démarrer ou arrêter des nouveaux services en fonction des retours consommateurs, améliorer l’empreinte environnementale, accroître l’inclusion…
Enfin, quels sont les projets sur vos opérations internes ?
Nous avons déployé Microsoft Copilot à l’échelle. Tout utilisateur de Sodexo peut le demander, et est formé avant la mise à disposition de cet outil. Cela nous permet de capter les nouveaux usages réalisés avec cette technologie pour repérer les bonnes pratiques qui viennent, comme souvent, du terrain afin de pouvoir les généraliser.
Nous travaillons sur l’optimisation de la chaine d’approvisionnement avec par exemple Product Swap : si un produit voit son prix augmenter ou n’est plus disponible, l’outil propose un produit de substitution. Par une collaboration France-Brésil, nous avons également élaboré une IAG pour suggérer des menus et des recettes à partir de produits disponibles.
Par ailleurs, nous déployons une IA, PowerChef visant à optimiser l’affectation des équipes sur une zone géographique en tenant compte de la fréquentation des sites à différents moments et de la disponibilité du personnel. Cette approche permet de réduire le recours à l’intérim.
Une question plus personnelle maintenant. Pourquoi avez-vous accepté d’être vice-présidente du Cigref ?
Il y a deux raisons principales à cela.
Tout d’abord, je considère qu‘à un moment, dans sa carrière, il faut savoir rendre ce que l’on a obtenu en contribuant à l’intérêt général. En début de carrière, je me suis beaucoup appuyé sur les travaux du Cigref et il me semble important aujourd’hui de pouvoir contribuer à ces travaux.
J’ai aussi une motivation plus personnelle liée à la sous-représentation des femmes dans les métiers de la Tech, où les avancées sont insuffisantes.. J’occupe un poste visible et je considère qu’il est de mon devoir de contribuer à l’attractivité de notre métier auprès des femmes et des jeunes filles. J’anime ainsi le groupe de travail du Cigref avec Femmes@Numérique et je suis membre de l’association FrenchWomenCIO. L’une des causes racines observées dans de nombreux secteurs peu féminisés est lié à l’éducation. Il faut casser les stéréotypes créés dès le plus jeune âge dans les familles et à l’école, inciter les femmes à choisir d’étudier les mathématiques et les sciences. Nous devons également travailler à la reconversion des femmes dans les métiers de la Tech.
Enfin, quels sont vos défis 2025 ?
Nous avons lancé la transformation que je viens de décrire fin 2023. Nous sommes toujours en phase d’accélération même si, sur la data notamment, nous avançons plus vite que prévu. Nos défis, ce sont avant tout nos nombreux et gros projets comme l’IA/IAG, l’ERP… La collaboration entre IT et métier doit encore s’approfondir et accélérer. Enfin la formation et le développement de mes équipes en continue sur ces nouveaux métiers est une de mes priorités.
Podcast - Accélérer la transformation chez Sodexo grâce au « Glocal »
Premier employeur privé français dans le monde, Sodexo est un spécialiste mondial des services sur sites, de la restauration au facilities management. Alice Guehennec, Group Chief Tech Data, Digital & Innovation Officer de Sodexo, a mis en œuvre une organisation de l’IT sous une forme de « global distribué » baptisée « Glocale ». Les IT régionales se sont chacune spécialisées et délivrent des services à toutes les autres. Cette organisation permet un travail en parallèle et donc une accélération de la transformation.
Article revu par l’entreprise.