Le cloud au défi de la crise énergétique
Par Bertrand Lemaire | Le | Cloud
Avec des factures d’électricité qui explosent, les acteurs du Cloud doivent réagir et s’adapter. Des arbitrages douloureux sont parfois nécessaires dans un contexte qui va au-delà de la sobriété numérique, pour une véritable responsabilité environnementale.
Le Cloud, c’est juste l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Cet adage est généralement invoqué lorsque l’on veut souligner des difficultés en matière de cybersécurité ou de souveraineté numérique. Or il prend désormais également tout son sens avec la crise énergétique qui fait exploser les coûts et les tarifs des acteurs du Cloud. Le leader français en la matière, OVH, a ainsi annoncé des augmentations de tarifs qui sont le plus souvent entre 10 et 20 %. A cause de son actualité propre, OVH n’a pas souhaité répondre à nos questions mais un autre acteur français du Cloud a bien voulu préciser les faits et leurs conséquences. Il s’agit de Véronique Torner, directrice d’Alter Way et administratrice de Numeum, et à ce titre responsable du programme « Numérique responsable » de ce syndicat professionnel des entreprises du numérique.
Spécialiste des technologies open-source depuis sa création, Alter Way est, depuis fin 2021, une filiale à 100 % du groupe Smile. Ses activités de TMA ou, plus généralement, relevant de l’applicatif, ont été reprises à cette occasion par la SSLL Smile tandis que toutes les activités en lien avec l’infrastructure, le DevOps et le Cloud ont, elles, été rassemblées sous la bannière d’Alter Way. De ce fait, Alter Way a aujourd’hui deux grandes activités : d’une part, le consulting Move2Cloud / DevOps / Industrialisation / etc. qui représente environ 20 % de son chiffre d’affaires et, d’autre part, le cloud management, pour les 80 % restant. Il s’agit de maintenir en 24/7, sous la forme de services managés, les clouds privés hébergés par Alter Way ou bien d’infogérer des instances sur AWS, Azure, Scaleway…
Une explosion des coûts
Un datacenter, c’est avant tout un bâtiment et ses équipements (électricité, climatisation, connexions télécoms, etc.). Cet aspect immobilier est le plus souvent entre les mains de spécialistes. En l’occurrence, Alterway a recours à Scaleway (groupe Illiad) et Equinix pour héberger ses serveurs. Comme tout gestionnaire d’infrastructures managées, Alter Way a donc équipé les surfaces louées avec l’équipement informatique nécessaire à ses services : serveurs, routeurs, baies de stockage… Et tout cela consomme bien entendu de l’électricité. Un datacenter, c’est donc une importante part d’investissements mais aussi des frais de fonctionnement récurrents. « En tout, l’énergie représente 30 à 40 % du coût total » indique Véronique Torner. La facture est, déjà en tant normal, suffisante pour inciter les acteurs à réaliser le maximum d’optimisations, sans oublier les considérations de développement durable et donc de sobriété numérique.
Avec la crise actuelle sur l’énergie, la motivation pour faire des économies est, si c’était nécessaire, encore renforcée. Véronique Torner précise : « les premières augmentations subies sur le tarif de l’électricité ont été de l’ordre de 20 à 30 %. Cette situation n’avait pas du tout été anticipée et ces augmentations n’ont pas été répercutées sur les tarifs pratiqués. Le coût global de fonctionnement s’est accru d’environ 10 % et nous nous attendons, l’année prochaine, à un doublement de ce chiffre ». Les deux premiers facteurs de coûts demeurent cependant, pour l’instant, la masse salariale et les loyers des datacenters. Mais la crise, y compris les tensions sur le marché du travail, ont entraîné des surcoûts sur l’ensemble de ces postes…
Des marges de manœuvre limitées
Les acteurs du cloud se doivent donc de rogner les coûts et les marges. Mais les optimisations ayant déjà été opérées au fil des années, quelles possibilités reste-t-il ? « Nous travaillons sur l’industrialisation et la rationalisation » confie Véronique Torner. Elle donne un exemple : « grâce au télétravail, nous avons pu réduire de moitié la surface de nos bureaux, baissant de ce fait nos loyers, mais nous demeurons obligés de travailler sur nos tarifs. Même si les tensions sur les prix sont autant en amont qu’en aval de nos prestations. »
Au niveau des datacenters, l’empreinte environnementale ne se limite pas à l’énergie. Comme pour les terminaux, le premier facteur à prendre en compte est la fabrication des équipements. « La durée de vie des serveurs étaient jadis de trois à quatre ans, nous essayons autant que possible de la pousser à cinq ou six ans » indique la responsable du programme « Numérique responsable » de Numeum. De ce fait, les acteurs du numérique se retrouvent confrontés à des injonctions contradictoires : d’un côté, il faut opter pour des serveurs neufs moins gourmands en énergie pour une puissance de calcul donnée, de l’autre, tout changement de matériel a un coût environnemental colossal (environ 70 % de l’empreinte environnementale globale du datacenter). Les acteurs du cloud doivent donc arbitrer entre la sobriété au niveau du matériel et celle au niveau de l’énergie. « Nos marges de manœuvre sont limitées » reconnaît Véronique Torner. Permettre un réemploi ou une seconde vie aux équipements n’est, face à la question énergétique, qu’un déplacement de la consommation.
Mesurer pour agir en faveur de l’environnement
Le déchirement est d’autant plus important qu’Alter Way a toujours souhaité contribuer à un numérique responsable. Cela l’avait conduit, à l’époque où la société appartenait au groupe Econocom, à recourir aux prestations de Greenly pour mesurer son empreinte environnementale globale et optimiser celle-ci sur les chapitres non-IT, l’IT étant la spécialité d’Alter Way. Véronique Torner relève ainsi : « nous disposons, grâce à Greenly, d’une calculette de notre empreinte environnementale nous permettant de la restituer client par client. » La méthodologie employée est l’objet d’améliorations régulières. Elle permet, au-delà de la mesure, de bien comprendre le sujet et de décider de plans d’action en sachant l’impact réel. L’information délivrée est de plus en plus utile aux clients d’Alter Way, afin qu’eux-mêmes tiennent compte de l’information pour leurs propres calculs d’empreinte environnementale.
Environnement : Planet Tech’Care poursuit son œuvre
Depuis deux ans, en Octobre 2020, l’initiative Planet Tech’Care cherche à promouvoir une vision responsable du numérique. Cette initiative est issue de travaux antérieurs menés par des acteurs autant côté fournisseurs qu’entreprises utilisatrices avec le soutient de Numeum mais aussi du Cigref. A ce jour, sa charte rassemble 700 signataires de toutes tailles et profils. Une soixantaine d’écoles (Epita, Polytechnique…) y participent afin de promouvoir le numérique responsable auprès des jeunes générations.
Certains partenaires associatifs sont juste ambassadeurs de l’initiative et se font l’écho du dispositif (comme l’USF, l’association des utilisateurs de SAP francophones), d’autres animent des ateliers et produisent du contenu, notamment des retours sur les meilleures pratiques et des témoignages (en particulier le Cigref). L’initiative a aussi débouché sur un annuaire de solutions proposées par des signataires de la charte. Les DSI peuvent y trouver des acteurs situés près de leurs entreprises et répondant à leurs attentes.