Alain Issarni (Numspot) : « recourir au cloud SecNumCloud doit devenir normal »

Pouvez-vous nous présenter Numspot ?

L’entreprise a été fondée en février 2023 après une annonce en octobre 2022. Nous sommes un acteur totalement français avec, comme actionnaires, la Banque des Territoires (Groupe Caisse des Dépôts, 36 %), Docaposte (Groupe La Poste, 26 %), Dassault Systèmes (19 %) et Bouygues Télécom (19 %).

A ce jour, vous n’avez encore aucune offre. Mais quelle est votre approche ?

Même s’il y a de nombreuses discussions autour de ces termes, notre volonté est de proposer un cloud souverain et de confiance.

Ce qui signifie ?

Il ne faut pas avoir une vision extrémiste du mot « souverain » car il est exact que nous ne fabriquons pas les chipsets… Mais nous nous distinguons par un actionnariat français majoritairement public, une absence de dépendance vis-à-vis d’acteurs étrangers et donc une absence de soumission à des législations étrangères à effets extra-territoriaux, ainsi qu’une maîtrise de nos dépendances afin de toujours conserver une capacité de décision autonome.

Cette question des dépendances est importante. Comme ancien DSI, je l’ai appris à mes dépends. Par exemple, sur un logiciel en souscription, au moment où vous renouvelez votre contrat, votre capacité de négociation est limitée. Notre réponse est de toujours faire des choix qui nous permettent une maîtrise de nos technologies.

En particulier, nous faisons des choix technologiques qui nous garantissent une indépendance vis-à-vis des acteurs non-européens ou transnationaux (VMware, Microsoft…). Nous avons opté pour, essentiellement, de l’open-source. Le rapport de force avec les fournisseurs est ainsi très différent. Vous passez d’un mode où vous êtes pieds et poings liés à un mode où vous pouvez prendre votre liberté en forkant. Cela arrive régulièrement dans le monde du logiciel libre.

Concernant la confiance, nous proposons une offre sur hébergement certifié SecNumCloud. En l’occurrence, nous nous appuyons sur Outscale (groupe Dassault Systèmes), premier hébergeur à avoir été certifié SecNumCloud. Outscale utilise un hyperviseur et un orchestrateur développés en propre à partir d’une souche libre (TinaOS).

De ce fait, quelle sera votre offre ?

Actuellement, il existe quatre IaaS certifiés SecNumCloud : Outscale, Worldline, Cloud Temple et OVH. Oodrive a une offre SaaS hébergée sur IaaS SecNumCloud .

Faire simplement du IaaS aurait donc peu d’intérêt et notre offre va par conséquent s’appuyer sur le IaaS SecNumCloud d’Outscale mais proposer des offres managées (PaaS, Conteneurs as a Service, etc.). De manière accessoire, on peut, dès aujourd’hui, aussi revendre du IaaS Outscale en complément. Mais notre spécificité sera l’enrichissement fonctionnel de l’offre IaaS.

D’ici fin 2023, nous aurons une offre de base avec les consoles nécessaires pour l’administrer. Début 2024, nous commencerons la commercialisation des services managés en commençant par les bases de données, les conteneurs… D’abord, nous posons les fondamentaux avant de progressivement enrichir l’offre de manière pragmatique.

Beaucoup de DSI ont en mémoire les échecs de Cloudwatt (Orange, Caisse des dépôts et consignations et Thales) et Numergy (SFR, Caisse des dépôts et consignations et Bull). Pourquoi Numspot réussirait là où ces deux entreprises ont échoué ?

Je n’étais pas au coeur de ces initiatives et je ne peux donc pas faire une analyse approfondie de leurs échecs. Cependant, le contexte a beaucoup changé. A l’époque, le marché était immature, c’était le début du Cloud et les attentes des clients étaient peu claires. Cloudwatt et Numergy partaient à peu près en même temps que les autres acteurs.

Aujourd’hui, le consensus général est que la France est en retard et il en résulte un sentiment d’urgence, un refus de voir la France marginalisée. 70 % du cloud européen est entre les mains des hyperscalers américains et leurs parts de marché s’accroissent. Des acteurs hégémoniques sont donc apparus. Une alternative est clairement indispensable là où, jadis, à l’époque de Numergy/Cloudwatt, beaucoup de voyaient pas l’intérêt d’une offre souveraine.

Enfin, le gouvernement a défini en 2021 une doctrine « Cloud au centre » (recours prioritaire au Cloud) pour le secteur public qui a été mise à jour et complétée récemment. Il a notamment reprécisé la définition exacte des données sensibles dans la circulaire (secret des affaires, secret médical, secret de la vie privée). Clairement, Numspot est conçu pour servir cette doctrine « Cloud au centre ».

Quelle est votre cible ?

Nous en avons quatre prioritaires. D’abord le secteur public au sens large (administrations, collectivités territoriales, opérateurs…). Ensuite, le secteur de la santé (hôpitaux, cliniques, laboratoires…). Nous visons également le secteur financier des banques et assurances. Enfin, nous ciblons les OIV/OSE (opérateurs d’importance vitale / opérateurs de services essentiels).

Au delà de ces quatre cibles prioritaires, nous pourrons vendre à tous ceux qui voudront du SecNumCloud. Clairement, la pauvreté fonctionnelle de l’offre actuelle de cloud souverain est un frein à la migration vers le Cloud. Nous proposerons donc des offres managées agiles.

Bien entendu, notre ambition est aussi de nous étendre en Europe, là où l’on rencontre les mêmes approches qu’en France.

Avez-vous prévu une offre de bureautique collaborative et de messagerie ?

C’est le débat du moment ! Aujourd’hui, la décision n’est pas prise. Je serais ravi que nous le fassions. Ce n’était pas dans notre feuille de route initiale mais beaucoup d’acteurs nous posent la question. Du coup, nous réfléchissons.

Un frein fréquent au développement des solutions alternatives aux acteurs hégémoniques transnationaux, c’est précisément la volonté des entreprises de faire des choix similaires à tout le monde. Comment comptez-vous briser cet obstacle ?

Effectivement, il est parfois plus simple pour un DSI de rater un projet avec une offre dominante que de prendre un peu de risque avec une offre alternative : il peut penser qu’on ne peut pas lui reprocher d’avoir choisi ce qui est choisi par tous ses pairs.

Au début des années 2000, nous avons vécu cela avec les logiciels libres. Les administrations ont été les précurseurs de l’usage des logiciels libres (Gendarmerie Nationale, DGFiP…). Aujourd’hui, ne pas étudier le choix « logiciels libres » est devenu une faute.

Je pense que le Cloud va suivre la même évolution. Recourir au cloud SecNumCloud doit devenir normal avant d’être la norme. Cela nécessite un accroissement de l’offre SecNumCloud.

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