Vers une normalisation des jumeaux numériques pour en garantir l’interopérabilité
Par Bertrand Lemaire | Le | Applicatif métier
L’Afnor lance un groupe de travail visant à la normalisation des jumeaux numériques pour en garantir l’interopérabilité et la maîtrise.
Les jumeaux numériques existent dans l’industrie depuis des années mais le développement de leurs usages, jusqu’au métavers industriel comme chez Renault, amène des problématiques nouvelles. L’Afnor (Association française de normalisation), qui est le représentant de la France auprès de l’Organisation internationale de normalisation (ISO), du Comité européen de normalisation (CEN) et de diverses autres organisations internationales, lance un groupe de travail en vue de proposer des normes ouvertes pour les jumeaux numériques. Cette commission aura pour objectifs de faciliter le partage d’expérience, de définir clairement les concepts et de proposer une méthodologie commune. Lors de la réunion de lancement, le 21 février 2023, il a aussi été souligné l’importance d’une normalisation pour assurer les échanges de données et donc l’intégration des différents jumeaux numériques tant entre eux (jusqu’au métavers industriel) qu’au reste des systèmes d’information. Au cours de cette réunion, plusieurs témoignages sont venus éclairer des cas d’usage avec intégration aux SI.
Participer à la commission Afnor sur le jumeau numérique
L’Afnor recrute actuellement des membres pour sa commission consacrée au jumeau numérique. Quatre réunions sont d’ores et déjà programmées pour 2023. Des représentants des industries tant électrotechniques que numériques seront membres. Des utilisateurs seraient les bienvenus.
Si vous souhaitez participer à la Commission de Normalisation Jumeaux Numériques de l’Afnor, il vous faut contacter par e-mail Julie Latawiec, responsable développement et innovation dans le secteur numérique à l’Afnor, et Alioune Cisse (mails : prenom.nom@afnor.org).
Plusieurs normes existent sur les bases techniques, le vocabulaire, etc. et ce depuis 2021. Des normes sur des sujets connexes (comme le BIM, Building Information Modeling) peuvent influer. Le jumeau numérique est défini comme une réplique numérique d’actifs physiques, de processus et de systèmes pouvant être utilisés à diverses fins ou pour des représentations numériques avec une synchronisation à un rythme approprié entre le physique et le virtuel. Le jumeau numérique est donc en quatre dimensions (volume et évolution dans le temps) et permet également des simulations et des anticipations (des modifications du modèle numérique avant une modification de l’actif réel ou pour décider d’effectuer ou non cette modification sur l’actif réel). Les cas d’usages sont très nombreux dans un très grand nombre de secteurs.
Des témoignages pour comprendre les cas d’usages
La réunion du 21 février 2023 a été l’occasion de mettre en avant des cas d’usage assez variés au travers de témoignages. Le premier témoin a été Xavier Lorang, chef de projet à l’IRT (Institut de Recherche Technologique) SystemX. Cette fondation de coopération scientifique réalise de la recherche et développement industrielle autour de thématiques telles que le transport autonome, l’empreinte environnementale, l’industrie du futur, la défense et la sécurité. En l’occurrence, elle a développé un programme de jumeau numérique pour la résilience et la durabilité des systèmes industriels. L’objectif est d’aboutir à une plateforme de création de jumeaux numériques interopérables.
Dans un premier temps, un projet pivot de socle et un projet orienté usage, en l’occurrence maintenance prédictive, sont développés. Des projets sont également prévus sur d’autres sujets tels que la supply-chain la consommation énergétique, etc. Xavier Lorang a rappelé que l’enjeu était surtout de construire un environnement outillé le plus générique possible en s’affranchissant de logiciels propriétaires et en garantissant l’interopérabilité libre et sécurisée des différents jumeaux numériques. Au delà de l’outillage, l’enjeu sera également de développer l’adoption pour un passage à l’échelle de la plate-forme.
Le jumeau numérique, un sujet qui revient dans la lumière
Comme Benjamin Martinez, ingénieur certification produits et écodesign activités chez Schneider Electric, l’a relevé, le sujet du jumeau numérique n’est pas neuf. Cependant, plusieurs sujets du moment ont amené un retour dans la lumière de cette approche. Parmi ces sujets, Benjamin Martinez a cité le développement durable (et la nécessité des calculs de comptabilité carbone), la crise énergétique (et la nécessité d’optimiser la consommation), l’optimisation de la supply chain ou de la chaîne de production (donc le besoin de maîtrise des process)…
Une future réglementation européenne devrait imposer la publication de jumeaux numériques des produits de secteurs sensibles (tels que les batteries par exemple) afin d’améliorer la réparabilité et la maîtrise des processus de fin de cycle de vie (réemploi, recyclage…).Il y a, dans ce type d’usage, un très fort enjeu d’interopérabilité. L’approche ne peut donc pas être à base de logiciels ou de formats propriétaires mais plutôt reposer sur des produits open-source et des standards ouverts. Pour Benjamin Martinez, le sujet du jumeau numérique est clairement multisectoriel et transverse, d’où une exigence de standardisation ouverte.
Des jumeaux numériques d’équipements industriels
Un secteur où les technologies associées au jumeau numérique sont bien implantées est le bâtiment, notamment avec le BIM. Un cas particulier est celui de la centrale nucléaire. Christophe Mouton, architecte SI normes et standard chez EDF, a ainsi rappelé que les centrales nucléaires faisaient l’objet de jumeaux numériques depuis des dizaines d’années pour permettre leur construction, leur exploitation, leur maintenance et leur déconstruction. De la conception à la déconstruction, le cycle de vie d’une centrale nucléaire a une durée de l’ordre d’un siècle. Bien évidemment, les technologies ont beaucoup évolué au fil du temps et « EDF a utilisé, au fil de son histoire, tous les avatars des jumeaux numériques » selon Christophe Mouton. Le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen) a voulu formaliser un projet de jumeau numérique commun pour optimiser la maîtrise technique, la fabrication, la maintenance… ce qui impliquait de normaliser les échanges de données.
Un autre exemple ancien de jumeau numérique est le patrimoine ferroviaire. Comme Laurent Schmitt, directeur adjoint normalisation à la SNCF, l’a rappelé l’objectif est de gérer, maintenir et développer le réseau ferré national et aussi de l’exploiter. Le jumeau numérique permet de visualiser, analyser et simuler pour être une aide à la décision. Le BIM des installations et des bâtiments s’anime ainsi avec une évolution temporelle pour devenir un ensemble de jumeaux numériques. Le modèle est en trois couches : des données descriptives figées (BIM, topologie, état du réseau…), une couche de modèle numérique de l’infrastructure avec son cycle de vie et enfin une couche fonctionnelle (visualisation, simulation, aide à la décision), chaque couche utilisant les mêmes référentiels communs.
Un besoin de diversité des profils au sein du groupe de travail
Il existe un projet européen, Linx4Rail, de création d’une norme commune de données pour des jumeaux numériques dans le domaine ferroviaire pour harmoniser les données des différentes compagnies. La SNCF a cependant un problème : son patrimoine peut dater de plus d’un siècle. Il lui faut donc numériser le patrimoine physique existant et créer les jumeaux numériques associés. 187 projets BIM concernent ainsi les ouvrages et équipements des voies, 122 des gares. Une fois ces projets achevés, cela facilitera la gestion, l’exploitation et la maintenance des installations, en particulier la maintenance prédictive, les prévisions des performances et les effets indésirables des évolutions. Si des données existent ici ou là, la SNCF doit collecter et désiloter celles-ci puis les harmoniser pour mieux les partager. Quant aux bâtiments anciens, un scanning 3D peut être traité avec une IA pour reconnaître les éléments et produire le jumeau numérique.
Pour que les travaux de la Commission de Normalisation Jumeaux Numériques de l’Afnor traitent bien de l’ensemble des besoins des acteurs économiques, il est important de dépasser quelques cas d’usages tels que ceux-ci. C’est là la raison de l’appel à candidatures de l’Afnor : plus les participants seront représentatifs du tissu économique, meilleure sera la qualité des normes proposées.
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