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Chronique - Quand la Cour des Comptes réclame une Dinum plus autoritaire

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Un récent rapport de la Cour des Comptes fait couler beaucoup d’encre autour de l’absence de poids de la Dinum (Direction Interministérielle du Numérique).

La Cour des Comptes vient de publier un rapport dédié à la Dinum. - © B.L.
La Cour des Comptes vient de publier un rapport dédié à la Dinum. - © B.L.

En ces temps d’incertitudes politiques, voilà un rapport de la Cour des Comptes qui tombe mal. Intitulé « Le pilotage de la transformation numérique de l’État par la direction interministérielle du numérique », il critique le faible poids de la Dinum (Direction Interministérielle du Numérique) créée en 2019 à partir de la DINSIC (Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication) pour définir, piloter et conduire une stratégie cohérente pour l’ensemble de l’Etat. Dinum, DINSIC, DISIC… Vous vous y perdez ? C’est normal : une chatte aurait du mal à y retrouver ses petits. Depuis l’orée des années 2000, la durée de vie d’une instance en charge de la stratégie informatique ou numérique de l’Etat n’est que de quelques années. A chaque changement de nom, il y a bien sûr changement de périmètre, de missions… L’organisation de la transformation publique (en termes de procédures métiers) est ainsi entrée puis sortie de ce périmètre (elle est aujourd’hui entre les mains de la DITP).

Est-ce que cette instabilité est liée au caractère d’interministériel ? On pourrait le croire car, après tout, la Dinum passe son temps à essayer de coordonner des projets menés ici ou là sous l’autorité de ministres de plein exercice. Mais, pourtant, les contre-exemples sont nombreux, à commencer par le « petit frère » de la Dinum, l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information) qui sait se faire respecter et imposer des régles. Au fil des réformes et des changements de nom, il faut pourtant bien admettre que la Dinum aussi a gagné en autorité. Désormais, elle opère le contrôle des projets importants (coûteux ou stratégiques).

Des grands projets interministériels qui réussissent

Un précédent directeur d’un précédent organisme, Jacques Marzin, avait ainsi pu, le premier, interrompre un projet interministériel, en l’occurrence de système de paie qui n’aboutissait pas. Suite à cette intervention, la DINSIC avait obtenu un début de commencement de droit de regard sur les projets ministériels, droit qui a été renforcé, avec un début d’autorité réelle, lors de la création de la Dinum. Pouvoir dire stop mais aussi financer au travers de nombreux « guichets » : la Dinum pilote ainsi de fait des projets portés par tel ou tel ministère en cherchant toujours à en étendre le périmètre, à mutualiser autant que possible. Dans le secteur public, assurer ou contribuer au financement est sans doute la forme la plus efficace de contrôle et de pilotage.

Au delà du contrôle, la Dinum (ou ses prédécesseurs) ont aussi su mener de réels projets à vocation interministérielle. Page 22 de son rapport, la Cour des Comptes cite ainsi l’exemple du RIE (Réseau Interministériel de l’État) qui mutualise les liaisons réseaux et télécoms pour toutes les administrations d’État, créé sous la direction d’Hélène Brisset (actuellement directrice du numérique d’Île-de-France Mobilités). Côté data, il faut citer Etalab (initialement créé comme une entité autonome), aujourd’hui dirigé par Marielle Chrisment. La « data factory » de l’État a mis au point le portail d’open-data data.gouv.fr, aujourd’hui considéré comme mature et donc sorti de son périmètre tout en restant au sein de la Dinum. La réorientation des actions d’Etalab n’est pas forcément appréciée par la Cour (page 48). Etalab se consacre désormais beaucoup à l’intelligence artificielle.

Des errements ?

Le programme Tech.gouv a constitué une expérience qui n’a malheureusement pas eu de véritable conclusion ni même de bilan formel comme le regrette la Cour des Comptes. Basé sur une approche matricielle, sur une forte agilité et sur des organisations mouvantes au fil des projets, Tech.gouv a été pour le moins révolutionnaire. Pour la Cour, Tech.gouv a fait preuve d’une « appropriation très limitée par les agents, les ministères et les administrations partenaires. » Après un départ brutal du directeur Nadi Bou Hanna, de plus en plus contesté et ayant commis l’erreur de vouloir faire voter une motion de confiance par ses subordonnés (page 23 du rapport), puis une période d’intérim de neuf mois, Tech.gouv a simplement disparu. Nadi Bou Hanna avait également fait preuve d’autorité en interdisant le recours à Microsoft Office 365 dans les administrations avant même la définition de la politique « Cloud au centre » de l’État qui fixe des règles claires au-delà de la seule bureautique.

La nouvelle directrice, Stéphanie Schaer, a voulu construire une feuille de route consensuelle, en collaboration avec les « clients » de la Dinum dans les ministères en s’appuyant sur des ateliers de co-construction. La Cour note cependant : « peu exhaustifs, les comptes-rendus de ces ateliers font en effet plus état d’une présentation des nouvelles orientations et d’un recueil des éventuelles craintes de la part des agents que d’une véritable construction collective de nature à faire évoluer les objectifs présentés ». « Enfin, alors que l’État devrait se doter d’une véritable stratégie numérique globale, impliquant l’ensemble des administrations, le terme de « feuille de route » montre que ce document reste centré sur l’action de la Dinum, sans préciser les rôles ou les cibles pour les autres administrations, laissant présager plus un programme de travail directionnel qu’une stratégie interministérielle. » (Note : « programme de travail directionnel » s’entend comme programme de travail d’une direction donnée, en l’occurrence la Dinum).

Un accent sur deux axes : les projets communs et les ressources humaines

Comme les porte-paroles de la Dinum l’ont plusieurs fois mentionné dans nos colonnes, deux axes majeurs se sont distingués : « les produits numériques interministériels et le pilotage de la filière publique de ressources humaines du numérique ». Ce dernier axe a été confié à Cornélia Findeisen. Pour faciliter le recrutement de contractuels, la Dinum a ainsi établi un « référentiel de rémunération des métiers du numérique » qui évite un trop long processus de validation budgétaire. Mais cela n’empêche pas d’outrepasser les plafonds indiqués, sous réserve d’une validation financière : c’est le cas de 28 % des recrutements de la Dinum (page 37 du rapport) contre 5 % en moyenne dans les administrations. La logique de réinternalisation des compétences (et donc de moindre recours à des prestataires extérieurs comme des ESN) est également saluée par la Cour. Celle-ci regrette surtout que de telles initiatives aient tant tardé à être menées.

La Cour des Comptes se satisfait aussi que « la nouvelle stratégie semble enfin accroître l’importance accordée à la méthodologie des ‘start-up d’État’, en lui consacrant un département, ce qui n’avait plus été le cas entre 2019 et 2022. » La Dinum finançant celles-ci au travers de « guichets » budgétaires, elle peut en effet influer sur leur développement et leur orientation. Des programmes comme le dispositif « Entrepreneurs d’intérêt général » satisfait aussi la Cour. La Cour s’attarde, logiquement, sur les difficultés budgétaires de la Dinum. Certes, elle ne manque pas de moyens, ni financiers ni humains, mais la complexité de son budget est considérable, ce qui complique l’exercice de ses missions.

Des projets ! Des projets !

L’instabilité chronique et le manque de volonté politique pour soutenir la Dinum sont en fait réellement dénoncés par la Cour. La bonne volonté, les ambitions et les grandes idées des agents, y compris des directeurs qui se succèdent, ne peuvent les suppléer. Même si Nadi Bou Hanna avait interdit Microsoft Office 365, l’absence de solution alternative unique laisse, de fait, les produits de l’éditeur américain en première ligne dans de nombreux ministères. La page 46 du rapport fait ainsi un bilan critique du « socle interministériel de logiciels libres » (SILL) insuffisamment soutenu malgré une circulaire du Premier Ministre de 2012. Pour la Cour, « les économies budgétaires réalisées grâce à la mise à disposition de logiciels libres ne sont pas calculées pour l’ensemble des administrations, seules certaines d’elles faisant l’objet d’une telle analyse. La Dinum doit continuer à appuyer les efforts des administrations en la matière, en rationalisant ses catalogues. Ce travail doit se fonder une analyse coût-bénéfice pour l’administration, permettant de prioriser les logiciels libres les plus utiles. »

Les initiatives intéressantes de la Dinum ne sont pas toujours suivis d’effets réels. Par exemple, « la ‘suite numérique de l’agent public’, n’a pas, malgré d’importants investissements, été largement adopté par les agents » (page 80). D’une manière générale et comme le soulignent les recommandations de la Cour, les rôles de la Dinum doivent être renforcés. Elle doit également bénéficier d’une simplification budgétaire. Surtout, que ce soit pour résorber la dette technique, mener des projets interministériels mutualisés (à l’image du RIE), développer des start-ups d’État, stopper des projets à la pertinence contestée (« avis défavorable » de la Dinum), etc. la Cour réclame en fait plus d’autorité pour la Dinum. Les temps d’instabilité politique n’y sont malheureusement guère favorables.


En savoir plus

- Sur le site de la Cour des Comptes : « Le pilotage de la transformation numérique de l’État par la direction interministérielle du numérique ».